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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 20:15
Le capital sur le divan (de deux essais qui s'essaient à psychanalyser le capitalisme)

 

Et si ce grand mourant qui ne veut pas mourir, qui essaie d'entraîner avec lui tout le monde par le fond avec lui, indignement, passait sur le divan, qu'en serait- il ?

 

Je vous parle ici de deux essais qui tentent de psychanalyser le mode de production capitaliste, avec des approches un peu différentes, qui convergent cependant.

Le premier est clairement lacanien et me paraît relever de quelque accointance avec cette pensée du social selon Lacan, qui voit une vraie difficulté dans la disparition de la fonction paternelle.

Le second insiste sur l'apport de Keynes, dont la critique du mode de production capitaliste, qu'il veut néanmoins soigner, est selon les auteurs très proche des constats de Sigmund Freud, et notamment de sa découverte assez tardive et controversée, l'existence en tant que telle, d'une pulsion indépendante, "la pulsion de mort", ou Thanatos. Jusqu'à "Au delà du principe de plaisir", Freud pense que la destruction, la haine, relèvent d'une "gestion", pour rester dans le vocable économique, mal avisée des pulsions humaines. En vieillissant il se résigne à reconnaître une pulsion de mort qu'il intègre dans sa vision de la psyché mais aussi dans le fonctionnement vital. Ce travail d'intégration culmine avec "malaise dans la civilisation" au seuil de la seconde guerre mondiale. Ce virage pessimiste lui aliène une aile gauche de la psychanalyse qui croit à la bonté humaine corrompue par le fonctionnement social.

 

Gouvernés par l'infantile

 

Le premier essai, très récent, s'intitule on ne peut plus directement "Psychanalyse du capitalisme". David Monnier a le défaut de beaucoup de psys… Il est brillant mais brouillon, notamment en écriture. J'ai lu pas mal de psychanalyse maintenant… Et mis à part Freud, un écrivain de premier ordre, méthodique, c'est souvent le désordre. Et au milieu on trouve des pépites, comme le rapprochement entre le travail du dimanche et le fantasme du capitalisme, devenir une religion... Je pense que nos amis les psys écrivent comme ils ont l'habitude de penser dans leur pratique, de manière associative et flottante. Ils sont donc durs à suivre parfois. Répétitifs. Peu structurés. C'est riche mais c'est un peu le "souk" quoi…. Je retrouve cela dans la plupart des essais que je lis de leur part, à tel point qu'il en est difficile d'en garder une vue synthétique.

 

Pourquoi une psychanalyse du capitalisme ? Parce que le capitalisme est animé par des sujets, convertis à l'idée de la nécessité du capitalisme d'une manière ou d'une autre. La psychanalyse, c'est compliqué, oui, mais ça repose sur un tryptique assez simple : l'humain noue trois types de relations, avec maman, papa, et autrui. Or ces relations sont problématiques chez le capitaliste.

 

"si le capitalisme était un être humain, pas sûr qu’on le trouverait très bien portant."

 
Le sujet capitaliste (qui peut être actionnaire ou consommateur, le capitalisme est vu dans ce livre comme un état d'esprit), est anti maternel et il est aussi négateur du père (du surmoi).
Il est aux antipodes de cette mère qui donne inconditionnellement. Dans le monde du capital, tout se paie.  L'autre ne compte que s'il paie. Grosse erreur, car sans l'autre, la jouissance infinie dont rêve le capitalisme s'interrompra. Le capitalisme crée donc sa propre défaite, "ses propres fossoyeurs" disait Marx. Le sujet capitaliste pense n'avoir besoin de personne, il est un self made boy qui joue le self made man, niant que tout est collectif.
 
 
"On veut faire des affaires avec l’autre sans plus rien avoir affaire à l’autre. Cela revient à scier la branche sur laquelle on est."
 

L'auteur évoque de manière intéressante le temple du capital, les Etats Unis, qui ont voulu se séparer de leur mère anglaise, mais n'ont pas de père non plus… Se donnent au mythe du self made man. Pas de père, pas de Nom du Père en termes lacaniens. Ce sont les "Etats Unis" où habitent les étasuniens. Sans père (sans surmoi, sans loi morale au dessus de lui, sans règle sociale finalement, pour borner son désir), le capitaliste s'est inventé une religion propre, le capitalisme (scientiste mais croyante), et ici on retrouve le Freud critique de la religion ("l'avenir d'une illusion").La figure du père tout puissant lave le fils d'avoir désiré la mère… en retournant la culpabilité en haine, et en chassant toute culpabilité. 

 

Le capitaliste est un parvenu. Il ne doit rien à personne ni à rien, ni aux autres, ni à la société, ni au passé.

