La science fiction est un genre puissamment politique. Nous en avons la confirmation avec "World War Z" de Max Brooks (le fils de Mel.. Ambiance au repas de famille...).
Elle joue le rôle du laboratoire manquant dans les sciences sociales. En soumettant les hommes, et les sociétés à des torsions gigantesques, elle essaie de manifester de manière spectaculaire des effets de vérité.
En trouvant la solution pour insérer son histoire dans le futur immédiat, Max Brooks parvient à tout déstabiliser en parvenant cependant à interroger les sociétés contemporaines. L'effet de réalisme est ainsi sidérant. Nous vivons la stupeur des humains qui peuplent le livre. Il s'agit de nous.
Dans ce roman, l'humanité est exposée, sans s'y attendre, à un péril vital extrêmement violent. A une pandémie débordante. Mais cette épidémie est toute particulière... Elle est inextinguible si nous ne trouvons pas une solution, elle crée un ennemi à combattre, un ennemi acharné qui ne connait aucune limite ni la peur, ni la douleur. Et qui ne peut être tué que d'une seule façon, en détruisant son cerveau. Un ennemi qui n'a aucun besoin sinon celui de nous dévorer et de nous transformer en l'un de ses semblables immédiatement disponible pour continuer la destruction. Cet adversaire redoutable, imprévu, bouleversant tous les schémas de la guerre, c'est le zombie. La goule. Le Mort vivant. Surnommé Zack ou bien "G". Il est terrifiant évidemment, hideux, et il est une part de nous-même, incompréhensible, obscure.
Le livre est un rapport de l'ONU recueillant des témoigagnes alors que l'humanité a finalement gagné la guerre même s'il reste quelques millions de zombies sur terre, mais contenus et éliminés progressivement, chassés des zones de densité démographique humaine.
Le rapporteur va donc visiter le monde entier, pour interroger les survivants d'un monde détruit, qui renait doucement et où les rapports de forces ont été déplacés par le conflit. Soldats et vétérans, pères de famille, prêtre, profiteurs de guerre, survivants isolés, évoquent le présent mais aussi toutes les phases de la guerre, des prémisses de l'épidémie à la phase de grande panique planétaire, suivies du rétablissement d'un équilibre dans le conflit qui tournait à l'avantage des zombies. Puis la reconquête est amorcée et vient à bout du fléau. Mais les dégâts psychologiques, sociaux, sont incommensurables, même si on peut aussi trouver du positif dans le leg de la guerre.
Ce voyage mondial dans l'horreur et la résistance est une grande réflexion sur le fonctionnement des sociétés et les ressorts psychologiques individuels et collectifs. Face aux périls les sociétés ont tendance à retrouver leurs spécificités, leurs vieux repères. La Russie ne réagit pas comme les Etats Unis ni comme la Corée du Nord (la situation locale la plus stupéfiante du livre).
Très vite, les pays sont débordés par cet ennemi qui pullule en leur sein, ne s'arrêtant jamais d'attaquer. C'est la débandade. Le forces armées essaient de réagir avec leurs méthodes habituelles, dont on constate vite l'inadaptation. Tout est à revoir, dans l'urgence et le risque de désorganisation complète à court terme. La panique est inévitable, et parmi les fuyards les contaminés (mordus) sont légion.
Mais si les humains ont bien des désavantages sur les zombies dans la lutte, dont la peur, la fatigue, la vulnérabilité, la nécessité du ravitaillement, ils disposent de la raison, alors que les goules ne fonctionnent qu'à l'instinct de dévoration. C'est cet élément clé qui sera décisif.
La raison va permettre l'adaptation, et le partage des expériences en particulier. Elle permet de s'améliorer en fonction de l'expérience. Un mouvement effectué au prix de choix dramatiques qui pose la question éthique de manière cruciale, car le repli stratégique suppose d'abandonner des centaines de millions d'humains aux zombies, pour avoir une chance de sauver l'espèce.
Une fois le repli effectué, ce qui supposait déjà de reprendre pied pour faire prévaloir l'esprit d'anticipation et le discernement, l'humanité va entamer une transformation indispensable pour survivre et contre attaquer. Tout devra être révisé. D'abord dans l'improvisation puis de manière coordonnée politiquement. Dans le malheur incommensurable, une petite chance sera saisie : les zombies gèlent l'hiver, ce qui donne un semblant de répit aux humains qui se déplacent du coup vers le nord.
Max Brooks parvient à écrire un livre frappant, de par son réalisme, la précision des éléments pratiques fournis par les témoins, la diversité des points de vue dans le conflit, présentés habilement sous la forme de témoignages oraux recensés, donc très vivants. On a l'impression de lire de véritables chroniques de guerre, très crédibles, angoissantes. Au fait... La France s'en tire très mal...
Nos modèles de civilisation sont contingents, effroyablement fragiles. Nous aurions tort de les penser éternels, de les fétichiser. Une épidémie peut les abattre au prix d'une hécatombe. En lisant World War Z on pense inévitablement aussi, devant ces flots de réfugiés, cette inadaptation technologique, cette impossibilité d'échapper à la menace, au réchauffement de la planète.
Nous devons aussi prendre conscience de notre dépendance, dans cette immense division du travail qui est la nôtre, et du fait de notre aliénation face aux technologies. Dans World War Z, on survit parfois aux zombies mais pas à la nécessité de la survie dans la nature.
Faudra t-il attendre le début de la catastrophe pour essayer d'organiser la survie ? Devra t-on nous aussi sacrifier une partie immense de l'humanité plutot que d'anticiper et de modifier dès à présent nos modes de développement ?
On pourrait aussi voir ces zombies comme une forme d'auto destruction de l'humanité, car n'oublions pas que le zombie est produit par l'humain au contact d'un virus (dont on ne sait rien d'ailleurs). Une métaphore violente de la pandémie dépressive qui frappe notre époque par exemple. Max Brooks nous parle t-il de notre zombification culturelle et morale ? Et des changements qu'elle requiert si nous voulons continuer l'aventure humaine ? C'est une lecture possible.
Ce n'est pas un hasard : un des témoignages est fourni par un astronaute qui a vécu tout le conflit depuis la station spatiale. De quoi donner un cadre imagé à l'idée d'une Terre Patrie qui est notre bien commun, et ou nous devons prendre soin les uns des autres au risque de tous sombrer.