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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 19:59

1017424_577898562262007_1349256206_n.jpgSur la plage où j'étais en vacances, les liseuses fleurissaient comme des fleurs de métal un peu arrogantes.  Elles semblaient dire : "regardez mon propriétaire n'est pas un pequenaud, non seulement il lit, mais en plus il s'en donne les moyens". J'ai interprété cette clinquante rencontre comme un signe : il est temps de te prononcer sur ce point mon gars, sors tes orteils du sable et dis ta vérité au monde. 

 

Etrangement, les gens de lettres  (dont je ne suis pas - n'étant ni prof, ni écrivain, ni journaliste, ni critique, ni bloggeur sponsorisé, ni bibliothécaire ni libraire, ni éditeur-) ne s'étripent pas à ce sujet. D'ailleurs ils ne croisent pas le fer pour grand chose me semble t-il, excepté pour des questions de droits d'auteur, de plagiat, d'atteinte à la vie privée, par l'intérmédiaire d'avocats. Mais de querelles dantesques sur le fond, on n'en trouve plus. Les seuls scribouillards qui scandalisent sont d'immondes racistes qui méritent plus une ordonnance de calmants et un silence méprisant après une volée d'insultes, qu'un pamphlet en réponse. C'est bien dommage. Tout le monde semble se tenir la main dans le milieu des lettres, et on ne crache pas au milieu de la ronde. C'est manifestement trop risqué.  On aimerait un peu de passion dans notre vie littéraire. Nous n'en avons pas, à tel point que l'on a du mal à vraiment parler de vie littéraire, si ce n'est celle du réseau professionnel qui discute de tarifs avec la Ministre.

 

Spontanément l'apparition des liseuses et autres livres électroniques m'a été désagréable. Mais j'étais  conscient de mon inclination vieille France, d'être dérangé dans mon confort de lecteur, de ma préférence pour une certaine continuité des repères, des contenants, même si j'ai toujours rêvé que l'on bouleverse les contenus. Et puis il y a chez Moâaa un réflexe darwino marxiste : l'évolution est là, la croissance des forces productives est un fait, la science avance, l'être humain transforme le monde et par ce processus se transforme, et la question principale est comment on donne une direction consciente à cet élan plutôt que de penser à le freiner ou le stopper, ce qui jamais ne se réalisa dans l'Histoire humaine. Quand le désir de s'emparer du monde ne s'est pas sublimé dans la création ou l'innovation, il s'est exprimé dans des guerres de conquête et des massacres pionniers. Et en général, il faut bien constater (et en cela l'arme nucléaire est vraiment flippante) que lorsqu'une technologie existe, on en vient à l'utiliser. La liseuse est en outre très cohérente, j'en reparlerai (je ne sais pas encore comment mais patientez) avec le système capitaliste. Elle a donc tout pour réussir. Sauf le conservatisme désuet des gens comme moi, mais j'ai du mal à penser qu'il soit de nature à résister bien longtemps et encore moins à se transmettre. Nous disparaîtrons, ne serait-ce que parce que nos appartements se réduiront à peau de chagrin sous la pression du marché et que la culture n'y aura sa place que sur écran plat hyper fin.

 

Donc, après ce détour certes un peu grandiloquent, je me suis dit : réfléchis avant de parler comme un réac sur ton blog consacré à la lecture. Pèse le pour et le contre. Eh bien il me semble que c'est fait. Je vais donc dire mon avis, qui n'intéresse que Moâaa. Mais Môoaaa est partout sur ce blog alors ce ne sera qu'une fois de plus.

 

Je ne voudrais cependant pas sombrer dans les points de vue paranoiaques et puant l'égoïsme social qui s'était exprimé contre le livre de poche. A cette époque, au nom de la littérature, on s'était parfois opposé au livre sobre et pas cher à produire. D'aucuns prétendaient alors que cette chute dans le vulgaire allait dégrader la littérature. Mais la vraie crainte pour eux était qu'elle devenait accessible. On allait devoir la partager peut-être, et ça c'était insupportable.  Je le dis de suite, je ne supporte aucunement ce type de point de vue dont les ressorts sont fort bien décrits par Pierre Bourdieu dans "La distinction". Si je suis attiré par l'élitaire, c'est parce que je crois qu'il est un Bien Commun. La question est de s'en emparer. 

