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28 mai 2014 3 28 /05 /mai /2014 20:11

 

Après avoir tellement apprécié mes lectures de Max Brooks sur les zombies (World War Z, Manuel de survie en territoire zombie), j'ai voulu approfondir et comprendre cette fascination, que je partage, pour les morts vivants. Qu'est ce qui se joue dans ces "zombies walks" urbaines et productions culturelles peupées de goules ? En chroniquant Max Brooks, il m'a semblé que le zombie nous parlait de nous, tout simplement.

 

C'est aussi ce que conclut Maxime Coulombe dans sa "Petite philosophie du zombie", exercice pop philosophique réussi. La culture de masse nous parle du coeur de notre civilisation puisqu'elle essaie de toucher son coeur et y parvient, commercialement. Rien de plus sérieux donc que de se pencher sur le spectacle dit vulgaire, sur la série B. Car elle est un formidable révélateur d'une culture.

 

Le zombie est notre pastiche.

Mais ce que Coulombe décèle, de plus inquiétant, dans cette appétence pour le zombie, c'est une certaine envie collective d'en finir... Une hâte de voir ce qui va se passer, et dont nous doutons de moins en moins.

 

Le zombie est une figure sédimentée. Son origine est haitienne. Il est au départ un individu qui a été drogué par une poudre et appartient à son maître, et semble se réveiller de la mort. C'est ainsi une invention culturelle au croisement de la mémoire de l'esclavage et de l'influence chrétienne à travers l'idée de résurrection.

 

Dès les années 30 il apparait dans le cinéma occidental. Puis il prend une forme nouvelle à partir des années 70, avec les films fondateurs de Georges A. Romero.

 

C'est désormais un mort vivant errant sans autre but que de dévorer les vivants. Le zombie permet ainsi d'observer un monde dévasté, et les rapports sociaux qui s'ensuivent. A cet égard le film de zombies entre dans une catégorie plus large de la catastrophe, genre particulièrement prisé dans les trois dernières décennies. Songeons à Godzilla qui sort en ce moment même.

 

Puis le zombie s'affirme dans la peur de l'épidémie dans les films suivants. Il traduit la peur du sida (les morts en sursis infectent les vivants), mais aussi la peur de la manipulation du vivant (quelquefois l'origine est une expérience qui a mal tourné) et des dérives de l'industrie. Il est le fils de la perte de confiance dans les puissances publiques en charge des biopouvoirs.

 

Le zombie est passionnant, car il est un "carrefour de connotations".

 

C'est notre double. Il est un homme, ne l'oublions pas. Il reflète la peur de perdre notre humanité. Ce double inquiétant nous est inaccessible e familier tout à la fois. Sa conscience vide nous est impénétrable, et pourtant c'est le voisin ou le membre de la famille.

 

Il est encore habillé de ces anciens oripeaux, déchirés. Il semble hagard. Il ressemble à un rescapé. L'homme frappé par un drame. L'auteur évoque ces hommes qui marchaient dans les poussières du 11 septembre 2001. Le zombie évoque une condition limite de l'homme : sa stupéfaction, qui conduit jusqu'à l'impossibilité à penser.

 

Cette stupéfaction est celle, poussée à l'extrême, de l'homme hébété de la post modernité, qui rentre chez lui livide avec son attaché case, n'a pas le temps de prendre le moindre recul, et se sent d'ailleurs "comme un zombie" face au poids de ce monde qui semble le déposséder. Sans doute le zombie qui dévaste ces petites villes américaines nous venge t-il un peu de la laideur et de l'ennui, de notre monde asphyxiant. Par un autodafé complet.

 

Il est le symbole d'une humanité qui se demande ce qu'elle est dans un monde semblant dériver, où l'on parle de post humain, où la robotique pose la question de la spécificité de l'être humain. Notre particularité est elle de penser ? Qu'est ce qu'un homme qui ne pense plus ?

 

Il est aussi l'irruption de l'hideux dans un monde hygiéniste, obsédé de rendre les peaux lisses, et surtout de la mort. La mort niée ét reléguée, externalisée dans les maisons de retraite, niée dans les images de guerre, esthétisée dans la culture de masse. Avec le zombie, "la mort s'est créée une espèce, elle se reproduit". La mort traque les humains dans les rues, ils ne peuvent y échapper. C'est le boomerang mortel. Le zombie est le retour du refoulé, donc il est aussi grotesque. On rit beaucoup, ai je signalé dans ce blog, aux oeuvres de Max Brooks.

 

Ce zombie de carnaval présente cependant un versant inquiétant : il pointe un désir d'assister à la fin du monde, une fascination apocalyptique. Il signale dans notre délectation un pessimisme radical, qui flotte, dans notre culture. Les prévisions sombres sur le réchauffement de la planète et la revanche de Gaïa y sont pour quelque chose, mais nous ne voulons pas vraiment y croire, alors le zombie pointe son nez. Monte en nous ce sentiment irrépréssible d'un écroulement possible, probable. Les films de zombies le concrétisent, montrant d'ailleurs des gens qui s'entretuent entre eux devant la menace, évoquant la fragilité de nos rapports sociaux.

 

Voir tout cela nous apaise, car notre peur prend forme, elle est déjà là. Elle a une forme scénarisée et donc maîtrisée.

 

" Le pessimisme n'est qu'un autre mot pour l'impuissance".

 

La catastrophe nous livre une forme de contrôle symbolique sur le pire que nous craignons. On retrouve ici bien entendu le concept de catharsis, de purge, chez Aristote quand il caractérise la tragédie. C'est traiter le mal par le mal, de manière homéopathique.

 

Les histoires de zombies nous rappellent combien les fictions sont précieuses à notre équilibre psychique. Elles subliment. Et elles nous aident à repousser autant que possible l'angoisse, par le rire, l'extériorisation, la naissance de la forme. Le succès des zombies en dit long sur la puissance de ce que notre psychisme doit affronter.

 

Merci, donc, aux zombies. Longue vie.

 

 

Le zombie comme homéopathie ("Petite philosophie du zombie", Maxime Coulombe)
Le zombie comme homéopathie ("Petite philosophie du zombie", Maxime Coulombe)
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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