(En lisant le livre, je pense à ces fonctionnements pré capitalistes où on abandonne pas celui qui représente le passé, et à ces systèmes capitalistes où celui qui a travaillé trente ans pour l'entreprise est jeté du jour à l'autre. C'est ce qui est arrivé par exemple à Guy Novès, entraîneur de l'équipe de France de Rugby… Dix fois champion de France, quatre fois d'Europe, un mythe vivant pour son sport. Et la plupart des gens du rugby lui adressent un immense respect. Le milieu du rugby est conservateur, il n'aime pas les sorties ratées, il aime les égards, mais de nouvelles figures y ont introduit la logique purement capitaliste, celle qui prévaut dans le football où l'on va - exception- jusqu'à vendre des joueurs (ce qui ne choque plus personne), mais aussi jusqu'à ajouter un joueur… Dans une transaction (je te paie ton joueur tant de millions plus un joueur que j'ajoute en nature, peu importe son lien avec nous, les liens s'effacent, les gens partent le lendemain de la victoire, rien n'a de sens en dehors du comptable). Le passé n'a aucune espèce de signification dans le football. On peut avoir gagné deux championnats d'Europe d'affilée comme Zidane et être sur la selette pour deux matches perdus. Il n'y a pas d'origine, on ne doit rien à rien ni à personne. Parfois, quand un entraîneur est un peu pré capitaliste... Qu'il soutient son joueur, comme Aimé Jacquet par exemple en 1998 avec Christophe du Garry, ou Deschamps avec Olivier Giroud, la presse capitaliste lui fond dessus… Ne pas reconnaître l'obsolescence est un crime. Je reviens donc à Novès (homme de droite mais conservateur), il est donc mis à la porte cyniquement, d'un jour à l'autre, saisi dans un piège dressé pour lui… C'est cela l'esprit capitaliste. On ne doit rien à personne, pas de dette morale. Pas d'origine, et pas de surmoi, juste la religion du profit censée tenir de liant. Il ne se sentira libéré que quand justice lui sera donnée, par les prud'hommes, mais cela a t-il dit, ne lui suffit pas. Il sera libéré quand sa dette de souffrance sera payée par un ressenti de souffrance équivalent en face. Novès est un être de liens. C'est une fidélité, toute sa vie dans un seul club comme joueur et entraîneur. Un club qui se considère comme une famille, notion extra capitaliste, puisque le principe est que l'on donne priorité à la formation, que l'on joue le même jeu de la catégorie débutant à l'équipe une et que les entraineurs et responsables à tous les niveaux sont des anciens joueurs. Cet homme de droite ne sait pas qu'il nage à contrecourant… Du capitalisme.)

 

 Le passé pour le capitalisme n'est qu'un argument de vente, pendant qu'on inaugure les statues le capitaliste envoie des sms.

 

Mais cette négation du lien est évidemment une illusion. Posséder, on le sait, est l'obsession capitaliste. On critique le modèle pour négliger l'être pour l'avoir, ce qui est quelque peu illusoire, car à travers l'avoir, c'est évidemment l'être qu'on recherche, l'humain étant relationnel. On cherche à en remontrer aux autres. La négation du lien va de pair avec le narcissisme de ces dits self made man. Est-ce l'image qui pousse à faire de l'argent ou l'argent qui motive l'image ? Les deux sans doute. Quand Arnaud Lagardère pose ridiculement en maillot avec son trophée féminin… il dit quoi ? Il dit "regardez comme je suis beau et séduisant" (il se laisse croire qu'il l'est), regardez ce que je peux m'acheter, regardez mon essence (mon sang) qui me permet d'acheter ce que je suis et ce que j'ai".

Drôle de confusion mentale.

 

Le capitalisme infantilise. Il refuse la frustration. Il se croit libre de toute détermination, comme un ado en crise (je ne vous dois rien de toute façon !). Il hait la dépendance, et pourtant il la pratique. 

 

"Pour un capitaliste, c’est très mal d’être dépendant. C’est comme être un perdant. C’est le pire. Cela reviendrait à avoir capitulé face à la mère. Cela dit, le riche a le sens de l’autodérision. Il a besoin qu’on l’aide pour préparer son petit-déjeuner, faire son ménage, ses courses, ouvrir la porte de sa limousine, changer une ampoule, nettoyer sa piscine, déboucher un évier, changer un carburateur, etc. Mais il déteste les assistés ! Le sujet extériorise son propre dégoût de lui-même." Le capitalisme est censé être libre et pourtant il est inséparable de toutes les prothèses qu'il invente.
 

Un de ses aspects infantiles est aussi d'imaginer un consommateur asexué.  Il y a un versant qu'un nietzschéen qualifierait de nihiliste dans le capitalisme, mais qu'ici on désigne comme infantile :  Il n'arrive pas à faire de la femme une pure travailleuse (il est bien obligé de faire avec les congés maternité, même si désormais il peut inciter les femmes au top de leur productivité ) congeler leurs ovocytes et à avoir recours à la PMA).