 

Au contraire, tout ce qui élargit le périmètre de la lecture me ravit. Et justement, il me semble que la liseuse le rétrécit. Le full access n'est pas l'accès aux foules, bien au contraire.

 

Le vrai motif de la liseuse, c'est de réduire le coût de production du livre. Qu'est ce qui coûte cher ? Le papier. Oui. Mais surtout le stockage. Et en cela l'intérêt du producteur rejoint celui du consommateur. Car l'espace est une denrée rare. Les êtres humains, qui occupent une part encore négligeable de la planète, se sont débrouillés à rendre le foncier et le bâti très chers. Et d'ailleurs, je le concède, la seule chose qui me pousserait à céder à la liseuse c'est le stockage. Car je n'ai plus de place pour mes livres et je ne veux pas m'en séparer. Une partie des lecteurs, et j'en suis, a besoin d'avoir "son livre". C'est une névrose comme une autre, elle ne provoque pas trop de dégâts. 

 

Chouette, on gagne de la place. Vous noterez d'abord que cela ne fait pas pour autant baisser le prix du livre.  Donc le lecteur a peu à y gagner. On lui vendait aussi un objet, et maintenant on lui refile des kilomètres de lignes sur un écran, toujours le même. En plus, il peut en traficoter la police. Son livre n'a aucune individualité. Il ne vieillit pas. Il ressemble à tous les autres, c'est à dire à la gueule macabre de la liseuse. C'est déjà un appauvrissement considérable pour le lecteur.

 

Pour ma part, j'aime beaucoup, par exemple, voir l'évolution des couvertures du livre de poche, qui sont des témoignages d'une époque. J'aime me demander pourquoi on a choisi telle illustration. On y trouve des photos des grands comédiens de leur temps, ou une trace de la typographie de l'année de parution. Il est bon de savoir qu'un livre a vieilli, qu'il fut parcouru par d'autres, ou l'autre que l'on fût il y a vingt ans. La liseuse c'est au contraire l'appauvrissement des émotions, la simplification, le triomphe du "pratique" contre le sensible, de l'uniforme contre le singulier, du froid métallique contre le charnel, la mort des lucioles dans les campagnes dont parlait Pasolini. On ne souligne pas une liseuse. On peut certes la stabiloter, mais pas de sa propre patte. On ne déchire pas une liseuse, on ne la corne pas. Les gadgets inventés pour épater le lecteur en lui rappelant ces petits trucs sont des succédanés sans saveur. Ils existent justement pour nous rappeler que rien n'est plus pareil.

 

Surtout, la dématérialisation c'est la mort du lieu.

 

Le livre avait ses lieux. Des librairies et des bibliothèques. Des étals de marché. Des lieux lourds et coûteux, intenables donc. Dans ces lieux il règne le silence, spontanément. Ce sont des lieux qui imposent le respect. C'est là où on venait au Moyen Age consulter la transcendance, et donc un peu de sacré a du subsister. Le savoir, chose sacrée : moi ça me va. L'athée que je suis accepte l'héritage.

 

Le livre était dans la ville, il s'imposait à l'existence, à l'urbanité, et même au logis, jusqu'à Bricorama où on trouve de quoi réaliser sa bibliothèque.. On était forcé de le croiser. Les vitrines étaient là. Il avait sa place. Même ceux qui ne lisaient pas savaient l'existence du lieu et qu'un jour ils pourraient s'en approcher, qui sait. Ou leurs enfants après eux. Dans les communes, on trouve des églises et des bibliothèques ou bibliobus. Les bibliothèques sont massives, imposantes, inflationnistes. Baroques parfois. Tant mieux. Tout ce fatras d'archives, de livres jamais empruntés, jaunis. De publications surannées, inégales.... Ca coûte cher. Tant mieux. Dans ces coins silencieux la société dit au marché qu'elle lui échappe encore en partie.

