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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 21:30
Rome, une idée en cendres qui fourmille d'hommes - "Les cendres de Gramsci" - Pier Paolo Pasolini

Ce sont les années 50 et le poète qui n'est pas encore l'immense figure qu'il sera de son vivant vient visiter la tombe de celui qui est mort durant son adolescence. Son passeur privilégié avec cette grande idée communiste à laquelle il donnera une forme si personnelle. Gramsci n'est pas seulement le cofondateur, et rapidement, avant d'être emprisonné par Mussolini, le dirigeant principal du communisme italien, il est le penseur singulier au sein du marxisme qui met en avant le rôle de la "superstructure", et en particulier de la lutte idéologique et culturelle. Profondément italien, mettant en avant les spécificités de son pays dans toute son œuvre, Gramsci résonnait avec toutes les attentes de Pasolini.  Comme Gramsci s'était affirmé comme dirigeant dans les luttes des conseils d'usines de Turin de 1919, Pasolini s'était rapproché des idées communistes en regardant les paysans frioulans affronter les propriétaires.

 

Et il écrit, alors, Pier Paolo Pasolini, de la poésie, trempée dans la plus ancienne tradition romaine, celle qui émane comme fumerole de ces pierres qui l'entourent dans ce cimetière pour athées et au-delà quand il en sort pour rentrer chez lui. Il parle au fantôme d'Antonio Gramsci, il lui parle, à lui avec qui il partageait sans doute beaucoup mais qui ne se serait sans doute pas imaginé fils aussi turbulent, de son testament, de ce qu'est devenue l'Italie, après la défaite du fascisme qui emprisonna l'aîné, jusqu'à en venir à bout.

Mélancolique, ce que la forme des tercets amplifie, il ne parlera pas de Tombeau de Gramsci mais de cendres, au goût amer.

Ce sont "Les cendres de Gramsci", et pour la première fois je crois elles sont éditées à part, en France.

 

D'emblée le thème des cendres et des ruines, de Rome, est là. Car les espoirs portés par la Résistance au fascisme ont été engloutis dans le pacte de Yalta, qui prive l'Italie de tout destin révolutionnaire. La péninsule est à l'ouest de la ligne tracée par Churchill et approuvée par Staline. A moi, à vous.

Il règne ainsi en ce cimetière, celui d'Antonio Gramsci et celui des illusions, "une paix mortelle, et résignée, tout comme nos destins". Déjà Pasolini, jeune, mais à l'écoute du passé, a compris la naïveté des révolutionnaires. 

 

L'ambivalence est une nature  pour les poètes, c'est pourquoi ils cherchent à faire glisser le sens. 

 

Il y a le profond désespoir : "nous sommes morts, avec toi, en ce jardin". Mais le peuple, que toute l'œuvre de Pier Paolo célèbre est encore là, on entend au loin le bruit de l'enclume "depuis les ateliers du Testaccio, assoupi". Et Pasolini, de bifurquer, de quitter la politique, ou plutôt d'être tout un, politique totalement, au delà de toute politique totalement. Pouvant évoquer Gramsci et dans le tercet d'après se laisser aller à l'évocation romantique du soir tombant sur Rome.

 

Près de cette tombe, tout se mélange, les idées et les sensations. Pasolini se demande pourquoi il est là. Il se méfie  des politiques, qui ont tué son frère. Il connaît son appétence pour le morbide. Mais là, devant la tombe du grand penseur, du grand dirigeant, c'est l'admiration et le sentiment de la dette qui l'emportent. Et c'est à lui, l'admiré, qu'il dit ce qu'il a de plus intime : sa haine mêlée à son amour du monde. Il aime le monde sensuellement, mais ce monde clivé le dégoûte au plus haut point.

 

Et Gramsci, comme personne, a su en dire les clivages, de ce monde. Pasolini vit dans son époque. Il n'a pas les espoirs et les certitudes de son aîné. Il le confesse, "je vis sans rien vouloir". Déjà, dès les années cinquante. Le sentiment de la défaite. Ce sentiment de défaite s'amplifiera quand Pasolini verra, bientôt, la consommation venir tout pétrifier.

 

Mais Pasolini n'est pas Gramsci. Ce n'est pas un lien théorique, ni la "praxis révolutionnaire" qui l'unissent au monde, et en particulier à la classe ouvrière révolutionnaire, mais un sentiment (même si Gramsci insistait sur le lien sentimental qui existait entre les révolutionnaires et les masses, nécessairement). Le peuple, porte la  joie, à son sens. La simplicité et la joie. Oui Pasolini est un intellectuel, de ces intellectuels si prégnants pour faire accoucher l'Histoire selon Gramsci; Mais est-ce un bienfait individuellement ? 

 

"Mais à quoi bon la lumière ?".

 

La vraie raison de vivre, pour Paolo, ce n'est pas la politique. Ce n'est pas la politique populaire, c'est une attirance charnelle pour le monde, où prennent place les hommes, du peuple. Et dans sa déclamation il laisse éclater cette passion, comme une preuve de ce qu'il avance

Mais n'est-ce pas honteux, pour un révolutionnaire, de se laisser aller à de tels élans, alors qu'il y a la Cause ?

 

" Me demanderas-tu mort décharné/de renoncer à cette passion/désespéré d'être au monde ?"

 

Pasolini sait qu'il rend compte à Gramsci mais aussi à un autre, à son frère, résistant mort à la fin de la guerre, dans des circonstances troubles (sans doute dans un règlement de comptes entre communistes).

 

"Est-ce à lui, trop honnête, trop pur, de s'en aller, tête baissée ?".

 

Pasolini me rappelle le Baudelaire de "recueillement", seul, dans la foule ("la multitude vile", vision aux antipodes de Pasolini), déchiré. Mais alors que Baudelaire était déchiré entre le dégoût et les aspirations artistiques qui lui évitaient le suicide, Pier Paolo l'est entre la ferveur de la fête populaire, des sens, et le sens de l'Histoire, dont il sait pourtant, qu'elle est une Histoire de défaite.

 

"La vie est bruissement, et ces gens qui

s'y perdent, la perdent sans nul regret,

puisqu'elle emplit leur cœur ; on les voit qui

jouissent, en leur misère, du soir (...)

Mais, moi avec le cœur conscient

de celui qui ne peut vivre que dans l'histoire,

pourrais-je désormais œuvrer de passion pure, puisque je sais que notre histoire est finie".

 

Pasolini, lui, bien que "triste et las", enlisé dans le passé, orphelin de la grande cause, ne reste pas dans sa chambre, à contempler les "défuntes années en robes surannées" comme Baudelaire. Il plonge dans Rome, dans la foule. Il s'en sait séparé, mais il y trouve une fraternité singulière. Celle du partage d'une condition humaine

 

" Pauvre , merveilleuse cité,

tu m'as appris ce que les hommes,

joyeux et cruels, apprennent, enfants,

 

les petites choses où se découvre

la paisible grandeur de la vie".

 

Pasolini n'a pas son pareil pour filtrer la beauté dans la pauvreté. Il s'y est plongé. Il transforme le sous prolétariat urbain en monde mystérieux, épique. Il rend aux pauvres leur gloire. Il n'a pas besoin pour cela de Marx et Gramsci qu'il a lus. Il a son don poétique.

 

"les lambeaux de papier et la poussière qu'en aveugle le vent entraînait ça et là, les pauvres voix sans résonance, d'humbles femmes venues des monts Sabins, de l'Adriatique, et qui maintenant campaient ici, avec des essaims de gamins durs et amaigris".

 

C'est paradoxalement ici, à Rome, exilé de sa campagne du nord italien, que Pasolini est devenu, en même temps qu'il évoluait dans ce peuple urbain, un intellectuel aux convictions fermes, séparé, donc, de ce peuple, dont il ne veut pas se séparer. A qui peut-il le dire, sinon au fantôme de celui qui théorisa la fonction de l'Intellectuel "organique", dédié à la lutte d'une classe, ce que Pasolini veut être. Bien loin de tout "art prolétarien". C'est à dire dans la sincérité charnelle et non dans la terreur bureaucratique guidant la plume. 

 

Le don du poète c'est de donner sa place au travail humain, au labeur ouvrier, dans la beauté épique du monde, tout comme Homère et Virgile donnaient place aux dieux dans leurs récits terriens

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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12 janvier 2018 5 12 /01 /janvier /2018 21:02
Pause poétique, ô Saisons, ô châteaux (Rimbaud)

Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?

Ô saisons, ô châteaux,

J'ai fait la magique étude

Du Bonheur, que nul n'élude.

Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.

Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.

Ce Charme ! il prit âme et corps.
Et dispersa tous efforts.

Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !

Ô saisons, ô châteaux !

Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.

Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !

- Ô Saisons, ô Châteaux !

 

Pour m'extraire des polémiques vaines sur le puritanisme du temps, qui embolisent l'actualité, je vais reprendre un peu Rimbaud. Ca ou autre chose.

 

J'aime Rimbaud depuis cet été 1991 où j'ai lu attentivement "Une saison en enfer" et "Les illuminations", n'y comprenant rien, sauf que c'était une révolution dans la langue.

