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2 juin 2016 4 02 /06 /juin /2016 19:39
Primates égarés, « Un peu plus bas vers la terre », Renaud Cerqueux. Paru dans la Quinzaine littéraire

 

J'ai ri. A la lecture des nouvelles rassemblées par Renaud Cerqueux dans un recueil titré « Un peu plus bas vers la terre». J'ai ri, pas tout le temps, mais tout de même... de cette politesse du désespoir que peut être le rire.

 

Il arrive de rire en lisant, au delà des textes théâtraux de comédie. La littérature comique existe. Grinçante et absurde, ou plus souvent burlesque ce me semble. Je me souviens d'avoir ri, et pas seulement souri en lisant des romans de David Lodge ou de Donald Westlake, et le roman le plus drôle que j'ai lu à ce jour reste « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole.

 

Il est difficile de déclencher le rire en écrivant. Le rire a partie liée avec la vitesse et un bon usage de la rapidité. Le rire est une émotion intimement liée au rythme. La littérature n'impose pas tout à fait son propre rythme au lecteur. Le cinéma reste l'eldorado du comique, un film drôle tient à la qualité de son montage, bref du rythme. Même le succès d'une histoire drôle racontée à un dîner tient à la rythmique. Au cinéma, le montage organise le contraste, il joue du décalage temporel entre la perception et la compréhension qui semble déclencher un effet nerveux. Il joue sur les ellipses, décalages par excellence. La rapidité des effets sollicite le corps. Au théâtre et au cinéma, l'attention est concentrée sur un temps court et ne se disperse pas. Il est déjà plus difficile pour un film de faire rire à la télévision, plutôt qu'au cinéma.

 

Le livre négocie son rythme avec le lecteur qui s'arrête, revient en arrière, se disperse.

 

En outre, et c'est sa noblesse, la littérature prend son temps. Elle n'utilise pas l'immédiateté corporelle des mimiques et les rencontres subites dont le cinéma raffole. Les surréalistes disaient que la beauté surgissait des « rencontres impromptues », s'inspirant d'une phrase fameuse de Lautréamont. Le débat sur l'art contemporain n'en finira pas d'aborder ce sujet. Mais il est en tout cas évident que le décalage est le premier ingrédient du rire. Par exemple celui du physique de Chaplin avec son rôle de dictateur. Le cinéaste, l'orateur, le chansonnier disposent ainsi, pour créer ces béances qui aspirent le rire, de plus de cordes à leur arc que l'écrivain.

 

Mais il y a une récompense pour le lecteur de livre drôle. Le plaisir de rire en lisant est particulièrement appréciable, comme la beauté d'un lac au terme d'une longue marche. Ou si l'on préfère, comme le plaisir final à la fin d'une longue étreinte.

 

On rit donc, avec Renaud Cerqueux. Un recueil de nouvelles, en France, c'est un pari risqué. Elles constituent un chapelet d'historiettes autour de la misère morale du salariat de haut niveau, la « upper middle class ». Enfermés dans l'ennui et ainsi identifiés à un Singe qui fut envoyé dans l'espace par les soviétiques, privé de la possibilité de se donner du plaisir. Le fantôme d'Enos, le primate astronaute, plane sur ces petits contes cruels de la post modernité. Dressé comme un primate d'expérience scientifique projeté dans l'immensité intersidérale, le cadre supérieur est tenaillé entre la toute puissance consumériste et l’asphyxie d'un mode de vie en réalité hétéronome.

 

On croise ainsi un cadre doté de la faculté de créer des zombies – décidément une figure centrale de la littérature critique, on se référera sur ce point à l'essai de Maxime Coulombes, «Petite philosophie du zombie », ou aux livres géniaux de Max Brooks-. On assistera aux errements d'un autre cadre, commercial en spiritueux, accompagné de l'hallucination permanente du fameux singe.

 

Dieu est mort certes. Mais le père noël aussi. C'est un mode de vie désenchanté qui a eu raison de lui, et ici on le tue, tant qu'à régler le problème.

 

Le spectre de la fuite hante ce monde social. C'est la tentation de l' «évaporation » à la japonaise. Il ne s'agit plus de penser le monde, grotesque comme seule la sagesse simiesque peut le percevoir, mais de s'en échapper. Mais comme pour le cas du Singe Eno, fuir ne conduit qu'au néant.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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