 

Ce sont parfois des lieux désertés, et alors ? Qui a décrété que le rare était inutile ? Qui a décrêté que le coûteux était déplorable ? Et plus encore, qui a décrété que l'inutile était à proscrire ? Qui a décidé que le souverain Bien se calculait au nombre de cartes d'adhésion, de transactions ? Le débat peut se tenir. Et nous, amateurs de livres, nous avons notre mot à dire. Le mien c'est : a bas la liseuse !

 

La disparition du lieu du livre, voila le vrai danger. Ce qui n'est pas tangible n'existe pas. La littérature, la pensée philosophique, l'Histoire, tout ce que l'on veut qui s'exprime dans un livre, a besoin d'incarnation. Et sans le livre pas de lieu. Sans lieu pas de livre.

 

Tel est le motif qui finit de me convaincre. A bas la liseuse ! Elle a beau nous proposer toutes les fonctionnalités possibles qui nous redonneraient nos petits plaisirs d'écorner et de feuilleter, là n'est pas l'essentiel. Elle est le caveau de la lecture. Les liseuses sont autant de petits tombeaux fabriqués du corps mortel et déjà gangréné des librairies et des bibliothèques. 

 

On erre dans une librairie, mais on n'est pas à l'abri de la surprise, on la rencontre presque nécessairement d'ailleurs. Mais parfois on ne trouve pas, et on échoue. Attention, cela suppose que l'on reviendra pour voir ! L'ordinateur ne permet pas cette perte de temps, cette inutilité, bref cette possibilité de vivre sa passion.

 

On a le droit d'échanger avec un vendeur, cela m'arrive très peu, mais je me souviens d'avoir discuté il y a presque vingt ans avec l'un d'entre eux, chez Joseph Gibert.... à qui je racontai m'être éclaté à la lecture d'American Psycho. Il alla me chercher les premiers romans de l'auteur, que j'ai lus dans la semaine. Je m'en souviens. Un téléchargement n'a aucune place dans les souvenirs. 

 

J'aime aller dans une librairie avec un(e) ami(e). C'est un superbe moment de partage. J'aime tant offrir des livres. Ceux que j'ai aimés. Mais surtout ceux que je crois écris pour les gens concernés. On leur parle, ainsi, profondément. Ce n'est pas le même plaisir que d'offrir des cartes pré payées. On n'offre alors que du pouvoir d'achat.

 

Songeons aux appartements du livre numérique. Aucun enfant n'y fouillera dans la bibliothèque, aucun invité n'y demandera le prêt d'un ouvrage (qu'il ne rend pas certes).

 

Une liseuse ne peut pas servir de prétexte à rencontrer un auteur. Elle ne se dédicace pas.

Un salon du livre avec des bornes de téléchargement, vous imaginez cela ?

 

Et le mystère ? Qui songe au mystère ? Et l'enchantement ? Qui songe à ce plaisir de trouver un titre en bas de page, de le retrouver par hasard chez un bouquiniste et de l'acheter avec le sentiment d'avoir enfin trouvé le livre qu'il nous fallait depuis si longtemps ! La pré sélection d'Amazon, malgré ses qualités, donne tout d'emblée. Le click pour achat aussi. L'aventure de lecteur demeure t-elle une aventure ? Sans doute, car on continue de lire, mais la saveur n'est plus la même alors. Pourquoi s'appauvrir ? Pour quelle idée de la richesse ?

 

La liseuse tire du côté de la valeur d'échange, le livre (pardon Balzac.... Imaginez vous cher grand homme ou nous en sommes de la marchandisation du monde) du côté de la valeur d'usage.