 

Aimer un poète prend toute une vie. On y revient, on y revient, on y dépose. Les poésies finissent par déteindre sur votre vie psychique. Il en est ainsi avec "Ô saisons, Ô cchâteaux", qui résonne en moi bien souvent, en fonction de l'humeur. Et ensuite je me demande pourquoi ce sont ces mots qui ont émergé.

 

C'est un poème incroyablement triste, qui est triste comme le sont des poèmes de Villon. Et pourtant il ne se veut pas forcément triste, puisqu'il célèbre aussi un amour. Explicitement, mais aussi par l'hommage à la forme de la poésie de l'Aimé Paul.

 

D'abord ce titre, ce refrain, de poésie trouvère. La rengaine. Charmeuse. Rimbaud était, sans nul doute, un charmeur. Que sont les saisons et les châteaux ? Je me les signifie simplement. Au temps des aristocrates rentiers, on chassait la mélancolie en guettant le temps nouveau qui allait arriver, le simple retour du printemps, ou celui de partir en croisade comme le fit Rimbaud, ou de changer de château. Rien n'y faisait. On y transportait son âme avec soi. Il en est de même aujourd'hui. Ce fol adolescent avait ici les phrases d'un Sage. Le mouvement n'est que chimère, et on peut bien implorer, vainement, l'Espace et le Temps. L'espérance de l'échéance n'est que chimère. Et pourtant il se perdra lui aussi de château en château. Et déjà, jeune, le nord, Paris, Londres. C'est l'âme qui est faillible. Et l'âme, on n'y change rien. On fait avec.

 

Rimbaud a cette manière de radicalité, dans les deux premiers vers, qui déjà constituent un bloc. En deux vers nous avons son parcours. On peut déjà se perdre dans la polysémie. Nul n'élude la magique étude, ou nul n'élude la recherche du bonheur. A vous de choisir. Pour la seconde fois Rimbaud fait preuve de sagesse, c'est rare. Le bonheur c'est le chemin.

 

Et de suite le bonheur c'est l'érotisme. Le coq dressé. Quelle pudeur Arthur.

 

Mais c'est fugace. C'est tout le drame de Rimbaud. Il a tout vu, jeune. Et puis ensuite il n'avait pu qu'à s'épuiser dans le désert. Pour rien. Sans cause. Le départ est déjà là, dès ces textes. Le départ n'est pas un coup de folie.

 

Le regroupement de deux vers, puis deux vers, puis deux vers, donne au poème un aspect lapidaire qui renforce la tristesse de l'ensemble. A force de le lire on s'en pénètre absolument.

Il y a, qui scande, la rengaine de la complainte.

 

Rencontrer l'amour c'est espérer être entendu et compris. Mais non. Même l'amour ne brise pas l'aporie. Mais la polysémie indique que c'est cet être aimé qui inspire, aussi, la parole poétique. Elle vole. Elle s'évapore mais elle plane sur les hauteurs.

 

L'amertume est là.
Le narcissisme conduit à entraîner l'autre, l'aimé, insuffisant, dans la chute. La pulsion de mort réclame aussi de l'autre. Aide moi à aller mal, maintenant.

 

En effet, quelle âme est sans défaut ? Pas celle du génie. Un sale Monsieur. C'est beau et c'est immoral (et je ne peux pas m'empêcher décidément d'en revenir à l'actualité)

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5 juin 2017 1 05 /06 /juin /2017 01:06
Petite pause poétique - avec Alain Bashung -"La nuit je mens"

On m'a vu dans le Vercors
Sauter à l'élastique
Voleur d'amphores
Au fond des criques
J'ai fait la cour à des murènes
J'ai fait l'amour, j'ai fait le mort
T'étais pas née

À la station balnéaire
Tu t'es pas fait prier
J'étais gant de crin, geyser
Pour un peu je trempais
Histoire d'eau

La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Je m'en lave les mains
J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho

J'ai fait la saison
Dans cette boîte crânienne
Tes pensées
Je les faisais miennes
T'accaparer seulement t'accaparer
D'estrade en estrade
J'ai fait danser tant de malentendus
Des kilomètres de vie en rose

Un jour au cirque
Un autre à chercher à te plaire
Dresseur de loulous
Dynamiteur d'aqueducs

La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément
J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho

On m'a vu dans le Vercors
Sauter à l'élastique
Voleur d'amphores
Au fond des criques
J'ai fait la cour à des murènes
J'ai fait l'amour j'ai fait le mort
T'étais pas née

La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Je m'en lave les mains
J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho

La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Je m'en lave les mains
J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho

S'il est un héritier du mouvement surréaliste c'est bien Alain Bashung. Qui peut prétendre au qualificatif de poète sans sourciller.

Il y a ce génie  sous sa plume de conduire un texte selon le principe de deux lignes parallèles, de s'imposer une contrainte au départ, un lien non pensé sans doute, associé, entre deux plans, en maintenant la possibilité d'autres sentiers ouverts.

Ces plans vont servir de structure obligée au développement ultérieur de l'inspiration, et permettre le jeu des associations nouvelles, des analogies, l'auteur se jouant aussi bien du signifiant, du signifié que des sonorités. C'est un texte de chanson, qui plus est, indissociable de la musique qui l'habille.

Dans ce texte superbe, dense et riche malgré sa brièveté, c'est le double fil du souvenir de la résistance et d'une lettre d'amour à une femme perdue, qui est tiré. Mais chez Bashung c'est le signifiant qui est à l'honneur, toujours, d'abord, semble t-il, dans l'inspiration. Comme en une séance freudienne. 

Le double fil n'est sans doute pas simplement un prétexte poétique. L'amour est tout aussi sérieux qu'un combat à mort. Les notions se télescopent, "j'ai fait l'amour, j'ai fait le mort". Et si nous ne sommes plus des héros, il nous reste ce front à vivre. En temps de paix la condition humaine reste ce qu'elle est. Pour autant, le texte évoque aussi la légèreté du présent, cette fois-ci opposée à la résistance d'autrefois ( des kilomètres de vie en rose/station balnéaire/j'ai fait la saison/un jour au cirque).

La dualité entre la gravité et le léger est là tout de suite, par l'opposition entre le glorieux Vercors et le saut à l'élastique . Mais en même temps associer les deux termes est une correspondance, les deux activités de maquisard ou de sportif extrême dansant avec la mort. Sauter évoque inévitablement "faire sauter".

Ce jeu incessant d'opposition-superposition, brillant, est typique de la poétique riche de Bashung. Ainsi l'époque ou "t'étais pas née" évoque à la fois la résistance mais aussi les anciennes vies de l'amoureux.

Il y a ce refrain si beau ou c'est l'homme se souvenant du passé amoureux qui s'assimile au résistant, lui rend hommage plutôt. L'un a menti pour survivre et lutter, l'autre se ment parce qu'il faut continuer à vivre malgré la perte de la femme à laquelle il dédie ces mots. Les deux cachent des mots codés dans leurs bottes. Le menteur c'est aussi l'artiste, qui fait "danser tant de malentendus". La chanson évoque peut-être un échec amoureux lié à la condition d'artiste sur les routes. En tout cas il s'agit d'un artiste, obsessionnel, car même quand il rencontre une autre âme, il reste chanteur, qui "fait la saison dans une boite crânienne".

L'audace du maniement du langage est telle que l'auteur parle d'écho, renvoyant à la montagne alors que la logique, par la conjonction de coordination, renverrait aux "questions". L'association des signifiants est plus importante, dans cette écriture, que la logique. Ce qui rappelle le surréalisme en effet.

Ces plaines de nuit évoquent aussi bien les souvenirs des parcours à travers la France des porteurs de valise, de Moulin, ou de l'armée des ombres de Kessel, que la mélancolie de l'homme sans amour, le regard perdu dans l'obscurité sans fond, livré au seul écho, justement du souvenir.

Le texte abonde de doubles significations possibles. Les criques sont à la fois un lieu majeur de la résistance, là où l'on résiste, mais aussi un élément du paysage des amuseurs saltimbanques comme l'auteur, qui fait danser les gens l'été. Le verbe "subsiste" évoque inévitablement le registre de la résistance. Mais en même temps le souvenir qui ne passe pas. La malhonnêteté intellectuelle a un double visage, celui vertueux du résistant, qui assume de mentir, et celui de l'amoureux malhonnête qui jusqu'ici n'a pas avoué ce qu'il gardait sur le coeur.

La phrase "j'ai fait la cour à des murènes" peut aussi bien évoquer la perdition auprès de filles qui filent entre les doigts que le danger de l'activité clandestine. "Pour un peu je trempais" superpose en un court circuit linguistique l'allusion quasi érotique et la probabilité forte de tomber au combat.

Bashung semble nous dire, qu'il n'est qu'un homme de son époque, mais son imaginaire témoigne de sa pleine mémoire. Elle nourrit son être profond, jusqu'à s'imprimer dans la manière dont il exprime ses sentiments. On est ce qu'on est parce que les autres nous ont légué un inconscient collectif. 