 

Pas de parents, pas d'Histoire. Le capitalisme n'aime pas l'Histoire. Le sujet capitalisme fuit. Si vous parlez avec lui dans un bureau, il est toujours dérangé par un SMS ou un mail, il n'est jamais disponible pour ce qu'il fait. Il n'a pas de passé. Il n'a pas de présent pour ne pas avoir de passé. Il ne doit rien à personne. Il est toujours tourné vers la nouvelle frontière. Le capitalisme est une obsession de mobilité.

 

"Les petits capitalistes ne parviennent pas à se stabiliser. Ils sont toujours en mouvement, en progression. Ils n’ont pas fini leur croissance. Ils se considèrent eux-mêmes immatures. Le capitaliste est analogue à un enfant qui apprend à faire du vélo. Il ne peut pas s’arrêter. Il est obligé d’avancer sinon il tombe."
 
 
La question du désir est évidemment centrale. Le désir capitaliste ne doit pas être différé, il est infantile. On a recours au crédit à la consommation s'il le faut. En cela on rabaisse le désir au niveau du besoin. 
 
 
"Le sujet capitaliste passe ainsi allègrement à côté du grand secret de la vie."
 
 
Le sujet est perpétuellement insatisfait par le toc de la nouveauté, mais pour autant le capitalisme s'est inventé l'accumulation, comme satisfaction en soi.
 
 
Thanatos
 
 
La question de l'accumulation est centrale dans le second essai que l'on va évoquer. Il est écrit par deux économistes, Gilles Dostaler et Bernard Maris (mort dans l'attaque de Charlie Hebdo), "Capitalisme et pulsion de mort", écrit il y a dix ans. C'est à dire juste après l'éclatement de la crise des subprimes.
 
 

La grande idée de Keynes, qui a lu Freud, et il y a des liens entre l'entourage de Keynes (Léonard et Virginia Woolf notamment) et Freud, c'est que l'argent n'est pas neutre, ce que les libéraux classiques prétendent. L'argent est marqué par la psychologie. Il est porteur de nos angoisses. Le capitalisme tente de se rendre maître du temps, qu'on lui a d'ailleurs reproché de voler à Dieu. A cet égard c'est un projet prométhéen, il s'agit de remplacer Dieu.

 

"L’argent est un objet étrange qui à la fois calme l’angoisse – vous disposez d’un stock de précaution – et l’accroît. Il permet de changer d’avis, d’être irrationnel."

 

Le taux d'intérêt est un indice de l'angoisse, tout comme la "préférence pour la liquidité", mise en évidence par Keynes. Pour ses adversaires ultra libéraux, le taux d'intérêt récompense l'effort d'épargne, pour Keynes, c'est un phénomène psychologique qui relève de l'irrationnel, et qui saisi par les mouvements de foule, peut déclencher des tsunamis financiers.  La Banque Centrale est une figure paternelle qui de temps en temps vient restaurer "la confiance" par sa parole.

 

Keynes ne cessera de lutter contre cette tendance à aimer l'argent pour lui-même, il plaidera on le sait, pour l'euthanasie des rentiers, combattra l'étalon or, un rituel barbare, avant guerre et en 1945, perdant, les deux fois.  Il applaudira l'idée d'une monnaie fondante… Ne servant que comme support de l'échange, impossible à accumuler. Il y avait quelque chose de maladif selon lui dans la confusion entre argent et richesse. Elle ne peut conduire qu'à mourir sur un tas d'or. La solution pour l'humanité est dans la création, dans la sublimation. La thésaurisation est une recherche illusoire d'immortalité selon les propos mêmes de Keynes.

 

"L’homme « intentionnel » tente toujours d’assurer à ses actions une immortalité factice et illusoire en projetant dans l’avenir l’intérêt qu’il leur porte. Il n’aime pas son chat, mais les petits de son chat ; à vrai dire, non pas les petits de son chat, mais les petits de ses petits, et ainsi de suite jusqu’à l’extinction de la gente féline. La confiture n’est pour lui de la confiture que s’il envisage d’en faire demain, jamais le jour même. Ainsi, en remettant sans cesse à plus tard, s’efforce-t-il d’assurer de l’immortalité à l’acte de la faire bouillir"
 
Schumpeter a parlé du capitalisme comme processus de destruction créatrice. Accumuler, détruire, construire. Qu'est ce qui est le plus proche de la pulsion de mort décrite par Freud  ? Chez Freud la vie est une excitation qui aspire à la détente. Mais tout cela nous rapproche aussi de Georges Bataille, qui a lu Freud, et qui dans "La part maudite", ce livre extraordinaire (rapidement cité par Maris et Dostaler) montre que la vie est un excès, que l'excès engage la croissance, et nécessite la destruction, qu'elle passait autrefois par le potlatch, le sacrifice, et que désormais elle passe par la destruction aveugle parce qu'on ne regarde pas la vie en face.
 