 

La liseuse est un objet capitaliste dans toute son horreur et son habileté perverse. Il s'agit de réduire un coût pour le capital, en appâtant le désir de nouveauté du consommateur, sans limites. Et en le confrontant au manque d'espace dans sa vie, organisé par le marché vorace et les logiques patrimoniales.

 

Le livre est du côté de ce qui résiste, malgré tout ce que l'on sait de l'édition. Il est de cette mauvaise graisse qu'on veut éliminer. Mais cette graisse est un ingrédient miraculeux dans les cuisines humaines.

 

Pour une fois, je me range donc du côté de John Ludd. Je suis pour le bris des machines, je suis contre le progrès. A bas la liseuse ! Vive la filière bois ! Vive le papier !

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 09:45

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/16/lire-elire_1670154_3232.html

 

 

141650e-image-de-Le-Bon-la-brute-et-le-truand-5666.jpg Je me permets de vous conseiller, chers amis, la lecture de cette excellente Tribune collective ("Lire et élire") parue dans "Le Monde" à l'occasion de l'ouverture du Salon du Livre de Paris. Tout y est dit avec netteté : la cohérence pernicieuse d'une politique anti lecture, la veulerie des dirigeants en place (dont le Ministre de la Culture actuel, ce demi mondain perdu dans l'arène politique). 

 

Quelles que soient nos inclinations, en avril, n'oublions pas les outrages sans précédent dans notre République, commis contre le Livre et donc à l'encontre d'une certaine idée de l'humanité. Agitation dégradante certes plus inspirée par la démagogie, le mépris, et un réflexe acquis de destruction systématique de tout ce qui s'oppose à la marchandisation du monde, que par une stratégie délibérée... Mais les effets calamiteux en sont les mêmes. 

 

Je salue au passage un des signataires, l'écrivain et éditeur Marc Villemain, avec qui nous avons usé les mêmes chaises, agrapheuse et clavier en son temps... Et je m'incline avec toute mon admiration devant Mme de Lafayette et sa Princesse de Clèves... dont les pages magnifiques (sans doute la plus belle langue de notre histoire littéraire) furent souillées par la vulgarité d'un homme à vite oublier. Qu'il s'en aille plutôt, comme il l'a évoqué, "gagner de l'argent"... Gageons que ces malles ne seront pas pleines de livres.

 

 

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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 22:45

lectrice2nbLa hausse de la TVA à laquelle nous sommes appelés à sacrifier, pour expier les pêchés de la paresse, du farniente, de la facilité assistée, de l'indolence, de cette vie de Cocagne que nous vivons (si on en croit notre Premier Ministre)... est en elle-même nauséeuse, puisque moins on a d'argent, plus on paie la TVA.

 

Mais ce n'est pas ici un blog politique. Il y en a suffisamment, et je ne suis pas friand de ces étalements d'opinions individuelles outrecuidantes sur les forums, car avant de prétendre parler au large, il faut se tourner vers ceux qui ont beaucoup travaillé et dit ce me semble, et voir si on apporte ne serait-ce qu'une particule de nouveauté et de grain à moudre.

 

Il s'agit ici d'un blog de lectures. Un geste d'admiration pour le talent, un hommage aux réserves d'avenir, de beauté, d'émotion, qui existent dans les livres. Je me bornerai donc à parler de la TVA sur le livre. L'Homme vit d'abord de pain, mais il ne vit pas que de pain.

 

La Loi sur le Prix Unique du Livre, que nous devons à François Mitterrand et au Jack Lang de la grande époque, entérine le fait que le livre, comme on le dit aujourd'hui "n'est pas une marchandise comme une autre" (formule heureuse, même si ceux qui l'utilisent savent bien que le problème fondamental, c'est bien l'existence de la marchandise en elle-même, comme assise de l'aliénation).

 

En appliquant la hausse de la TVA au livre, on le réintroduit en réalité dans le cercle infernal de la marchandise banalisée.