La richesse des évocations est à souligner, et participe des émotions fortes qu'on ressent à écouter Bashung qui percute les évocations et secoue ainsi nos psychés. Par exemple il glisse dans le texte une autre lame de signification autour de la Rome antique (et donc de la mémoire qui s'éloigne), à travers les amphores, le cirque, les aqueducs, ou Ponce Pilate (je m'en lave les mains). Mais quand il cite Pilate, juste après le terme "montagne" peut renvoyer notre inconscient au Sermon qui y fut professé.

Faut-il voir aussi, dans ces magnifiques phrases, " j'ai dans les bottes des montagnes de questions/ou subsiste encore ton écho", une sorte d'aveu historique générationnel ? Nous avançons dans  le noir mais nous sommes forts de l'exemple des héros d'hier dont reste trace. René Char disait lui, pendant la résistance : "notre héritage n'est précédé d'aucun testament".

Face à l'émotion incompréhensible au premier coup d'oeil que Bashung nous procure (comment cela peut-il éveiller ceci en moi, alors que je ne comprends pas vraiment ce qui se dit), nous essayons de fouiller en nous l'écheveau de nos propres associations. Nous écoutons et réécoutons, jamais las des découvertes possibles et de notre liberté de tisser nos propres liens. Un partage sensible unique en son genre. Merci Monsieur Bashung.

 

 

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 11:56
En défense du Nobel de Dylan

Les philistins et pharisiens se drapent dans leur snobisme et nous déclarent que Bob Dylan c'est too much pour le prix Nobel. Et bien moi je m'en  réjouis de ce choix.

La littérature n'est pas une pose. N'est pas un conformisme de plus. La poésie ce n'est pas plus les jardins d'été, les lectures au plein air  avec le petit dépliant qui va bien que ce n'est l'absinthe et les cheveux touffus.  La poésie, qu'est- ce que c'est ? A quoi ça sert pour  utiliser  les termes de l'époque de l'utilitarisme flamboyant ?

La poésie, c'est le glissement de sens dans le langage. Glissement de sens qui ouvre de nouvelles perspectives spirituelles, émotives, intellectuelles. Voila tout.

Peu importe qu'on la chante ou non, et elle n'est point affectée par  le mode de vie du poète, par ses diplômes, ses fréquentations ou son milieu social. Elle  reste la poésie quand elle est poétique. Et si Dylan s'accompagne à la guitare sèche ou plus tard électrifiée, on s'en fiche, il  est un poète majeur . Le comité Nobel l'a souligné : il a ouvert à la poésie de nouveaux champs, incommensurables, en l'infusant dans la pop. C'est-à-dire dans le peuple.

Le fait est que nos livrets de poésie ne se vendent guère. Sous leur  forme classique. Et bien peu seraient capables de citer un poète contemporain. Mais la poésie n'a pas disparu n'en déplaise aux Gargamel de gauche ou de droite . Elle s'est  reterritorialisée au contact de la lame de fond démographique des années soixante, elle a mis à profit ce que Walter Benjamin à identifié comme l'âge de l'art techniquement reproductible, pour s'infiltrer  dans les masses et les inspirer . Combien ont pris un stylo, on couché leurs métaphores sur  papier , parce qu'ils avaient écouté Dylan ?  Patti Smith, messieurs dames du "c'était mieux avant', ce n'est pas "la défaite de la pensée".

La poésie repose sur le glissement et les associations. En se mariant avec la musique, avec la danse, avec l'"éclate", elle a élargi son domaine comme jamais. Elle est devenue démocratique à bien des égards, et au fond c'est cela qu'on lui reproche. Il y a de mauvais auteurs de chansons, il y a toujours eu de mauvais poètes.

Ces frontières sont typiques d'un esprit français qui cloisonne. Notre pays se goberge de sa devise, mais il est profondément marqué par  des structures de l'ancien  régime. La fluidité sociale n'est pas son fort, le corporatisme y  règne en maître, la fermeture est parmi bien d'autres motifs, ce qui le rend malade. Nous en avons ici un symptôme. La culture est loin d'y échapper . Les statuts y pullulent: Ils protègent, oui. Mais aussi de l'altérité. La formation initiale dont on sait le caractère  reproductif y est un moyen de clôture efficace. Imagine t-on ici un Directeur  de musée qui ne soit pas issu du sérail ?

Lisons donc ce que Dylan a écrit, qui prend son plein sens dans la mélodie et l'interprétation bien entendu. Les sources mêlées de Dylan, par leur association, puisant dans le blues, le chant populaire blanc américain, sont en elles-mêmes poétiques. La traduction nous prive des sonorités, malheureusement.

Hé ! l'homme au tambourin, joue-moi une chanson,
Je n'ai pas sommeil et je ne vais nulle part.
Hé ! l'homme au tambourin, joue-moi une chanson,
Dans le cahin-caha du matin je te suivrai

Bien que je sache que l'empire du soir
Soit redevenu sable,
Ait disparu de ma main,
M'ait laissé ici debout privé de vue mais ne dormant pas
encore.

Ma lassitude me surprend,
Mes pieds sont marqués au fer rouge

Je n'attends personne
Et l'antique rue vide est trop morte pour rêver.

Emmène moi faire un tour avec toi sur
Ton magique bateau tournoyant
Mes sens m'ont été enlevés,
Mes mains ne peuvent agripper
Mes orteils trop engourdis pour faire un pas,
Attendent seulement que les talons de mes bottes se mettent
à vagabonder.

Je suis prêt à aller n'importe où,
Je suis prêt à me fondre
Dans ma propre parade,
Lance ton sortilège dansant sur moi
Je te promets d'y succomber.

Bien que tu puisses entendre des gens rire, tournoyer,
Se balancer follement au delà du soleil,
Ce n'est dirigé contre personne,
C'est seulement une fuite en déroute
Et à part le ciel il n'y a aucune barrière à affronter.
Et si tu entends de vagues traces
De bobines de rimes sautillantes
En rythme avec ton tambourin,
Ce n'est qu'un clown en haillons derrière,
Je n'y prêterais aucune attention,
C'est seulement une ombre que tu vois qu'il est en train de
poursuivre.

Puis fais-moi disparaître à travers
Les anneaux de fumée de mon esprit,
Sous les ruines brumeuses du temps,
Bien au delà des feuilles gelées,
Des arbres hantés effrayés,
Dehors vers la plage venteuse,
Hors de l'atteinte entortillée du chagrin fou.
Oui, danser sous le ciel de diamant
Une main s'agitant librement,
Silhouetté par la mer,
Entouré par les sables du cirque,
Avec toute la mémoire et le destin
Enfoncés profondément sous les vagues,
Fais-moi tout oublier d'aujourd'hui jusqu'à ce qu'on soit
demain.

Ça se passe de commentaires. Mais je m'en permets.

Nous avons là de la poésie. La capacité à saisir un esprit du temps, à le projeter dans la nature et à jouer des associations de la matière, à travers sa perception, et des références spirituelles. Dylan annonce justement la pop poétique dans cette chanson, prophétiquement. Il l'annonce et la crée. On y lit toute la mélancolie de l'individualisme. Cet homme au tambourin n'est personne, juste un son dans la ville qu'on capte.

Il n'y a plus rien qui justifie, en ce temps de nihilisme que sont les années d'expansion économique américaine. Plus de conquête de l'ouest, nulle part ou aller, plus de nouvelle Jérusalem en vue. Un monde désenchanté, un "monde fini" selon Valery, où la technique et la science ont abattu les forêts noires du mystère. Il ne reste pour sortir de la déprime que la puissance poétique de la musique qui vient résonner, comme pour Baudelaire, avec les sensations, et transformer le spleen en beauté.

Continuons.

Il y a eu un temps où tu portais des vêtements très chics
Tu jetais alors des petites pièces aux clochards,
n'est-ce-pas ?
Les gens appelaient, disaient,

"Méfie-toi poupée, il est
sûr que tu vas tomber."
Tu pensais qu'ils se moquaient de toi
Avant tu riais de tout le monde qui glandait
Maintenant tu ne parles plus si fort ;
Maintenant tu ne sembles pas si fière
D'avoir à quémander ton prochain repas.

Qu'est-ce que ça fait ?
Qu'est-ce que ça fait
De ne pas avoir de maison,
Comme une parfaite inconnue,
Comme une pierre qui roule ?

Tu es allée à la plus prestigieuse école, mademoiselle
Toute seule,
Mais tu sais, tu t'en es seulement servie comme carburant.
Et personne ne t'a jamais enseigné comment vivre dans la rue ;
Et maintenant tu découvres que tu vas avoir à l'apprendre.
Tu disais que tu ne pouvais jamais te compromettre
Avec le mystérieux clochard, mais maintenant tu réalises
Qu'il ne vend aucune excuse
Quand tu le regardes dans le vide de ses yeux
Et lui demandes : "Est-ce que tu veux conclure un accord ?".

Qu'est-ce que ça fait ?
Qu'est-ce que ça fait
D'être seule au monde,
Sans foyer où revenir,
Comme une parfaite inconnue,
Comme une pierre qui roule ?

