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24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 17:33
La passion plutôt que le pouvoir - Lâchez-tout - Annie Lebrun

"Dès qu'on pense, on devient androgyne"

Annie Lebrun

 

Dès les années soixante dix, Annie Lebrun a senti, avec beaucoup de lucidité, un mauvais vent dans le féminisme. Elle l'a vu se transformer en volonté de pouvoir. En bonne surréaliste elle a écrit un pamphlet violent, "Lâchez tout" réactualisé et augmenté à plusieurs reprises, et qui malgré ce qu'elle appelle elle-même les fluctuations superficielles de la doctrine, qui change de mode, de cycle, n'a pas pris une ride. Car il s'agit toujours de pouvoir. Quand elle écrit que le néo féminisme s'inscrit dans une démarche plus globale tendant à transformer nos relations en contrats, donc en marché, comment ne pas entendre les présupposés de l'obsession du "consentement", tout ce qui relevant de la passion se voyant désormais banni ?

Personnellement j'ai été très ému devant "La leçon de piano" de Jane Campion, réalisatrice romantique, mais on ne voit plus ce film, c'est qu'il n'est certainement pas dans l'air du temps. Un homme y force la passion. C'est intenable. Le bien, le mal, il faut les séparer de manière nette et s'emparer de leur définition, de la sanction, ensuite. Pour les nécessités du pouvoir.

En observant les néoféministes, Annie Lebrun, méfiante envers tout militantisme de carrière, voyant dans l'art la seule révolte possible en réalité, observe des personnes qui protestent contre le pouvoir (phallique nécessairement), avec un appétit de pouvoir dissimulé. A contrario, Louise Michel, à qui on demandait si les femmes étaient prêtes à gouverner, répondait que "nous ne sommes pas assez sottes pour cela, ce serait faire durer l'autorité". Il s'agit toujours pour les "isme" de parler au "nom de". Des femmes, des prostituées. Qui sont brandies, dans le besoin de sordide (une cause totalitaire aime le spectaculaire et le martyre), mais auxquelles on enjoint de dire "maman" aux militantes. Il s'agit de dominer sa part. Le néoféminisme s'est ainsi institutionnalisé avec "rage", exposant un inconscient qu'elle n'hésite pas à qualifier de totalitaire, d'ailleurs "son esthétique se rapproche de plus en plus de celle du pire réalisme socialiste".

Sur le très long terme, rien n'a changé, "les mêmes dames patronesses" imposent leur morale au troupeau ("la librairie des femmes", ironiquement, a son adresse rue des St Pères). Annie Lebrun appelle à "déserter" et à jamais ne chercher à faire le bien pour les autres malgré eux. Elle tombe des nues devant Gisèle Halimi et "le programme commun des femmes", qui prétend que "la politique sera féministe ou ne sera pas". Programme qui promettait déjà la censure contre le machisme dans l'Histoire, l'éducation, la littérature. Une entreprise puritaine où ce ne sera plus un vieux juge gâteux qui mettra au pilon le Marquis de Sade, mais une jeune féministe libératrice. Le résultat est le même. On nous promit un grand autodafé, qui progresse aujourd'hui, quand des hommes, à peine accusés, sont censurés, pour avoir envoyé une photo mal polie. 

Dans la plus pure tradition surréaliste, Lebrun fracasse les idoles (avec une part sans doute assumée de verve provocatrice, car elle va contre le mouvement général). Nos icônes en prennent pour leur grade. Et d'abord Simone de Beauvoir, la papesse chez qui elle déniche toutes les graines de la récupération du féminisme par les logiques de pouvoir. Annie Lebrun est une poétesse romantique, et ce qu'elle ne supporte pas est le lent travail de dépassionnement que mène le féminisme. Elle cite ainsi Elizabeth Badinter (dont les tendances autoritaires ont depuis franchi des seuils célestes) qui plaide pour que la tendresse et la complicité surpassent le désir et la passion. Le néoféminisme est une entreprise de désexualisation, et d'enfermement de chacun dans sa gangue biologique, tout en prétendant le contraire.  Mais le surréalisme ce n'est pas seulement le goût du conflit et de l'intransigeance, mais cette intuition, rimbaldienne, selon laquelle "je est un autre", et que donc, comme le dit Lebruin, il ne s'agit pas de renvoyer les femmes au "même" de leur "sororité" imperméable, essentialiste, menacée par 'les" hommes.