 

On sait malheureusement, si on regarde notre monde avec un peu de lucidité, qu'il existe une véritable prime à la bêtise et à l'amoralité pour réussir dans de nombreux domaines. Quelqu'un d'intellectuellement intéressant, et doté d'un minimum de conscience humaine ne peut pas devenir un Trader. Il aura plus de mal à "percer" en politique ou même dans le sport de haut niveau (j'ai lu récemment un article sur un footballeur dépressif, qui arrête tout parce qu'il ne supporte pas la pauvreté humaine dans son milieu...).

 

Avec la hausse de TVA sur le livre, on concrétisera donc cette prime à la bêtise en taxe sur les Lumières...

 

C'est pourquoi je vous propose ainsi, si vous souhaitez vous défouler un peu, un modèle de lettre type, certes très personnel, un peu pédant et de mauvaise foi (je n'écrirais pas la même si j'étais dans un syndicat de libraire...) à envoyer à votre Député, membre de la majorité. Non pas qu'un élu de l'opposition ait forcément un amour immodéré des livres, mais j'ai lu que l'opposition voterait contre. Alors...

 

" Monsieur le Député/Madame la Députée (et oui il y en a)

 

Je voudrais vous convaincre de prendre votre courage à deux mains, pour vous opposer à la hausse de la TVA sur le livre.

 

Qu'est ce qu'un LIVRE ? C'est certes cet objet décoratif qui brille dans les étagères des salons bourgeois où vous êtes parfois invité(e) pendant vos campagnes électorales. Mais ce n'est pas que cela. D'abord, aujourd'hui, le livre a pris différentes formes, dont celle du fameux livre de poche (on n'est pas obligé de le porter vraiment dans une poche, au risque de déformer celle de son costume).

 

Non, un LIVRE, quand il n'est pas un produit de marketing, et ça arrive très souvent, et même - vous vous en étonnerez peut-être - le marketing est minoritaire chez les auteurs ; oui le LIVRE est un trésor de délices spirituels, d'approfondissement du monde, d'exploration du passé et même du futur, et de rapprochement entre les êtres les plus lointains.  Le LIVRE est ainsi un outil magnifique d'humanisation du monde. Et si vous vous souvenez bien de ce dessin animé "l'histoire de l'homme", l'invention de l'Imprimerie surgit - ce n'est point fortuit - au moment où la civilisation humaine, rejaillit de mille feux (on appelle ça la Renaissance).

 

Je sais bien : vous n'avez pas le temps d'en lire ou d'en écrire et il y a des gens pour ça. Vous, pendant ce temps, vous tenez votre rôle dans des cérémonies car vous pensez que c'est indispensable pour être réélu, et que c'est tellement bon d'avoir une place à la tribune. Il y a ces allers-retours, les réunions du parti, les tournois de foot dans la circonscription et la remise des T shirts, les voeux...

 

Mais essayez quand même de lire un livre. Un pas trop gros. Je sais, la plupart d'entre vous en ont lu beaucoup, il y a longtemps. Et puis maintenant... On survole les journaux le matin, les dépêches AFP, on regarde des articles collés sur Facebook, on parcourt les fiches argumentaires du parti ou du groupe parlementaire, désormais affublées du titre d'éléments de langage...

 

Mais un livre quand même... A raison de 40 pages par heure, c'est chronophage. Vous en avez lus, à la fac. Mais c'était bien obligé pour réussir. Après, pourquoi continuer ?

 

Souvenez-vous, tout de même, ce n'était pas tout le temps une expérience banale.

 

Convenez que toute grande révélation, tout grand bonheur, sont chronophages. Faire un enfant par exemple, c'est du boulot. Et imaginons tous les obstacles à franchir avant que le petit Romain ou la petite Camille puissent reprendre la circonscription...

 

Songez maintenant à vos villes.