C'est un poème dur, implacable, sévère, amer. Sur le mépris de classe. Dans la tradition poétique plus que de la chanson. Elle acte le dégoût d'une société de consommation galopante, prévoit sa précarité intrinsèque. Le poète évoque les sagesses, stoïciennes comme asiatiques. Le désir de réussite sociale n'est qu'une chimère. Nous ne sommes de toute manière que des "Napoléon en lambeaux". L'essentiel est ailleurs, dans le rapport à autrui, là où se joue le bonheur ou pas de l'animal politique. On songe, avec le refrain, à Camus et son mythe de Sisyphe. Gravir la montagne plus vite ne sert à rien, on la redescend, et la voie est d'être attentif à ce qui se passe autour de nous. Le poète manie les symboles, comme la présence contrastée de ce chat siamois qui annonce la chute. Encore une fois, l'évocation de la nature est pleinement signifiante, condensant en une formule -celle de la pierre qui roule- l'absurdité de l'ambition et de l'appétit de richesses.

On continue ? 

Combien de routes un homme doit-il parcourir
Avant que vous ne l'appeliez un homme?
Oui, et combien de mers une colombe doit-elle traverser
Avant de s'endormir sur le sable?
Oui, et combien de fois doivent voler les boulets de canons
Avant d'être interdits pour toujours? 
La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,
La réponse est soufflée dans le vent.

Combien de fois un homme doit-il regarder en l'air
Avant de voir le ciel?
Oui, et combien d'oreilles doit avoir un seul homme
Avant de pouvoir entendre pleurer les gens?
Oui, et combien faut-il de morts pour qu'il sache 
Que beaucoup trop de gens sont morts? 
La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,
La réponse est soufflée dans le vent.

Combien d'années une montagne peut-elle exister 
Avant d'être engloutie par la mer?
Oui, et combien d'années doivent exister certains gens
Avant qu'il leur soit permis d'être libres?
Oui, et combien de fois un homme peut-il tourner la tête
En prétendant qu'il ne voit rien? 
La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,
La réponse est soufflée dans le vent.

Une fois encore c'est dans l'aller-retour entre la contemplation de la nature et la curiosité pour le monde social que se niche la poésie de Dylan l'américain. Grâce au procédé poétique premier de la métaphore, et par les associations;  il parvient à inscrire dans son texte toutes les interrogations métaphysiques et sociales de son temps, qui convergent dans le spleen, encore une fois, et dans un refus moral du monde tel qu'il va. Le spleen ou l'autre nom du blues. La guerre est interrogée, la domination de même. L'absurdité des jeux sanglants humains. Le poète s'étonne devant le manque de lucidité de l'humanité et son déficit d'humilité. La réponse est là, pourtant, simplement. Tout est passager. Le vent nous emportera. L'entropie est la loi de la nature et l'humanité n'y déroge pas.  La réponse est dans la sagesse. Elle est à la portée de la vision de chacun, et la fonction de l'art, par son jeu d'associations, par ce qui est la poésie même, est de le dévoiler.

Trois textes, ici seulement. Tirés de l'odyssée de Dylan. Il mérite bien son Nobel. .

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24 juillet 2015 5 24 /07 /juillet /2015 21:46
La bible païenne - "Les métamorphoses", Ovide
La bible païenne - "Les métamorphoses", Ovide

Le tout début de l'Empire Romain est décidément un miracle littéraire. Cicéron, Virgile, Ovide... Ouah. La question se pose de savoir s'il y a des conditions générales à dégager pour décrire un "bain" propice au génie littéraire. A vrai dire, c'est une question qui reste pour moi sans réponse. Les époques révolutionnaires ne semblent pas propices. On songe plutôt aux reflux. Aux générations perdues. Aux décadences. Aux fleurs sur les ruines. Mais non. Ce n'est pas une loi. En tout cas, cette époque là est bien agitée et on y écrit.

 

Ovide rédige, avec "Les métamorphoses" l'équivalent de l'Ancien Testament, pour les païens. Une somme, qui à travers des dizaines et dizaines de récits emboités, pas forcément linéaires d'ailleurs, contrairement à la bible, nous conduit de la création du monde à l'arrivée, inévitable, de l'Empereur Auguste. C'est qu'Ovide assurait ainsi ses arrières en donnant une telle antériorité glorieuse à son Empereur. Cela ne l'empêchera pas d'être exilé aux confins du monde romain, officiellement pour l'obscénité d'un autre écrit, mais peut-être pour s'être mêlé de politique.

 

Ovide est plus audacieux que Virgile, auquel il se référe de facto, reprenant des épisodes de l'Enéïde - ce récit qui établit le lien direct entre la guerre de Troie et la fondation de Rome-, et le plaçant au niveau d'Homère, mais il est plus lyrique, plus emporté, plus fabuleux aussi. Il y a une appétence d'Ovide pour le fantastique plus poussée.

 

Il y a aussi une ressemblance étonnante avec les Mille et une nuits, livre qui ignore le sacré, par le système d'emboitement des récits et de succession des narrateurs. Sans doute les rédacteurs du livre oriental ont ils été influencés par le poète romain. Je ne serais pas surpris non plus si je tombais sur un entretien de Gabriel Garcia Marquez disant que son "cent ans de solitude" a quelque chose à voir avec la lecture d'Ovide. Encore une occasion de considérer que ceux qui considèrent la culture comme "leur chose" à eux, misérablement identitaire, sont à côté de la plaque. Le génie circule. Il envahit le monde et y sème.

 

Impressionnante somme que ces "métamorphoses" où l'on croise des centaines de personnages, qu'il est vain de vouloir fixer en mémoire. On y voit les Dieux d'abord, puis les hommes, puis des créatures au confluent de la divinité et de l'humanité : nymphes, demi dieux. Des animaux et des créatures étranges, comme les centaures. Un passage mémorable reste un banquet réunissant centaures et amis de Thésée, qui finit en massacre St barthelemien. Ovide savait qu'il resterait éternel avec ce livre. Il le dit lui-même. Il dit qu'il a créé une chose qui échapperait au pouvoir de destruction de l'Empereur et des dieux, même. C'est un aveu prométhéen. L'artiste est un créateur qui se conçoit déja comme le vrai créateur.

 

Les Métamorphoses reprennent des mythes que nous connaissons d'autres sources, comme celui d'Enée, ou de Médée. Mais bien d'autres. Certains viennent de la tradition orale sans doute, et nous léguent énormément de clés de la culture européenne. "Europa" d'ailleurs, est un personnage d'Ovide. Notre langage est parsemé de références ovidiennes et l'on ne sait si c'est le mythe qui vient expliquer le mot - par exemple il semble que ce soit le cas pour le mythe d'Echo, ou pour Renommée- ou si c'est le mot qui s'inspire du mythe - c'est le cas pour Narcisse, ou Dédale.

 

Le récit des origines est frappant de par sa pertinence. En fin de compte les hommes antiques avaient des intuitions proches de ce que découvrira la science. On retrouve le déluge. Qui dira si c'est le fruit de circulations inter culturelles ou d'une très vieille transmission commune aux textes fondateurs ?

 

Les hommes ne commettent pas de faute initiale qui les damne, ils ne sont pas salis. Ils ne sont pas punis . Ils vivent dans un monde dur, voila tout. Et les dieux sont là pour leur rappeler leurs limites. Comme un pressentiment écologiste, même ! on ne joue pas trop avec la nature, ou elle se venge. Les dieux n'aiment pas l'orgueil humain. C'est une leçon constante des mythes. Ils n'aiment pas qu'on se prenne pour un Dieu et en général ils vous le font payer de la mort, ou en vous changeant en pierre ou en oiseau. Etrangement, le livre est criblé de transformations en oiseaux : parfois c'est une punition parfois un hommage. C'en est même lassant. Parfois on se dit : "il va encore finir en oiseau celui-là". Et c'est quand même fréquemment le cas. Une facilité que se permet Ovide. Dans sa luxuriance infinie.

 

Mais les hommes continuent de défier les dieux tout en leur sacrifiant. Les dieux sont puissants, magnifiques, cruels possiblement, mais mesquins, jaloux, inconstants, minables. Surtout Junon qui est la bête noire. Ils ont les mêmes défauts que les humains. Et d'ailleurs on peut devenir un dieu, exceptionnellement, et surtout il y a des tas de demi dieux et surtout des descendants de dieux un peu partout dans les familles. Ils n'ont pas grand chose à dire, en réalité, ces dieux. Ils prennent du plaisir et aiment qu'on les adore. Mais ils n'exigent rien de plus, ils peuvent s'émouvoir aussi, et admirer les héros. Ces Dieux là sont quand même intéressants pour nous, moins oppressants que LE Dieu et toutes les exigences morales et autres diktats. Ils ont tendance, peu à peu, d'ailleurs, puisque les prodiges sont remplacés par les augures, à être moins présents, en tout cas à l'oeil nu. Et ils auraient fini par nous laisser tranquille si le paganisme avait vécu. Même leur enfer, le tartare, n'a rien de bien terrible. Et on peut même y aller faire un tour si on le demande poliment.

 

L'amour romain est bien loin du nôtre. Il se confond avec le rapt. Il se confond avec le viol. Je t'aime, je te poursuis et je te prends. C'est l'époque. Ne jugeons pas par anachronisme ! Surtout que Michel Onfray ne commente pas "les métamorphoses" !

