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6 janvier 2017 5 06 /01 /janvier /2017 00:50
Joli Gothique sécularisé - " Notre château", Emmanuel Regniez

Le roman gothique est toujours vivant. On l'a vu avec le mainstream "l'ombre du vent' de Zafon, qui ne manque pas sur une plage ou une rame de T.E.R, et que je n'ai pas beaucoup aimé car trop fabriqué. On le redécouvre avec un petit roman français récent que j'ai apprécié, " Notre château" d'Emmanuel Regniez. Le souci avec le gothique pour le chroniqueur c'est de ne pas dévoiler ce qui inquiète et rend la lecture haletante.

 

Qu'est ce que le gothique au fait ? Qu'est-ce qui le différencie du surnaturel ou du fantastique avec lesquels il cousine incestueusement ? C'est difficile à dire et je ne vais pas tricher en wikipédiant, je vais vous dire ce que ce me semble.

 

Il me semble que lorsqu'on est face à une question pas évidente (lecteur étudiant ou lycéen prends-en de la graine), il faut partir de l'illustration la plus flamboyante,  notez le jeu de mot. Pour le gothique : l'architecture. Des cathédrales et de Viollet le Duc. Elles étaient destinées à épater par l'inquiétude. La gargouille, officiellement destinée à chasser les démons de la demeure de Dieu, mais dont la fonction latente est je pense de tenir en respect le croyant, me semble la figure la plus parlante du gothique. Mais on trouvera aussi dans la croisée d'ogives un jeu d'ombres qui laisse penser qu'il y a un mystère. Et un mystère émergeant du sombre du transept que l'on subodore derrière soi en marchant dans la nef, qui donne le tracsin.

 

Le morbide est évidemment un ingrédient obligatoire de la recette gothique. Rien n'oblige le littérateur gothique a répondre au mystère par un appel au surnaturel, au diabolique. Mais en tout cas, il aura créé un effet de suspense suffisamment prenant pour déstabiliser le rationnel en nous. Le surnaturel peut parfaitement être un masque. La fausse figure d'une gargouille. Ou pas. 

 

En tout cas le gothique joue de la frontière entre le réel et le surnaturel. Il appuie sur cette tension. Tout comme une cathédrale, édifice bien réel, au milieu de la vie urbaine, du quotidien. Sa figure favorite est donc le spectre, ou le fantôme. Dont on ne sait pas grand chose. Le fantastique préfèrera le plus explicite zombie.

 

La littérature gothique est souvent ouvragée (j'emprunte l'expression heureuse à la personne à côté de moi quand j'écris, moi je ne trouvais que chamarrée), comme l'architecture. Mais pas toujours, comme le montre ce premier roman de talent d'Emmanuel Regniez, qui s'y connaît puisqu'il a publié, rien de moins, un ABC du gothique nous dit-on, à la fin d'un livre superbement publié par les éditions "Le tripode", que je ne connaissais pas, et que je salue chaleureusement pour leur talent s'ils croisent cet article. Il me semble qu'un monument du gothique littéraire peut être trouvé dans les premiers chapitres du "capitaine fracasse" de Théophile Gautier, qui n'est pas précisément un roman gothique pris dans son ensemble.

 

Nous avons ici, dans un roman dans la filiation évidente du fameux "Le tour d'écrou" d'Henry James, qui aura terrifié beaucoup d'entre nous, et sans doute bien inspiré Alejandro Amenabar quand il tourna "Les autres" avec Nicole Kidman,  une écriture plutôt minimaliste. Mais enfiévrée, précise comme une lame de couteau qui avance vers l'inéluctable, et fondée sur une répétition qui évoque, et ce n'est pas fortuit, le délire psychotique.

 

La situation est on ne peut moins baroque. Nous sommes dans une belle demeure isolée, en ville. Un frère et une soeur y vivent cloîtrés depuis vingt ans, depuis la mort de leurs parents. Ils s'isolent dans les livres et ne voient personne. De temps en temps l'un d'entre eux sort, chercher un livre, ou travailler dans le jardin. Une vie monacale et silencieuse. Tout de suite, le caractère pathologique de la relation saute aux yeux, mais cela n'empêche pas l'auteur de nous mener par le bout du nez et de nous faire lire frénétiquement son livre, court mais intense, et puissamment inquiétant.

 

L'intelligence d'Emmanuel Regniez est de savoir que l'on ne peut pas être gothique comme on le fut autrefois. Et en particulier depuis la psychanalyse.  Il va donc écrire un roman authentiquement gothique, mais dont l'issue, que je ne peux évoquer, sera sécularisée.

 

Comme si l'auteur avait médité les textes de Michel de Certeaux sur les diables de Loudun, il sait qu'un diable n'est peut-être qu'un fantasme, qu'un château n'est peut être qu'une psychose. Qui lira saura.

 

Par ailleurs, il sait, à certains moments, instiller le sentiment du désenchantement contemporain qui contraste avec l'ambiance gothique. Avec le rôle des bus, prosaïques, dans l'intrigue. Ou en rappelant que les rêves chevaleresques d'un enfant finissent dans le coffre d'une voiture à la sortie des courses sur le parking. Ainsi parvient-il à ne pas égarer son roman dans l'anachronisme, tout en étant fidèle à sa passion littéraire pour un genre. Ce n'était pas facile, et il l'a réussi en utilisant tous les codes de cette littérature là. De cette culture là.

 

Je me suis donné d'une traite une belle et saine angoisse, que je vous recommande. Car angoisser avec plaisir est peut-être le meilleur des entraînements face aux angoisses subies.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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