Car ce sont dans des librairies que se vendent les livres, et pas seulement au supermarché. Et c'est là où l'on peut trouver les livres qui compteront dans votre vie. Cette ville où vous évoluez, voulez-vous qu'elle ne soit plus - ce qu'elle est certes déjà - qu'une litanie de succursales bancaires, de vendeurs de croque monsieurs et de franchises de vêtements ? N'est-ce pas réconfortant, de voir briller, ici et là, quelque lieu de recueillement, de célébration de l'intelligence, de respect pour ce qui a été réalisé par et pour les autres, d'ouverture sans égale ? 

 

Et bien ces lieux péréclitent, et en votant votre taux de TVA augmenté, vous allez accentuer cette pente.  Songez que si un jour vous demandez à  un de vos assistants parlementaires un peu dégourdi d'écrire un essai en votre nom, il vous faudra le dédicacer sur un parking d'hypermarché en plein vent...

 

Surtout, beaucoup d'entre vous espèrent réaliser plusieurs mandats, de tenir le plus longtemps possible. Pensez à l'avenir. Car le livre est la vitamine de la politique. Sans la profondeur de champ du livre, la politique se meurt. Elle se vide. Elle est méprisée et balayée. Ce sont les idées qui politisent les Nations, et elles s'expriment dans les livres, d'abord.

 

Donc, ne vous étonnez pas d'être impuissant(e)s et inutiles, d'être ridiculisé(e)s par des clowns insignifiants dans des talk shows, si vous minez vous-même les forteresses vacillantes qui retiennent encore le nihilisme et le spectacle permanent. Ce sont souvent LES LECTEURS qui vous considèrent encore un peu, qui vous écoutent, et qui ne se résolvent pas à un monde dirigé par d'anonymes technocraties et par les marchés.

 

En affaiblissant le livre, on sape les fondations de l'espace public. Et on vous condamne, vous Député(e)s, à ne servir qu'à envoyer des lettres de recommandation pour un emploi ou un stage, qui vous le savez bien aboutissent rarement, et ne font que remplacer un exclu par un autre.

 

Je ne développerai pas le fait que le livre est un contrepoison à la politique dangereuse de l'émotion, à la dictature du court terme, à la tyrannie du langage appauvri et de la disparition des nuances, à la malfaisance des préjugés... Car tout cela, au fond, ne vous gêne pas beaucoup. Au mieux vous vous y adaptez, au pire vous y avez sciemment et froidement recours. Je n'entretiens point d'illusion.

 

Retenez donc simplement de ce courrier que la vie, et singulièrement la vie politique, sont moins intéressantes dans un monde où le livre est absent. Faites donc usage de votre vote pour le protéger un peu.

 

+ Formule de politesse selon votre convenance.

 

 

 

 

 

 

 

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23 janvier 2011 7 23 /01 /janvier /2011 08:48

lectricemoderne Au temps d'"Amazon" et du livre électronique, à quoi servent les librairies ? 

 

D'abord un petit hommage aux librairies que je fréquente. A Toulouse, il y a évidemment "Ombres blanches". Où l'on croise souvent, me  dit-on, la fille - aujourd'hui Dame très âgée - d'Irène Nemirovski. Un de mes Hapax littéraires de ces dernières années. Cette même fille qui toute petite a transporté le manuscrit de "Suite Française" de cachette en cachette , échappant à la déportation. Et qui un jour, de longues décennies plus tard, se résolut à le confier à un éditeur, nous offrant un chef d'oeuvre, et tirant de l'oubli toute l'oeuvre de cette romancière disparue alors qu'elle donnait sa pleine mesure. Celle d'une grande figure de la littérature de notre pays.

 

J'aime aussi la librairie des frères Fleury, dans cette rue de la Colombette où je suis né, encore bigarrée comme devrait l'être une rue du centre-ville. Il y a encore "Terra Nova", une boutique qu'on qualifiera de "très très à gauche", située mystérieusement à quelques encablures d'Ombres Blanches (les gauchistes ne sont pas doués pour les études de marché, à moins que la demande ne crée la demande...). J'aime bien aller au rayon Arts de "Castella", et aux livres de Poche. "Privat", j'y passe à l'occasion, mais ça me déçoit.