 

Les dieux sont clairement antropomorphiques, ils visent à donner un visage humain à ce monde étrange. Et ainsi à apaiser l'angoisse. Mais le poète semble déja peu dupe de leur existence réelle. Les dieux incarnent, avec un souci du détail tout humain, les aléas de la vie, les passions. Ce sont des métaphores, et il me parait qu'un esprit aussi fin qu'Ovide, aussi raffiné, même s'il respecte la religiosité de son temps, sait au fond qu'il s'agit de poésie. A la fin Pythagore parle longuement. Un personnage réel, surgit, au milieu des Ulysse ou Romulus. Et déjà il parle du réel par hypothèse scientifique et usage de l'empirisme. Les dieux reculent, sans que ce soit vraiment acté, mais on le ressent. Le monde se désenchante. L'athéïsme est déja là. Il est retardé ensuite.

 

La philosophie essentielle des métamorphoses c'est la même que celle... De la pensée chinoise... Tout fluctue. La philosophie héraclitéenne. Celle de pythagore, exposée à la fin. Tout change sans cesse. Il faut vivre avec. Tout se transforme, se recompose. Jusqu'à cette conception du monde qui va jusqu'à voir dans les animaux ou des arbres des reconfigurations d'anciens héros. On retrouve, et cela Mircea Eliade l'avait noté, des liens avec les vieilles religiosités chamaniques. Les esprits des hommes vivent dans les bêtes.

 

Mais dans chaque petite histoire narrée il y a une sagesse. Celle d'Icare parmi tant d'autres. N'approche pas trop du soleil.

 

On peut aussi être frappé de la capacité du romain à jouer du genre. On croise dans les Métamorphoses des transexuels en veux tu en voila, des hermaphrodites. On y croise l'inceste, fréquemment aussi. On parle des tabous, directement. On ne se ménage pas. Pas de morale lourdingue, mais de la tragédie. Tu transgresses, tu paies. Mais le désir est premier. Le désir est omniprésent. Le désir est dramatique. Le désir n'est pas "mal", il peut juste être mortel. Et le condamné a sa mémoire et sa statue de pierre.

 

Enfin il y a cette évidence qui saute aux yeux, et qu'Ovide manifeste, comme son prédecesseur presque immédiat Virgile : les romains se considèrent comme les continuateurs des grecs. Ils ont le même panthéon, et leur mythologie est fusionnée avec la leur. Il n'y a aucune rupture, d'un point de vue des représentations, entre le monde grec et le monde romain. L'autre, c'est eux. Le contraire du nationalisme. Les romains se revendiquent de leurs prédecesseurs, d'une autre terre. Une noblesse d'âme totalement étrangère à notre époque, si on écarte des exceptions comme le retour aux sources des afro américains, ou le mythe éthiopien en jamaïque, mais dans des conditions qui sont celles d'un peuple dominé, et non du peuple dominant le monde comme c'est le cas pour Rome.

 

Y a t-il un sens à la vie ? Non. Pas chez Ovide. Sinon la grandeur. Celle d'Achille, d'Hercule, de Persée. Rome est la grandeur. C'est déjà mieux que l'idéal du Rien. Du prochain produit. Rome avait il ses fanatiques ? Il semble que non. Les temps héroïques ne produisent pas de rejet fanatique.

 

 

 

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4 avril 2015 6 04 /04 /avril /2015 19:34
Apprendre à mourir (petite pause poétique, "le vent nous portera")
Apprendre à mourir (petite pause poétique, "le vent nous portera")

 

Quelle est la différence entre une poésie et une chanson ?

 

Et bien, une chanson est faite pour être jouée, et une poésie pour être lue. Simplement.

 

Mais on peut lire tous les textes de chanson.

Alors ? Zaz n'est pas de la poésie. On le sent, on le sait. Pas simplement parce que c'est du marketing. Mais aussi par sa substance littéraire.

 

Alors pour s'y retrouver, on est obligé de se demander ce qu'est la poésie. Pour le dire simplement, il me semble, et je m'en tiens à cette petite formule depuis longtemps, que c'est le glissement de sens. Le maniement du glissement de sens pour parvenir à dire. Dire ce qui ne peut pas se dire aussi bien en tout cas, sans le glissement du sens. Sans les rapprochements, les fameuses "correspondances" baudelairiennes, que la poésie implique. La poésie opère par bricolage du sens, du rapport entre les signifiés et les signifiants, pour que surgissent des émotions et des compréhensions. Comme le metteur en scène use du point de vue visuel et de la lumière, pour faire surgir et parler encore d'autres versants de notre vie sensible et intellectuelle.

 

Ainsi une chanson poétique est toujours sublime. Car non seulement elle nous envoûte de par le glissement de sens, mais en plus elle met sa robe de mariée de musique. Elle travaille sur plusieurs niveaux de notre sensibilité. Et le génie est de les harmoniser.

 

Cette petite pause poétique dans ce blog sera ainsi consacrée à une chanson, à mon sens une des plus belles des dernières décennies françaises. "Le vent nous portera" de Noir Désir.

 

Cette chanson est dans un album très sombre sorti le 11 septembre 2001. Coïncidence trouble. D'ici à dire que les artistes sont dotés de prescience, je ne me risque pas. L'essayiste Jean François Bayard en développe l'hypothèse dans un bel essai chroniqué sur ce blog : "Il existe d'autres mondes".

 

La chanson de Noir Désir est magnifique. Elle tient du poème romantique, recèle certaines influences surréalistes ("génétique en bandoulière/des chromosomes dans l'atmosphère"). Et surtout, c'est un très beau poème philosophique. Cantat s'y essaie à la Sagesse. A la Sagesse stoïcienne en particulier. Et on entend dans cette chanson comme un écho lointain d'une autre, "cities in dust" de Siouxsie and the banshees, ce qui est tout à fait possible le post punk étant une influence évidente de Noir Désir.

 

C'est une chanson sur l'entropie généralisée du monde. La décomposition. La nécessaire acceptation de cette décomposition, par l'art justement. Chanter cette chanson c'est apprendre à mourir en sublimant son angoisse d'Etre pour la Mort.

 

L'auteur n'a pas peur de la route. De la vie. Cormarc Mac Carthy fera de cette métaphore là un des plus beaux romans de notre début de siècle. Mais on ne sait jamais, "faudrait voir". Les stoïciens se réservent toujours la possibilité du pas de côté. De la mort volontaire au cas où ca tourne mal. Il faut tout de même être un roseau qui plie mais ne rompt pas, et accepter les blessures et leurs cicatrices, ces "méandres au creux des reins". La mort n'est rien. Rien ne suffit même pas à la qualifier. Tout ira bien, c'est certain. C'est la seule certitude même.

 

Tout disparait, mais rien ne disparait vraiment, car la cendre revient au cosmos. Tout revient dans l'ordre naturel, en se dispersant. Et si nous ne laissons pas de traces dans nos vies, nous en laissons tout de même à ce titre. Tout ce que l'on fait dans sa vie, résonne dans l'Eternité dit le général Romain baigné dans l'hégémonie stoïcienne, pour encourager ses troupes. Une forme d'immortalité nous est donnée, si nous nous comprenons comme des cellules dans l'univers. Si nous cessons de nous regarder comme Narcisse. Si nous nous concevons dans le Tout. Toutes les sagesses y convergent.

 

Donc, on peut occuper sa vie en parlant à la vie. Le message à la Grande Ourse. Figure maternelle. La mort comme un retour à l'origine. L'enfance. Cette chanson (et la musique en témoigne aussi) est empreinte de mélancolie enfantine, et de cette idée que la mort boucle la boucle.

 

De la vie sur la route, de cette trajectoire, surgit fugacement la beauté. Inévitablement éphémère. Et Cantat de trouver cette sublime expression :

 

"Instantané de velours".

 

Qui évoque le ciel. Siège de la beauté la plus évidente mais aussi source de toutes les questions métaphysiques que la chanson s'efforce d'apaiser.

 

La beauté ça ne sert à rien non. Ca ne va pas résoudre l'équation impossible. Ca ne va pas colmater la faille de notre condition.

 

La route sera agitée. Par les tumultes d'Eros et Thanatos, la caresse et la mitraille (association sonore grinçante). Mais même tout cela sera balayé de toute façon. Ca n'a pas de quoi nous inquiéter autant que cela. Puisque c'est bientôt en ruine et dispersé. Même ce malheur d'être doté d'une conscience réflexive, qui confère une mémoire, et la capacité de fantasmer. L'Etre du Projet. Ce malheur de devoir faire face à un désir beaucoup plus complexe que les autres animaux. Même cela, qui nous rend capable de la mitraille, nous en serons délestés. La conscience réflexive nous condamne à sortir sans cesse du présent, à ne jamais être dans le présent. A ne chercher qu'à fuir ou à rejoindre "le palais des autres jours", les souvenirs ou les espoirs. Le présent, c'est la musique. La douce musique de la chanson. Que l'on peut réécouter autant de fois que l'on veut. Qui réconcilie l'espace et le temps.

 

Autrefois du moins étions nous enclins à l'enchantement.

Autrefois, c'est avant la science. Influence romantique.

