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23 janvier 2011 7 23 /01 /janvier /2011 08:48

lectricemoderne Au temps d'"Amazon" et du livre électronique, à quoi servent les librairies ? 

 

D'abord un petit hommage aux librairies que je fréquente. A Toulouse, il y a évidemment "Ombres blanches". Où l'on croise souvent, me  dit-on, la fille - aujourd'hui Dame très âgée - d'Irène Nemirovski. Un de mes Hapax littéraires de ces dernières années. Cette même fille qui toute petite a transporté le manuscrit de "Suite Française" de cachette en cachette , échappant à la déportation. Et qui un jour, de longues décennies plus tard, se résolut à le confier à un éditeur, nous offrant un chef d'oeuvre, et tirant de l'oubli toute l'oeuvre de cette romancière disparue alors qu'elle donnait sa pleine mesure. Celle d'une grande figure de la littérature de notre pays.

 

J'aime aussi la librairie des frères Fleury, dans cette rue de la Colombette où je suis né, encore bigarrée comme devrait l'être une rue du centre-ville. Il y a encore "Terra Nova", une boutique qu'on qualifiera de "très très à gauche", située mystérieusement à quelques encablures d'Ombres Blanches (les gauchistes ne sont pas doués pour les études de marché, à moins que la demande ne crée la demande...). J'aime bien aller au rayon Arts de "Castella", et aux livres de Poche. "Privat", j'y passe à l'occasion, mais ça me déçoit.

  

Ensuite, il y a les bouquinistes. Peu. Il y en a un dans le quartier St Aubin. Il y en a un sympathique, un peu excentrique, tout près du Pont-Neuf. Un autre tenu par un fan des surréalistes rue des Lois. Et son concurrent un peu plus loin. Pour les occitanistes, il y en a un rue du Taur, j'y entre jamais.

 

Et puis il y a les étals des marchés. J'ai remarqué qu'ils sont souvent tenus par des nostagiques du fascisme. On y trouve souvent, noyés dans la masse, des mémoires de généraux de la Wehrmacht, des livres aux couvertures ambigues sur  Rommel, les Waffen SS ou les paras français en Indochine... Récemment, place Arnaud Bernard, je suis tombé, stupéfait, sur un exemplaire de la Revue d'histoire révisionniste, avec contributions du sinistre Faurisson et consorts... Ca m'a scié. Je me suis demandé quoi faire : ces écrits écoeurants ont donné lieu à des condamnations. Mais il n'y a pas de numéro vert antinazi... Je me suis interrogé sur ma conduite : devais-je insulter le vendeur ou le lapider avec ses livres ? Renverser la table ? Et j'ai finalement décidé de tout simplement rallier mon bureau. En homme et cadre respectable, vêtu d'un costume et portant un cartable, mais outré. Après tout, si je l'avais interpellé, il m'aurait sans doute dit d'un air moqueur que ça peut intéresser les historiens du révisionnisme... (Valérie Igounet a publié il y a quelques années une remarquable "Histoire du Négationnisme en France", très détaillée. Poursuivant ainsi le travail providentiel de Vidal-Naquet). Beaucoup plus jeune et moins notabilisé, j'aurais sans doute renversé la table et j'aurais eu raison.

 

Pour les enfants, il y a "Milan" près de la place Roger Salengro aux allures romaines ,et une excellente librairie spécialisée rue Pargaminières. Pour les BD, on a l'embarras du choix. Même si je viens de voir, mortifié, que le vendeur de journaux et de BD des Arcades du Capitole allait cesser son activité... Restera t-il en ville un endroit où acheter un journal ?

 

A Bordeaux, où je me rends assez fréquemment, je vais évidemment à "Mollat", grande librairie sans vraie politique éditoriale, mais vaste et riche. A Paris autrefois, j'aimais bien aller à la FNAC des Halles, parce que c'était immense.

 

Aller dans une librairie, c'est s'imprégner de la présence du Livre. Et ça, "Amazon" ne le permet pas. Lire, on l'a vu avec Charles Dantzig( Lire, ça sert à rien, c’est ça qui est bien ) , c'est un vice. Et un vice a ses lieux spécialisés. La librairie permet la découverte, impromptue, d'une lecture à laquelle on n'avait pas songé. Une couverture vous attire. Un titre. Le nom d'un auteur qui vous revient. On ressort souvent avec un ouvrage qu'on n'avait pas prévu d'acheter. C'est pourquoi j'aime les librairies qui prennent le risque d'avoir une politique éditoriale. De mettre en tête de gondole les livres qu'elles apprécient.Christian Thorel, le patron d'"Ombres Blanches", avec lequel j'ai eu l'occasion de discuter dans le cadre d'anciennes fonctions, est un malin. Il a investi dans l'espace. Et cela lui permet de concilier l'exposition des nouveautés, des meilleures ventes, des valeurs sûres, et une politique éditoriale nettement développée. Il gagne ainsi sur tous les tableaux. Et sa librairie est une belle réussite. On y reste longtemps. Il y a un excellent resto indien juste à côté.

 

Pour les petits libraires, il n'y a pas le choix : seule la politique éditoriale peut les sauver. Si vous voulez acheter "Le Misanthrope" pour votre collégien de fils ; ou comme la plupart des lecteurs d'après les sondages, acheter le livre du gars marrant qui est passé chez Ardisson, vous irez à la FNAC ; comme ça vous pourrez regarder en même temps les appareils numériques. La marge de manoeuvre du petit libraire, c'est l'appétit de découverte.