  

Ensuite, il y a les bouquinistes. Peu. Il y en a un dans le quartier St Aubin. Il y en a un sympathique, un peu excentrique, tout près du Pont-Neuf. Un autre tenu par un fan des surréalistes rue des Lois. Et son concurrent un peu plus loin. Pour les occitanistes, il y en a un rue du Taur, j'y entre jamais.

 

Et puis il y a les étals des marchés. J'ai remarqué qu'ils sont souvent tenus par des nostagiques du fascisme. On y trouve souvent, noyés dans la masse, des mémoires de généraux de la Wehrmacht, des livres aux couvertures ambigues sur  Rommel, les Waffen SS ou les paras français en Indochine... Récemment, place Arnaud Bernard, je suis tombé, stupéfait, sur un exemplaire de la Revue d'histoire révisionniste, avec contributions du sinistre Faurisson et consorts... Ca m'a scié. Je me suis demandé quoi faire : ces écrits écoeurants ont donné lieu à des condamnations. Mais il n'y a pas de numéro vert antinazi... Je me suis interrogé sur ma conduite : devais-je insulter le vendeur ou le lapider avec ses livres ? Renverser la table ? Et j'ai finalement décidé de tout simplement rallier mon bureau. En homme et cadre respectable, vêtu d'un costume et portant un cartable, mais outré. Après tout, si je l'avais interpellé, il m'aurait sans doute dit d'un air moqueur que ça peut intéresser les historiens du révisionnisme... (Valérie Igounet a publié il y a quelques années une remarquable "Histoire du Négationnisme en France", très détaillée. Poursuivant ainsi le travail providentiel de Vidal-Naquet). Beaucoup plus jeune et moins notabilisé, j'aurais sans doute renversé la table et j'aurais eu raison.

 

Pour les enfants, il y a "Milan" près de la place Roger Salengro aux allures romaines ,et une excellente librairie spécialisée rue Pargaminières. Pour les BD, on a l'embarras du choix. Même si je viens de voir, mortifié, que le vendeur de journaux et de BD des Arcades du Capitole allait cesser son activité... Restera t-il en ville un endroit où acheter un journal ?

 

A Bordeaux, où je me rends assez fréquemment, je vais évidemment à "Mollat", grande librairie sans vraie politique éditoriale, mais vaste et riche. A Paris autrefois, j'aimais bien aller à la FNAC des Halles, parce que c'était immense.

 

Aller dans une librairie, c'est s'imprégner de la présence du Livre. Et ça, "Amazon" ne le permet pas. Lire, on l'a vu avec Charles Dantzig( Lire, ça sert à rien, c’est ça qui est bien ) , c'est un vice. Et un vice a ses lieux spécialisés. La librairie permet la découverte, impromptue, d'une lecture à laquelle on n'avait pas songé. Une couverture vous attire. Un titre. Le nom d'un auteur qui vous revient. On ressort souvent avec un ouvrage qu'on n'avait pas prévu d'acheter. C'est pourquoi j'aime les librairies qui prennent le risque d'avoir une politique éditoriale. De mettre en tête de gondole les livres qu'elles apprécient.Christian Thorel, le patron d'"Ombres Blanches", avec lequel j'ai eu l'occasion de discuter dans le cadre d'anciennes fonctions, est un malin. Il a investi dans l'espace. Et cela lui permet de concilier l'exposition des nouveautés, des meilleures ventes, des valeurs sûres, et une politique éditoriale nettement développée. Il gagne ainsi sur tous les tableaux. Et sa librairie est une belle réussite. On y reste longtemps. Il y a un excellent resto indien juste à côté.

 

Pour les petits libraires, il n'y a pas le choix : seule la politique éditoriale peut les sauver. Si vous voulez acheter "Le Misanthrope" pour votre collégien de fils ; ou comme la plupart des lecteurs d'après les sondages, acheter le livre du gars marrant qui est passé chez Ardisson, vous irez à la FNAC ; comme ça vous pourrez regarder en même temps les appareils numériques. La marge de manoeuvre du petit libraire, c'est l'appétit de découverte.