Autrefois c'est l'enfance. Influence psychanalytique.

Cette consolation nous ne l'avons plus. Nous savons même ce qu'il en est du mystère de la vie et de la mort. Et nous ne pouvons même plus sérieusement nous émerveiller de l'Enigme. Nous avons décrypté l'ADN. L'enfant qui joue au cow boys porte génétique en bandoulière quand il devient vieux et qu'il meurt. Il a grandi et sait comment fonctionne l'espace, il maîtrise la technologie et décrypte l'univers. Le génie de la lampe est en blouse blanche. La magie n'est plus secourable et l'enfant mélancolise encore. A la Grande Ourse maternelle il demande :

 

"Et mon tapis volant, dis"

 

Donc, qu'importe la vie qu'on a ? Une seule dans une infinité. C'est à dire rien. C'est à dire si peu de différence. Pourquoi s'en plaindre ? Epictète et Marc Aurèle ne cessent de nous en persuader. Tu es un point dans l'univers. L'Empereur aussi. Un point sur la ligne du temps. Rien. Et tout est recouvert très vite par les cendres de Pompéi. Il nous revient donc d'accepter. L'acceptation. C'est la voie unique. Faire avec son destin.

 

Mais il est normal que l'angoisse t'étreigne. La philosophie ne t'en fera pas grief. Elle essaie juste de t'aider. La "marée monte" à double sens. Comme nausée et comme usure et fin inéluctable qui se rapproche.

 

Alors quoi ? Alors un peu d'amour. Pour trouver la force d'aller au bout de la route. Du moins la poussière se mélangera à la poussière éternellement. Dans l'ordre naturel de l'univers. Contre lequel il n'y a pas à protester.

 

 

Je n'ai pas peur de la route
Faudrait voir, faut qu'on y goûte
Des méandres au creux des reins
Et tout ira bien

Le vent l'emportera

Ton message à la grande ourse
Et la trajectoire de la course
A l'instantané de velours
Même s'il ne sert à rien là

Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera

La caresse et la mitraille
Cette plaie qui nous tiraille
Le palais des autres jours
D'hier et demain

Le vent les portera

Génétique en bandoulière
Des chromosomes dans l'atmosphère
Des taxis pour les galaxies
Et mon tapis volant dis

Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera

Ce parfum de nos années mortes
Ceux qui peuvent frapper à ta porte
Infinité de destin
On en pose un, qu'est-ce qu'on en retient ?

Le vent l'emportera

Pendant que la marée monte
Et que chacun refait ses comptes
J'emmène au creux de mon ombre
Des poussières de toi

Le vent les portera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 01:11
La violence en poésie - Marina Tsvetaeva (intermède poétique)
La violence en poésie - Marina Tsvetaeva (intermède poétique)

Qui nous dira que la poésie est affaire de satin, coussinets et sainte nitoucherie ? Se croit-on particulièrement endurci quand on parle de "poésie urbaine" parce qu'on prend un accent macho et qu'on a un battle dress ? Plaisanteries. La poésie c'est aussi la violence, depuis toujours. Le cri violent. Sa forme. Qu'on y retourne, auprès de ceux qui écrirent depuis le Feu, avant de présenter la poésie comme une forme surannée de discours sur les fleurs et les petits zoziaux. Non. Chacun peut y trouver sororité, fraternité, dans l'expression de nos vérités les plus extrêmes.

 

Elle finira pendue. Dans un acte suicidaire violent. Elle sera morte comme elle aura écrit. Une poésie violente, sans retenue.

 

Où se réfracte en son style fulgurant, d'éruption, d'urgence, d'éclats de verre de vitrail russe, ultra moderne, toute l'accélération démente de cette première moitié du XXeme siècle, où sa Russie quittée puis rejointe explose en tous sens et se développe à marche forcée, où l'acier et le feu sortent partout de terre et ravagent l'humanité.

 

Marina Tsvetaeva est fille de son temps, artiste reflet de son époque jusque dans son rythme, mais n'y survivra pas. Balayée comme la plupart des siens. Comme nombre de poètes européens ou russes dont la sensibilité et l'intégrité n'auraient pas pu survivre à ce passage là, celui de la politique comme totalité et de la guerre comme totalité politique. Rien d'indépendant, de doux et de libre ne devait être préservé. A cette époque brutale inouie répond un cri magnifique et déchirant. Alors que le feu s'abat sur la russie par un retournement du pacte de fer, Marina T en finit, séparée de ses amis atomisés comme poussière humaine, poussière d'un génie sacrifié au triomphe de la totalité, les immenses Mandelstam, Akhmatova, Pasternak. L

 

Les "grands budapest hôtel'" qui pourraient abriter l'esprit et la civilisation finissent, comme chez Wes Anderson, par être violés par la vulgarité barbare.Y résonnent les bruits des bottes malgré les profonds tapis engourdis, et Marina T. y est une dangereuse intellectuelle, qu'on sait trop libre, surveillée. Se soumettre, abdiquer, collaborer, ou mourir, d'une manière ou d'une autre, ou prendre le maquis comme Char. Jouer au chat et à la souris avec "le maître et marguerite", puis chuter, comme Boulgakhov. Et Zweig lui aussi en finit. Avant Marina. Si près, si loin, de Walter Benjamin. Après Maiakowski.

 

Epoque d'acier assassin qui d'abord plonge, comme pour s'échauffer, sur l'Espagne et les tchèques abandonnés. Marina T. hurle.

 

Ô pleurs d'amour, fureur !
D'eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !

Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet

Refus d'être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d'y vivre
Avec les loups régents

Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus
.

 

"Les dos en chaîne".

Vision prophétique de l'horreur qu'appellent déja les scènes espagnoles. La guerre moderne est devenue guerre d'extermination, qui tue plus de civils que de militaires. Elle ira au bout de cette logique, par la planification industrielle de l'élimination.

 

"Sachez que les fleuves reviennent".

Quelques années avant la nouvelle guerre fatale, dix ans avant, il y a, malgré tout -la première guerre, la Civile-, encore un peu d'espoir. Celle d'un monde qui malgré tout continue. Une nature qui suit son cours. Imperturbable, insubmersible au sang. Malgré les pires horreurs, dont la mort des enfants. La rédemption, même, est imaginable. Les yeux morts restent des diamants, le monde est encore beau, en dépit de tout. L'ombre n'a pas tout englouti.

 

Deux lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs

Carbonisés — fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.

Terrifiants ! Flammes et ténèbres !
Deux trous noirs.
C'est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !

Peur et reproche, soupir et amen...
Le geste grandiose...
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.

Alors sachez que les fleuves reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu'encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —

Deux soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.

 

Ce qui délie définitivement le dernier espoir, c'est la séparation. L'insulte suprême faite aux liens. Leur dissolution. La mort de son propre enfant au premier chef. Alors il ne reste plus rien pour s'accrocher à ce monde. On n'en voit que la saleté et l'horreur. Quand Pasternak est loin puis se soumet. Quand on exile et qu'on vide les vies de leur sens. D'Etre avec.

 

Dis-tance : des verstes, des milliers...
On nous a dis-persés, dé-liés,
Pour qu'on se tienne bien : trans-plantés
Sur la terre à deux extrémités.

Dis-tance : des verstes, des espaces...
On nous a dessoudés, déplacés,
Disjoint les bras — deux crucifixions,
Ne sachant que c'était la fusion

De talents et de tendons noués...
Non désaccordés : déshonorés,
Désordonnés...
Mur et trou de glaise.
Écartés on nous a, tels deux aigles —

Conjurés : des verstes, des espaces...
Non décomposés : dépaysés.
Aux gîtes perdus de la planète
Déposés — deux orphelins qu'on jette !

Quel mois de mars, non mais quelle date ?!
Nous a défaits, tel un jeu de cartes !

 

Vivre dans le feu, oui. Mais pas sans les siens.

 

Elle aura tenu bien longtemps, et montré que la vie est acharnée, tout de même, celle qui pouvait dire :

 

«Dans mes veines coule non pas du sang mais de l'âme".

 

Le temps de transformer sa souffrance en oeuvre. Dans toute bonne librairie. Finalement le fleuve aura continué de charrier.

 

 

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13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 20:31

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" Enée aiguisa Mars en son coeur"... 

 

... Jamais on ne se lassera du génie antique. En tout cas on ne devrait pas. Une telle petite phrase, issue de "l'Eneïde" de Virgile recèle tant d'intelligence, en ce qu'elle démontre, justement, la capacité de la culture antique à penser métaphoriquement l'univers. C'est cette intelligence là qui inspirera tant des Racine, Nietzsche ou Freud.

 

Les Dieux sont là, omniprésents, dans les Chants que Virgile consacra au mythe d'Enée. Mais ils n'ont rien de véritablement transcendants. Ils ressemblent plus à des métaphores du hasard, des pulsions, des phénomènes naturels. Comme si les grecs et les romains, dépourvus de notre science, avaient quand même largement subodoré la fragilité de la divinité comme source d'explication du monde, mais restaient incapables de tuer les Dieux, faute d'une suffisante compréhension de leur environnement. Ils désenchantent le monde, l'air de rien.

