Enthousiasmé par son World War Z très récemment chroniqué dans ce blog, j'ai décide de poursuivre l'œuvre de Max Brooks consacrée au fléau zombien en lisant son "Guide de survie en territoire zombie". Bien m'en a pris.
Il s'agit d'un manuel très pratique, abordant sur un ton pragmatique, utilitariste, tout ce qu'on doit savoir pour saisir une chance de s'en tirer face à une épidémie zombique. Les différents niveaux de crise (1, 2, 3) sont abordés, et nous disposons là d'une mine de conseils pratiques absolument indispensables. Ils pourront d'ailleurs être utiles dans d'autres types de situation posant un risque vital : mais nous avions vraiment besoin de ce guide spécifique, l'apparition de zombies dans notre environnement ayant certes des points communs avec la grippe espagnole, mais soulevant nombre d'autres enjeux, dont le combat pour la survie avec des créatures hideuses, stupides et brutales, animées par l'unique préoccupation de nous dévorer et disposant d'une endurance sans limite (jusqu'à décomposition de leur corps, qui met à peu près cinq ans tout de même).
A vrai dire, l'auteur postule que la survie est le seul but possible. Il ne nous propose pas une réflexion plus fondamentale sur le sens qu'on peut y donner. Or quand on voit ce qu'il est nécessaire de traverser, on peut se demander si cela vaut le coup... C'est un manuel à usage individuel, le collectif n'étant abordé que de manière utlitariste, à travers l'union des forces. A un moment, l'auteur nous dit que certes on peut aider quelqu'un en difficulté, pourquoi pas, mais franchement il ne s'attarde pas. Le ton de réalisme absolu est de mise face à l'ampleur de la menace. Un semblant de morale prévaut tout de même : il s'agit bien de sauver l'espèce en se sauvant soi-même, et on ne nous conseille pas de voler ou de manger nos semblables, mais au contraire de nous méfier des bandits qui profiteront du chaos général.
C'est un livre très drôle, si on aime l'humour noir, car en vérité ceux qui commettent des impairs finissent souvent en steaks hachés. En réalité le livre nous livre une image de nous-même comme nous sommes aujourd'hui : dépendants, émollients, pas débrouillards pour un sou, emprisonnés dans des environnements qui exposés à une menace perdent toute valeur. Drôle est aussi le ton très scabreux et cette idée, progressant à travers le livre, selon laquelle pour survivre il faudrait en gros préparer le combat des années à l'avance et ne se préoccuper que de cela (préparant des parcours, des plans B, la constitution de stocks, d'une équipe, la planification d'un entraînement régulier...). L'ampleur de notre vulnérabilité face à une menace globale déclenche le rire... Jaune.
Le Guide intègre sur un mode sarcastique (j'aime beaucoup les petits dessins type notice) toute celle production culturelle de la catastrophe, qui caractérise notre époque de peur de l'avenir, d'effondrement du concept de progrès. On songe au sublime "La Route" de Cormac Mac Carthy. Si cette culture du désastre a un temps cherché la menace ailleurs : la météorite, l'alien, elle se recentre sur terre. Elle comprend désormais que la menace est endogène. Tel Godzilla ou The Host. Les morts vivants sont une menace on ne peut plus endogène, puisque nous sommes eux, ils se nourrissent de nous, et nous devenons eux.
Les zombies sont des créatures univoques, brutales, gémissantes et crétines (ce qui participe grandement du comique du livre), fonctionnant à l'instinct de dévoration sans limites, sans aucun égard pour leurs semblables qu'ils ne voient même pas. A qui vous font ils penser ? A l'homme consumériste sans doute ? Quelqu'un qui fonce tout droit à sa perte et à la nôtre et qu'on ne peut pas raisonner. Irrécupérable.
Le Zombie c'est nous, notre versant terrifiant. Il se gave de chair un point c'est tout. Nous secrétons le zombie. Il est moche, cruel, unidimensionnel comme le disait Marcuse. Le monde fabrique ses propres fossoyeurs. A vrai dire, certaines périodes de l'histoire approchent la grande catatrophe zombie. Ce qui s'est déroulé au Rwanda y ressemble.
Max Brooks, je crois, a eu un succès de lecture dans les cercles alternatifs. Et pour cause. Il nous décrit un avenir promis au désastre, dont la seule certitude est que nous aurons à lutter pour difficilement survivre. On ne peut rien y changer, on doit juste s'y préparer. L'élimination des zombies, en cas de survie de l'espèce au premier choc, met ensuite des décennies. Et le monde doit être rebâti. Brooks recense de nombreuses épidémies locales dans le passé qu'il nous relate avec un grand sens romanesque et réaliste. On les tait systématiquement, à chaque fois. On trouve là l'allégorie de pouvoirs qui s'aveuglent et nous préservent de vérités pour gagner du temps. Brooks en appelle ainsi à s'informer soi même et à ne plus croire à la parole officielle.
Un guide bien de son temps, donc. Qui régalera les grands pessimistes grinçants.