 

L'autre voie, c'est de transcender la librairie. De devenir lieu de rencontre avec les écrivains, lieu de spectacle pour enfants. Lieu autour duquel s'articule une communauté de lecteurs (grâce à Internet, comme le pratique Ombres Blanches) Mais il y faut de la surface, et du personnel pour organiser tout ça. On voit même des librairies, comme Terra Nova, qui sont salon de thé. Qui mettent à disposition le Wifi.

 

Moi, si je gagne au Loto (il faut que je me réabonne), je monterai, à perte bien entendu, en plein centre de Toulouse, une librairie aux frontières un peu flottantes.

On pourrait y grignoter, y boire.Y rencontrer un écrivain.

Y écouter une chanteuse ressemblant vaguement à Dalida entônner "Romantica".

Y regarder une danseuse dans un aquarium (comme dans un texte d'André Breton sur lequel je ne parviens pas à remettre la main).

Y méditer devant un charmeur de mangoustes ou y caresser un puma apprivoisé (mais il doit y avoir des autorisations spéciales).

Y prendre des cours de théâtre.

Y écouter une conférence pour comprendre pourquoi la très progressiste Georges Sand fut pourtant une adversaire sauvage de la Commune, ou même y préparer gratuitement une épreuve de culture générale.

Y participer à des ateliers d'écriture, qu'il est dommage de voir si peu développés en France (alors qu'on peut prendre des cours de Capoeira ... C'est dire). 

Y accueillir des cours d'alphabétisation.

Et ça servirait de lieu de réunion aux gens que je trouve sympas. Rien qu'à eux. Moi j'y rôderai, mais j'y serai plutôt inactif. Je délèguerai.


La Déco pourrait s'inspirer d'une oeuvre. Par exemple le poème d'André Breton, toujours lui : "la maison d'Yves Tanguy".

 

"La maison d'Yves Tanguy

Où l'on n'entre que la nuit
Avec la lampe-tempête
Dehors le pays transparent
Un devin dans son élément
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu'on ne la voit plus
Et la toile de Jouy du ciel
Vous, chassez le surnaturel

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu'on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Elle est de lassos, de jambages
Couleur d'écrevisses à la nage

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu'on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes (...)"

 

André Breton (Signe ascendant, 1939)

 

Je pourrais appeler ce lieu... "La Bonne Maison du Livre"...

 

Enfin, pour celles et ceux qui chercheraient l'âme soeur, la librairie, c'est mieux que Meetic. Vous approchez la femme ou l'homme qui hésite sur un livre et vous enclenchez facilement la conversation, par exemple par une flatterie pas trop accentuée sur les intérêts littéraires de la personne en question. Et vous serez certainement plus assuré(e) d'avoir matière à discuter. Plus qu'au petit déjeuner après la soirée Salsa arrosée où vous avez rencontré la personne de votre vie. Il y a d'ailleurs une série de livres lestes, à l'attention  des littéraires pour draguer, très drôles et documentés : "Comment draguer la militante dans les réunions politiques?", "Comment draguer la catholique sur le chemin de Compostelle ?", d'un certain Etienne Liebig, qu'il ne faut pas hésiter à consulter.

 

Fort heureusement, il y a cette Loi d'exception au bon sens du terme, sur le Prix Unique du Livre (une bonne idée de Jack Lang : encore une, du temps de sa splendeur dont il semble si nostalgique, comme un vieux Baron qui persiste à se rendre à la Cour tout  poudré, alors qu'il barbe les Salons). Elle nous préserve encore quelques bonnes librairies.

 

Et si vous achetez sur "Amazon", ce que je confesse pratiquer, vous pouvez toujours choisir le vendeur parmi les offres : une librairie parbleu !

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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