 

Les Dieux y sont contradictoires, inconstants, largement impuissants eux aussi, même Jupiter. Ils se querellent comme des enfants, sont pétris de défauts, sont mesquins et trichent, puis se comportent comme des enfants pris les doigts dans le pot de Nutella. On les honore sans trop savoir si ça sert à quelque chose. On consulte les augures, on sacrifie sans cesse des bêtes (on les mange quand même après...) et on cherche les présages, mais c'est pour s'encourager au fond, on parle de "destinée" mais tout se passe quand même comme si rien n'était jamais joué jusqu'au bout. Les Dieux se mêlent aux hommes, ils y sèment des demi dieux. On a là comme une prescience du grand retournement qui fera de l'homme le vrai jupiter. En cela la Renaissance humaniste est bel et bien un retour aux sources antiques.

 

Le polythéïsme, qui est cohérent avec toute cette incertitude des destinées, ces luttes entre raison et passion, entre affect et affect, était plein de sagesse, d'une sagesse qui attendait son heure. Le monothéïsme n'a pas été une bonne affaire pour l'humanité il me semble, même si évidemment le bilan n'est pas si caricatural...

 

Virgile a écrit l'"Eneïde" comme une oeuvre de propagande pour Rome et pour Auguste. Il s'agissait de démontrer que Rome avait pour ascendance la glorieuse Troie et que son chef descendait d'une glorieuse famille, qui a mêlé son sang aux dieux. Mais ce que Virgile démontre surtout, c'est l'ascendance culturelle des ennemis de Troie, les grecs triomphants, sur les romains. Car l'Eneide est une tentative, réussie, même si Virgile n'a pas la puissance d'évocation ni l'audace d'Homère, de donner à Rome son Illiade et son Odyssée

 

D'ailleurs c'est à Troie fumante que commence l'Eneïde. Enée -Demi Dieu- quitte Troie avec son père Anchise et son fils Ascagne pour, selon les voeux de Jupiter et de Vénus sa mère, refonder une nouvelle Troie, ou une nouvelle Pergame (bâtie par les troyens autrefois) en ce pays lointain qu'est l'Ausonie, où règle le roi Latinus. L'Eneïde condense une Illiade et une Odyssée. On y suit le périple périlleux, qui croise sans le rencontrer celui d'Ulysse sur la mer au même moment, des Enéades. Et une fois débarqués en Italie, livrée aux fureurs de mars, on y trouve un récit épique de guerre où Enée le Dardanéen et Turnus le Latin sont les successeurs d'Achille et Hector. Sans cesse les dieux, sous la conduite concurrente de Junon et de Vénus, interfèreront dans les affaires humaines, mais jamais de manière omnipotente. Jupiter arbitre, et si sa faveur va à Enée, en contrepartie du drame troyen, il tergiverse.

 

Les aventures des troyens sont nombreuses, agréables à suivre sous la main de Virgile certes plus austère que celle de son prédécesseur grec. Les troyens devront patienter et connaitre bien des désillusions et des deuils avant de toucher la terre promise et là encore ils devront payer un lourd tribut. Enée, le héros, ne reculera devant rien, allant même jusqu'au domaine des morts dont Virgile nous gratifie d'une visite de fond en comble.

 

Admirable est la modernité de ces chants. Y compris sur le plan formel. La construction est complexe, audacieuse, on y joue des flask backs et des anticipations, ce qui prouve que les romains avaient un beau recul sur le concept de Temps. Sans cesse les héros du présent sont enserrés dans les tenailles du passé et de l'avenir. Le narrateur adopte des formes différentes, il inclut des monologues, il navigue dans l'espace temps, il pratique l'ellipse, il nous propose des piqûres de rappel. Il s'adresse parfois à nous, parfois aux acteurs, parfois donne la parole longuement aux héros. Un large éventail littéraire.

 

Au passage on découvrira que l'amour passionnel n'est pas apparu au moyen âge avec les troubadours bien sûr... Ni le désespoir, ni la tristesse de perdre ses proches, ni la conscience de la valeur de la vie humaine (qu'on nous dit fille du christianisme). La reine Didon saute dans le feu, folle de malheur de se voir quittée par son amant Enée qui doit respecter ses voeux de trouver la nouvelle terre. On est là dans le drame romantique.

 

Dans ce grand songe qui ne s'embarasse pas de réalisme, la guerre apparaît comme un malheur et un bon compromis est ce qu'il y a de plus souhaitable. On pleure les morts.

 

Un petit regret : Virgile est très attentif aux hommes, à leurs accoutrements et leurs trophées, aux cadeaux qu'ils donnent et reçoivent, et moins à la méditerrannée et à la nature, singulièrement absentes. Virgile est très politique, trop politique. Virgile n'a pas le génie d'Homère, il est un ton en dessous. Mais il le sait, il se place sous sa statue en écrivant ces chants.

 

Mais quel bonheur de retrouver ce théâtre des opérations qui a des airs de cousinage avec le surréalisme !

 

 


 

 

 

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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 00:46

1004035-Christine_de_Pisan-copie-1.jpg Christine de Pisan, qui vécut les temps peut-être les plus agités de la guerre de cent ans : la guerre civile entre armagnacs et bourguignons en particulier, la reconquête ensuite, est la première femme de lettres française identifiée par nos historiens (certes venue d'Italie). La première intellectuelle féministe, engagée sur le front de sa propre légitimité à écrire, à travers des polémiques avec les sachants de son temps. Ceci suffirait à faire d'elle une figure émouvante.

 

Mais il y a surtout son oeuvre. Très ample. Et ce petit poème, que j'insère dans sa version "old school".... Je précise entre parenthèses quelques éléments de traduction au cas où... (enfin ma traduction personnelle, hein...).  

 

 

La grant doulour que je porte
Est si aspre et si tres forte
Qu'il n'est riens qui conforter
Me peüst ne aporter                     (m'apporter du réconfort)
Joye, ains vouldroie estre morte.

Puis que je pers mes amours,
Mon ami, mon esperance
Qui s'en va, dedens briefs jours,
Hors du royaume de France

Demourer, lasse ! il emporte     (demeurer, hélas...)
Mon cuer qui se desconforte ;    (mon coeur qui se désespère)
Bien se doit desconforter,
Car jamais joye enorter             (jamais ne peut me conseiller de joie)
Ne me peut, dont se deporte      (ce qui me prive)
La grant doulour que je porte.

Si n'aray jamais secours     
Du mal qui met a oultrance
Mon las cuer, qui noye en plours    (mon coeur las)
Pour la dure departance                (la dure absence)

De cil qui euvre la porte                  (celui qui ouvre la porte)
De ma mort et que m'enorte         (qui m'exhorte)
Desespoir, qui raporter
Me vient dueil et emporter
Ma joye, et dueil me raporte
La grant doulour que je porte

 

Christine de Pisan a perdu son époux et en a conçu un chagrin insondable. Qui s'exprime ici de manière poignante par delà les siècles. On parlerait de "dépression situationnelle" aujourd'hui. Notre Dame parle plus simplement de grande douleur. Quel beau poème lancinant dont le rythme, aboutissant toujours à cette répétition et ce retour de "la grande douleur que je porte", est tellement éloquent. Les sonorités sont maîtrisées à l'instar d'un poète moderne.

 

C'est tout le mystère et l'attrait de cet âge médiéval que cette coexistence singulière entre la barbarie d'un état de guerre permanent, les folies sanglantes des écorcheurs qui ravageaient la France (non qualifiées de folies d'ailleurs), la régression (l'humanité aurait pu disparaître pendant la grande peste) et le raffinement. Entre la violence et la sensibilité la plus haute. Il est émouvant, enfin à mon sens, de trouver au carrefour des 14 eme et 15 eme siècle, de tels sentiments ainsi exprimés. L'humanité est un devenir certes, mais sur ce chemin il y a de beaux messages d'annonciation. On pourrait reculer bien plus loin encore - par exemple jusqu'au cantique des cantiques, en faisant étape chez l'amour courtois en Langue d'Oc auparavant - et retrouver ces promesses. Mais ici c'est une femme qui tient la plume et signe de son nom. Ne craignant pas d'affirmer sa parole et de prétendre qu'elle parle à tous. Christine de Pisan connaîtra d'ailleurs le succès en son époque.

 

On dit souvent que la dépression est le mal du siècle, mais elle a eu ses moments dans l'Histoire avant de s'imposer à grande échelle. Aristote disait en substance que lorsqu'on a résolu ses problèmes de survie - ce qui est le cas pour la noblesse - on commence à être disponible pour barjoter... Mais que sait-on de la santé mentale du peuple médiéval ? Si peu. On ne sait pas si la difficulté à survivre suffisait à chasser la souffrance morale. Ces poèmes sont-ils les témoins d'une mélancolie singulière en son temps ou plus commune ? Il nous faudrait une Histoire de la tristesse. Peut-être existe-t-elle d'ailleurs ? Je chercherai. 

 

Chez Pisan le romantisme est déjà là. Chopin est déjà là. Dame Christine est une géante oubliée.

