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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 19:25

9782800148137-G.JPG Le Portugal, dont mes parents s'étaient entiché, depuis la révolution des oeillets, éclaire mon enfance de son soleil, contrastant avec tous ces souvenirs plus ombragés, rangés dans la trappe de l'inconscient et que les évènements de la vie tirent de temps en temps de leur oubli.

 

Je ne l'ai pas retrouvé, ce Portugal, dans le roman de Pascal Mercier, "Train de nuit pour Lisbonne" qui aurait pu se dérouler à Séville ou à Capri (  Les mots sont l'étoffe des vies '"train de nuit pour Lisbonne, Pascal Mercier").

 

J'ai donc ensuite ouvert une ample Bande dessinée de 250 pages, cadeau qui m'attendait dans la file d'attente : "Portugal" de Pedrosa. Parue il y a deux ans je crois. .

 

Et là, j'y ai beaucoup retrouvé. Du Portugal et de sa chaleur polysémique certes, mais aussi du rapport au passé, à l'héritage possible, intangible.

 

Le dessin fin, élégant, est infiniment agréable, et l'utilisation de la couleur, sorte d'empreinte de l'évolution psychologique du personnage principal, très convainquante. 

 

C'est une bande dessinée absolument magnifique, touchante. De ces oeuvres qui tissent le lien à autrui en parlant paradoxalement de l'expérience personnelle. Il y a tellement de commun, dans le moindre détail, en ce que nous vivons les uns les autres. Une des fonctions des artistes est de mettre pile le doigt dessus, et ainsi d'approfondir nos sentiments de familiarité. Sans doute.

 

Un dessinateur, Simon Muchat, trentenaire, s'enlise dans une sorte de dépression larvée. Il n'a plus de désir. Son couple part en poussière et il ne travaille plus. Ce n'est pas l'effondrement ni la souffrance non, mais c'est un vert d'eau mélangé à un gris qui teinte les pages, quand ce ne sont pas des lignes brunes. Quand les souvenirs d'enfance émergent, ce sont ceux des nausées à l'arrière de la voiture. La verbalisation de son néant ennuie sa psy.

 

Simon croise un peu son père avec lequel il parle peu, on n'entend pas parler de sa mère. Et lorsqu'il reçoit une invitation à un mariage d'une cousine, on comprend qu'il est coupé de sa famille et de ses origines. Il ne connaît personne, et son père n'a pas joué le trait d'union. 

 

Puis il y a une invitation à un festival de bande dessinée à Lisbonne. Simon s'y rend sans trop y penser, et il y recueille le sentiment, non pas violent, mais qui suffit à retrouver une légèreté et le sourire, de se retrouver en des eaux hospitalières. 

 

Simon, que sa compagne a quitté, va à cette fête de mariage avec son père, en Bourgogne. Il y découvre son père autrement, comme le membre d'une famille, avec toute la complexité qui en découle. La famille c'est le meilleur et le pire entremêlés, indémêlables. La damnation et le refuge. Le récit de ces jours de mariage sont un grand moment de bande dessinée : chacun y retrouvera des moments de vérité brillamment saisis, à travers de petits riens, mais éclatants de pertinence. 

 

Cet épisode donne envie à Simon d'aller plus loin, il apprend de son père quelques bribes d'information, puis prend contact avec un cousin du portugal qu'il n'a pas vu depuis son enfance. Il y part. Il agit à rebours de son père, qui fuit ce passé et l'oublie par le travail.

 

Puis c'est le Portugal et d'abord une langue inconnue. Mais une langue latine, que l'on peut donc déchiffrer, grâce à un seul mot parfois, et qui redonne le goût de découvrir, et offre la saveur de l'essentiel. Simon part rencontrer son cousin, la soeur de son grand-père, et découvrir sa famille, et la famille, portugaises. Beaucoup plus intégrées que l'ultra nucléaire famille française de notre temps. Il retrouve ainsi l'envie du dessin, à travers les nouvelles couleurs des choses les plus simples.

 

Récemment, je suis allé entendre Marie N'Diaye à la librairie "Ombres blanches" de Toulouse, et elle disait regretter ces premiers mois passés à Berlin où elle réside, et où elle ne comprenait pas un mot. Il s'ensuit un sentiment d'être moins sous emprise du social. De pouvoir se recentrer, car on est délesté de tant d'enjeux. C'est un peu ce que semble ressentir Simon le dessinateur. Quand on est à l'étranger et qu'on tait son anxiété, on peut en effet remarquer le déplacement de son attention vers des aspects un peu masqués par l'emprise de la vie sociale.

 

Lorsqu'à l'instar de Simon, on a oublié, qu'on a manqué la transmission, est-on cependant marqué ? Lorsqu'on se confronte à l'ancien perdu, retrouve t-on en soi un écho ? Nos gênes sont elles teintées par le culturel ? Par les impressions ?

 

Comme d'autres, quand je vais en Espagne, celle de mes vacances, celle de mes ancêtres, j'ai l'impression de retrouver un souvenir cher, et j'ai le sentiment d'une familiarité. Comme quand j'ai commencé à apprendre au collège une langue hispanique que je n'avais pas apprise mais avec laquelle j'étais tout de suite très à l'aise. Comme ce Simon Muchat, je ne fantasme aucunement sur l'identité, bien loin s'en faut. Mais ce que l'on est existe, sans doute, et recèle un intérêt, peut-être.

 

Ces sentiments sont-ils le fruit d'une reconstruction qui ouvre l'âme ? Ou l'effet d'une trace qui luit ?

 

Mystère de Lisbonne...

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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