 

L'autre voie, c'est de transcender la librairie. De devenir lieu de rencontre avec les écrivains, lieu de spectacle pour enfants. Lieu autour duquel s'articule une communauté de lecteurs (grâce à Internet, comme le pratique Ombres Blanches) Mais il y faut de la surface, et du personnel pour organiser tout ça. On voit même des librairies, comme Terra Nova, qui sont salon de thé. Qui mettent à disposition le Wifi.

 

Moi, si je gagne au Loto (il faut que je me réabonne), je monterai, à perte bien entendu, en plein centre de Toulouse, une librairie aux frontières un peu flottantes.

On pourrait y grignoter, y boire.Y rencontrer un écrivain.

Y écouter une chanteuse ressemblant vaguement à Dalida entônner "Romantica".

Y regarder une danseuse dans un aquarium (comme dans un texte d'André Breton sur lequel je ne parviens pas à remettre la main).

Y méditer devant un charmeur de mangoustes ou y caresser un puma apprivoisé (mais il doit y avoir des autorisations spéciales).

Y prendre des cours de théâtre.

Y écouter une conférence pour comprendre pourquoi la très progressiste Georges Sand fut pourtant une adversaire sauvage de la Commune, ou même y préparer gratuitement une épreuve de culture générale.

Y participer à des ateliers d'écriture, qu'il est dommage de voir si peu développés en France (alors qu'on peut prendre des cours de Capoeira ... C'est dire). 

Y accueillir des cours d'alphabétisation.

Et ça servirait de lieu de réunion aux gens que je trouve sympas. Rien qu'à eux. Moi j'y rôderai, mais j'y serai plutôt inactif. Je délèguerai.


La Déco pourrait s'inspirer d'une oeuvre. Par exemple le poème d'André Breton, toujours lui : "la maison d'Yves Tanguy".

 

"La maison d'Yves Tanguy

Où l'on n'entre que la nuit
Avec la lampe-tempête
Dehors le pays transparent
Un devin dans son élément
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu'on ne la voit plus
Et la toile de Jouy du ciel
Vous, chassez le surnaturel

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu'on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Elle est de lassos, de jambages
Couleur d'écrevisses à la nage

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu'on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes (...)"

 

André Breton (Signe ascendant, 1939)

 

Je pourrais appeler ce lieu... "La Bonne Maison du Livre"...

 

Enfin, pour celles et ceux qui chercheraient l'âme soeur, la librairie, c'est mieux que Meetic. Vous approchez la femme ou l'homme qui hésite sur un livre et vous enclenchez facilement la conversation, par exemple par une flatterie pas trop accentuée sur les intérêts littéraires de la personne en question. Et vous serez certainement plus assuré(e) d'avoir matière à discuter. Plus qu'au petit déjeuner après la soirée Salsa arrosée où vous avez rencontré la personne de votre vie. Il y a d'ailleurs une série de livres lestes, à l'attention  des littéraires pour draguer, très drôles et documentés : "Comment draguer la militante dans les réunions politiques?", "Comment draguer la catholique sur le chemin de Compostelle ?", d'un certain Etienne Liebig, qu'il ne faut pas hésiter à consulter.

 

Fort heureusement, il y a cette Loi d'exception au bon sens du terme, sur le Prix Unique du Livre (une bonne idée de Jack Lang : encore une, du temps de sa splendeur dont il semble si nostalgique, comme un vieux Baron qui persiste à se rendre à la Cour tout  poudré, alors qu'il barbe les Salons). Elle nous préserve encore quelques bonnes librairies.

 

Et si vous achetez sur "Amazon", ce que je confesse pratiquer, vous pouvez toujours choisir le vendeur parmi les offres : une librairie parbleu !

 

 

 

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commentaires

E
<br /> en fait, l'image de "la montée de l'escalier" m'envahit chaque fois que je fait un choix aléatoire pour acheter un livre (sans avoir lu de critiques préalable)juste sur conseil de...<br /> 3 livres m'ont été révélés ainsi : "la femme gauchère" de Peter Handke - "América" de T.C Boyle et "L'allumette facile" de David Goodis<br /> ils jalonnent toujours ma petite vie de lecteur<br /> @+<br /> <br /> <br />
Répondre
E
<br /> Une librairie est un petit monde dans lequel chaque livre est une vile, une région qu'il faut prendre le temps de visiter, en imaginant le voyage qui nous attend, comme une sorte de montée de<br /> l'escalier : un titre, une image mais aussi une texture, un format, une odeur...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Ouh la Eddy, vous avez croisé "le parfum d'une Dame en Noir" au rayon psychanalyse... la "montée de l'escalier" est une expression fort intéressante...<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Encore moi, salut jérôme<br /> <br /> Vraiment bien ce que tu nous donnes à lire. Je suis en parfait accord avec toi, rien ne peut remplacer le livre papier. Personnellement je n'arrive pas à rentrer dans une lecture ordi, comme dans<br /> un livre que je peux toucher, respirer, il y a du comme du charnel que je ne peux expliquer.<br /> Je suis fier, de ta participation au : Forum lire56<br /> F.M<br /> http://lire56.over-blog.com/<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Exactement, un rapport charnel avec le livre. Voila ce que l'on doit préserver. Moi j'y crois. Je pense que le livre survivra.<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Bienvenue dans la communauté Salon Lecture, personnellement, je préfère les livres papiers, on passe assez de temps sur les ordis, ça change vraiment les plaisirs de lire.. bonne lecture à<br /> bientôt...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Merci Nefertiti pour ton accueil.<br /> <br /> <br /> Je t'avoue que le livre électronique me fait peur. Plus de librairies, plus de vieilleries à retrouver, plus de diversité d'éditions... L'enfer aseptisé. Espérons que le livre ne vivra pas le<br /> sort qui est en train de frapper le CD.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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