 

C'est aussi une époque où l'art littéraire commence, sans doute plus franchement (mais je ne suis pas spécialiste d'histoire littéraire) à être introspectif. Moins considéré comme un exercice de style destiné à divertir l'aristocratie. C'est de soi qu'on parle, et affleure cette idée qu'en parlant de soi on parle à tous, parce que chacun a sa subjectivité et sa part d'humanité, on dira plus tard de raison. L'humanisme de la Renaissance est tout près. Il arrive. Dame Christine en est une avant garde.

 

Je ne résiste pas à vous copier un de ses rondeaux sur le même thème de la tristesse liée à la perte de l'amour. Car la poésie et le chant ne s'étaient point séparés.

 

Je ne sais comment je dure,
Car mon dolent cœur fond d'ire

Et plaindre n'ose, ni dire
Ma doleureuse aventure,

Ma dolente vie obscure.
Rien, hors la mort ne désire ;
Je ne sais comment je dure.

Et me faut, par couverture,
Chanter que mon cœur soupire
Et faire semblant de rire ;
Mais Dieu sait ce que j'endure.
Je ne sais comment je dure.

 

Barbara est la lointaine petite fille de Christine de Pisan. N'est-ce pas ?

 

 
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18 août 2012 6 18 /08 /août /2012 12:14


peinture-klimt-les-vierges-tableaux-jean-jacques-rio-galeri.jpg 

Jours de canicule.

Il en est même difficile de lire. Je suis dans un profond roman qui m'est tombé dessus comme ça, venu du ciel. Mais trop tôt pour en parler, ce sera pour la prochaine.

 

... Donc : petite pause poétique !!! Eh oui !

 

Les féministes, enfin celles qui sont d'un esprit raffiné et subtil - il y en a beaucoup fort heureusement (mais le féminisme, souvent appréhendé sommairement pour pouvoir le caricaturer, est parcouru de débats dantesques et de tendances philosophiques sérieusement divergentes) - distinguent souvent machisme et virilité. Ainsi elles parviennent à penser l'égalité dans la différence. Pas une différence statique, figée, d'essence éternelle, ou même tout à fait monolithique, non. Mais une différence tout de même, aux sources diverses et encore mystérieuses (et pourquoi pas !), qui fait aussi (beaucoup à mon sens) le prix de notre présence commune dans l'humaine condition. Ces femmes ne demandent pas aux hommes de renoncer à la virilité bien au contraire. Bon... Encore faudrait-il cerner de quoi il s'agit.

 

Le poème de l'américain Walt Whitman"une femme m'attend", peut peut-être nous y aider un peu. 
Voyons cela. De toute façon aujourd'hui il fait 435 degrés et vous ne devez pas vous agiter sous peine de déshydratation, alors... Laissez vous porter. Je vous préviens, c'est un peu "Hot" quand même... Laissons nous tomber dans les "Feuilles d'herbe" du poète :
 

"Une femme m’attend
Une femme m’attend, elle contient tout, rien n’y manque;
Mais tout manquerait, si le sexe n’y était pas, et si pas
la sève de l’homme qu’il faut. Le sexe contient tout, corps, âmes,
Idées, preuves, puretés, délicatesses, fins, diffusions,
Chants, commandements, santé, orgueil, le mystère de la maternité,
le lait séminal, Tous espoirs, bienfaisances, dispensations,
toutes passions, amours, beautés, délices de la terre,
Tous gouvernements, juges, dieux, conducteurs de la terre,
C’est dans le sexe, comme autant de facultés du sexe, et toutes
ses raisons d’être.

Sans doute, l’homme, tel que je l’aime, sait et avoue les délices
de son sexe, Sans doute, la femme, telle que je l’aime, sait et
avoue les délices du sien.

Ainsi, je n’ai que faire des femmes insensibles,
Je veux aller avec celle qui m’attend, avec ces femmes qui ont le sang
chaud et peuvent me faire face, Je vois qu’elles me comprennent et
ne se détournent pas.

Je vois qu’elles sont dignes de moi. C’est de ces femmes que je veux
être le solide époux. Elles ne sont pas moins que moi, en rien;
Elles ont la face tannée par les soleils radieux et les vents qui passent,
Leur chair a la vieille souplesse divine, le bon vieux ressort divin;
Elles savent nager, ramer, monter à cheval, lutter, chasser, courir, frapper,
fuir et attaquer, résister, se défendre.

Elles sont extrêmes dans leur légitimité, - elles sont calmes, limpides,
en parfaite possession d’elles-mêmes. Je t’attire à moi, femme.

Je ne puis te laisser passer, je voudrais te faire un bien;
Je suis pour toi et tu es pour moi, non seulement pour l’amour de nous,
mais pour l’amour d’autres encore, En toi dorment de plus grands héros,
de plus grands bardes.
Et ils refusent d’être éveillés par un autre homme que moi.
C’est moi, femme, je vois mon chemin;
Je suis austère, âpre, immense, inébranlable, mais je t’aime;
Allons, je ne te blesse pas plus qu’il ne te faut,
Je verse l’essence qui engendrera des garçons et des filles dignes
de ces Etats-Unis; j’y vais d’un muscle rude et attentionné,
Et je m’enlace bien efficacement, et je n’écoute nulles supplications,
Et je ne puis me retirer avant d’avoir déposé ce qui s’est accumulé
si longuement en moi, A travers toi je lâche les fleuves endigués
de mon être, En toi je dépose un millier d’ans en avant,
Sur toi je greffe le plus cher de moi et de l’Amérique,
Les gouttes que je distille en toi grandiront en chaudes et puissantes
filles, en artistes de demain, musiciens, bardes; Les enfants que
j’engendre en toi engendreront à leur tour, Je demande que des hommes
parfaits, des femmes parfaites sortent de mes frais amoureux;
Je les attends, qu’ils s’accouplent un jour avec d’autres, comme
nous accouplons à cette heure, Je compte sur les fruits de leurs
arrosements jaillissants, comme je compte sur les fruits des
arrosements jaillissants que je donne en cette heure.
Et je surveillerai les moissons d’amour, naissance, vie, mort,
immortalité, que je sème en cette heure, si amoureusement."

 

....

(Vous vous dites sûrement, là Walt il est un peu parti... Eh oui, c'est vrai qu'il a un peu lâché prise... Mais c'est un poète que voulez-vous...)

 

Dans ce poème, Whitman assume son désir et il s'empare de la femme qui l'attend. Elle l'attend parce qu'elle aussi a ce désir. L'homme viril sait qu'il y a un désir féminin et pas un objet de son désir, ou un être qui conssent, fataliste, à son désir, et cela le rend heureux. Mais sa virilité, justement, est dans la dignité de son propre désir. Dans la pleine conscience de l'intégrité de la femme et de la réciprocité. L'homme digne de ce nom n'a rien de commun avec un misérable lubrique, appauvri par son unilatéralisme minable. Ce qui l'attire avant tout, c'est la richesse infinie de cette femme qui l'attend.

 

Whitman réconcilie, loin des gnostiques et leurs héritiers, le corps et l'esprit. Le sexe est beaucoup plus que le sexe, on se trompe en essayant de le rendre annexe, d'en faire un plaisir seulement particulier. On se trompe évidemment en le salissant, en le rendant honteux et coupable, ou même inférieur à on ne sait quelle dimension (attention honte et pudeur n'ont rien à voir, et Whitman s'il est viril, est pudique). Car le sexe a partie liée avec la grandeur du monde.

 

L'esprit s'étend au monde charnel. C'est pourquoi l'usage du corps est tellement lié à l'amour. On peut évidemment penser, et on aura pas totalement tort, que l'amour est un piège tendu à la conscience pour lui faire accepter le sexe et la reproduction. Mais avec les êtres humains, qui ont tout compliqué depuis leur sortie de l'animalité, la dialectique n'est jamais loin : le sexe ouvre aussi, pour les êtres qui ont la chance de cette perception (comment on y parvient, pourquoi on ne le ressent pas, ce sont de vastes questions), sur de nouveaux continents de l'amour. Aux êtres non prosaïques tout est permis, et Walt W nous montre le chemin possible à travers ces belles accumulations qui peuplent ses vers.

 

La sensualité n'est pas une tare ou une faiblesse mais un des signes de la grandeur d'une femme. Whitman ne "veut pas des femmes insensibles", car c'est dans la manifestation de la chair que toute la vérité du monde est accessible à l'homme et au poète. La chair ne se suffit pas, l'esprit ne se suffit pas, la vraie vie c'est leur unité et nous pouvons y parvenir car nous avons tout pour cela, chaque être humain.

(Ca le fait non ? Ne vous plaignez pas !)

 

Le sexe c'est naturel bien entendu. Et WW l'intègre dans une sorte de panthéïsme charnel. Il s'agit de célébrer et de revivifier sans cesse cette nature dont nous sommes une monade certes, mais toujours ancré au coeur du monde. Le sexe, c'est donc, rien de moins, une fenêtre sur l'Immortalité, et le vecteur superbe de la continuité incroyable de la puissance naturelle. Ce n'est pas étonnant alors, que l'on s'y adonne. C'est une chose rare, comme la musique, qui est une victoire contre le temps et l'isolement.

 

Ils sont forts ces américains !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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