Elle se moque de ce féminisme qui rêve de la parité dans la police et à l'armée et enjoint les femmes,et les hommes de quitter les rives du sensible; L'idéologie vient polluer. "Le langage du corps est parasité par un discours sur le langage du corps".. Un féminisme qui appelle les juges à la sévérité contre les violeurs, n'a pas assez d'imagination pour alourdir les peines parce que "nous les femmes" sont victimes, mais qui oublient que c'est cette même justice qui condamnait avorteuses et avortées.  Un féminisme qui dans les années 70 demande que la peine de mort ne soit pas prononcée contre Mme Mao, parce que c'est une femme. Oubliant que c'est aussi la pire des massacreuses de la révolution culturelle, et que l'on est contre la peine de mort parce que c'est la peine de mort, et pas en fonction du sexe du promis à la mise à mort !

Elle ose dire alors, que pour vraiment considérer les victimes et les aider à se lever plutôt que les instrumentaliser (comme Virginie Despentes), que l'urgence serait à considérer que le corps n'est pas toujours le corps du délit, n'en déplaise à deux mille ans de christianisme. J'ai moi-même peur d'écrire ceci sur mon blog tellement évoquer une telle hypothèse fait de vous un potentiel mis en examen pour propagation de la culture du viol, dans l'ambiance inquisitoriale actuelle (c'est Mme Lebrun qui parle ! Je le rappelle !).

Le féminisme intellectuel a enfermé les femmes dans une "femelllitude", où il s'agirait de ne s'exprimer que du "point de vue de la femme", à l'encontre d'un"discours masculin" qu'il conviendrait de considérer comme l'ennemi. Or Lebrun ne veut pas renoncer à Baudelaire sous prétexte que ses poèmes seraient machistes. Elle refuse d'être plus éloignée de ses amants que des bourgeoises. Elle refuse d'être recluse dans une "guerilla vaginale" éternelle. Le néoféminisme a tout d'un "stalinisme en jupons", qui a son révisionnisme d'ailleurs, quand il efface de la mémoire des femmes celles qui ont aimé passionnément, comme Julie de Lespinasse, Ninon de Lenclos. Comment ce dispositif de pouvoir pourrait-il évoquer les femmes romantiques, alors que le romantisme consiste justement "à se perdre" ? Stalinisme aussi, dans la fascination pour la libération de la femme, sous le totalitarisme, en chine maoïste (Julia Kristeva), ou encore quand il s'agit d'attaquer la psychanalyse sous le prétexte qu'elle serait machiste en donnant importance au phallique. Le réalisme féministe est un héritier du réaliisme jdanovien ;

" les pires chromos vont se succéder pour glorifier les souffrances et les splendeurs de la féminité en marche.  Premier tableau : il n'est pas de femme, qui en voyant apparaître la pettie tâche du premier sang menstruel sur le chemin de Damas de sa féminité, n'ait eu la révélation de son ardeur féministe. Deuxiième tableau : inlassablement les plus rougeoyantes évocations du viol, de l'avortement, de l'accouchement, quand ce ne sont pas simplement les rapports sexuels, sont tressés en couronne d'épines, autour de l'identité féminine. et défense d'en sortir". Le troisième tableau est celui d'un corps et de ses humeurs, spécificité féminine exaltante.

"La chair est décidément bien triste quand il n'y a plus qu'un seul livre à lire". L'Ecriture dite féminine (mais on pourrait parler des "femmes qui font de la politique autrement") joue dans ce réalisme stalinien un rôle particuiler, que la femme de lettres Annie Lebrun stigmatise tout particulièrement. Or, le génie féminin, comme celui de Virginia Woolf, justement, se fiche d'être féminin. Il ne parle pas au nom d'un point de vue collectif, ou missionné, ou au nom d'une essence. Sinon son génie n'aurait justement, aucune substance ! Le génie créatif ne peut procéder de l'idée de "la fatalité organique". Cela n'empêche pas une femme d'être une femme.  Annie Lebrun montre, avec maints exemples, comment l'idéologie néoféministe a enfermé le discours des femmes de lettres dans une "femellitude" corporatiste, indigente. Misère de toute littérature subordonnée à l'engagement. Elle cite par exemple (l'intouchable) Hélène Cixous, écrivant " La vie fait texte à partir de mon corps, Je suis déjà du texte". Ecrire, être femme, ça s'aligne. Toujours Cixous, caricaturale : "Ne suffit-il pas que coulent nos eaux de femmes pour que s'écrivent sans calcul nos textes sauvages". Cette littérature du Même est "incapable " d'ouvrir des couloirs nouveaux d'imaginaire et de sens, entre les êtres. C'est une mutilation. Virginia Woolf, dans "une chambre à soi" censé être un livre totem du féminisme, indique pourtant qu'il est "néfaste pour celui qui veut écrire de penser à son sexe". Et là, c'est moi qui parle pour finir, mais si Flaubert avait pensé à son sexe, Madame Bovary (("c'est moi !" a t-il dit) ne serait pas de notre culture. 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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