 
Chez Bataille, comme chez Freud, vie et mort sont complices. Bataille dit qu'en inventant la mort, plutôt que la reproduction par séparation de la cellule en deux, la vie maîtrise quelque peu son infinie floraison. Il y a donc une aspiration à la mort. Mais jusqu'à où ? Jusqu'à la mort complète de la planète ?
 
 
"le capitalisme, en détournant la technique au profit de l’accumulation, n’a-t-il pas largement ouvert les vannes à une pulsion de mort enfouie au cœur de l’humanité ?" (Maris/Dostaler).
 

La thésaurisation procède du refoulement pulsionnel évidemment. Le principe de plaisir se voit contenu, canalisé la thésaurisation, puis par l'investissement, on ne consomme pas tout immédiatement. Ceci Keynes et Freud en sont conscients ensemble. Le capitalisme est puritain (comme l'a dit aussi Max Weber en montrant son lien avec l'esprit protestant).

 

"Pour retarder le moment fatal, nous accumulons. Nous accumulons pour aller le plus tard possible vers la mort. Mais toute cette énergie mortifère que nous contraignons et accumulons n’aspire qu’à une destinée : être libérée."
 
 
Quand ça bloque… Le capitalisme débouche sur la guerre.
Et reprenant la logique de Bataille les auteurs indiquent :
 
 
"Le drame du capitalisme est d’avoir exclu la dépense improductive, exclusion rationalisée par le calvinisme, d’une part, et l’économie classique, de l’autre, qui ne peut envisager une activité économique destinée, non pas à la satisfaction des besoins et à l’accumulation du capital, mais à la jouissance gratuite aussi bien qu’à la destruction et à la perte".
 
 

Comme dans le premier essai nous retrouvons aussi le caractère infantile du capitalisme, la libido narcissique devenant libido d'objet, puis à nouveau narcissique, puis d'objet, processus constamment alimenté par le marché.

 

"L’hystérique ne consomme ou n’accumule pas des objets pour jouir, évidemment, mais pour plaire à autrui. Aussitôt qu’il possède, le doute le ronge".
 
 
Comme dans le premier essai, nous retrouvons le caractère pathologique du rapport à autrui, à travers la dette, mais reformulée. Encore ici, on ne doit rien à personne.
 
 
"L’abstraction de la dette rendue possible par la généralisation de la monnaie libère les hommes des liens personnels. La dette devient transférable, peut circuler, c’est l’essence même de l’économie monétaire. Le capitalisme invente un système égalitaire où de plus en plus d’individus ne doivent rien à personne. Le marché est donc un extraordinaire système d’abstraction"
 
 
Pouvons nous dépasser ces limites psychologiques ? Keynes le pensait, qui était optimiste à long terme et pensait que sa vie heureuse dans le groupe de Bloomsbury était une sorte d'avant garde de la vie de l'avenir.
 
 
"Je nous vois donc libres de revenir à quelques-uns des principes les plus sûrs et certains de la religion et de la morale traditionnelle, tels que : l’avarice est un vice, l’usure est un délit, l’amour de l’argent est détestable, ceux qui pensent le moins au lendemain sont véritablement sur la voie de la vertu et de la sagesse. Nous placerons une fois de plus les fins au-dessus des moyens et préférerons le bien à l’utile. Nous honorerons ceux qui sauront nous enseigner à cueillir chaque heure et chaque jour de façon vertueuse et bonne, ces gens merveilleux qui savent jouir immédiatement des choses, les lys des champs qui ne peinent ni ne filent.".
 

Freud portait un diagnostic plus sombre, fataliste, sur l'histoire de l'humanité, car il était conduit à toujours réévaluer la puissance de la pulsion de mort à partir du moment où celle-ci peut se rendre maîtresse de moyens infiniment puissants. La conclusion du "Malaise dans la civilisation" vaut encore aujourd'hui encore comme interrogation quotidienne.

 

"La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement. À cet égard, l’époque présente mérite peut-être justement un intérêt particulier. Les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la domination des forces de la nature qu’avec l’aide de ces dernières il leur est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier. Ils le savent, de là une bonne part de leur inquiétude présente, de leur malheur, de leur fond d’angoisse. Et maintenant il faut s’attendre à ce que l’autre des deux « puissances célestes », l’Éros éternel, fasse un effort pour s’affirmer dans le combat contre son adversaire tout aussi immortel. Mais qui peut présumer du succès et de l’issue ?"
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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