Après avoir tellement apprécié mes lectures de Max Brooks sur les zombies (World War Z, Manuel de survie en territoire zombie), j'ai voulu approfondir et comprendre cette fascination, que je partage, pour les morts vivants. Qu'est ce qui se joue dans ces "zombies walks" urbaines et productions culturelles peupées de goules ? En chroniquant Max Brooks, il m'a semblé que le zombie nous parlait de nous, tout simplement.
C'est aussi ce que conclut Maxime Coulombe dans sa "Petite philosophie du zombie", exercice pop philosophique réussi. La culture de masse nous parle du coeur de notre civilisation puisqu'elle essaie de toucher son coeur et y parvient, commercialement. Rien de plus sérieux donc que de se pencher sur le spectacle dit vulgaire, sur la série B. Car elle est un formidable révélateur d'une culture.
Le zombie est notre pastiche.
Mais ce que Coulombe décèle, de plus inquiétant, dans cette appétence pour le zombie, c'est une certaine envie collective d'en finir... Une hâte de voir ce qui va se passer, et dont nous doutons de moins en moins.
Le zombie est une figure sédimentée. Son origine est haitienne. Il est au départ un individu qui a été drogué par une poudre et appartient à son maître, et semble se réveiller de la mort. C'est ainsi une invention culturelle au croisement de la mémoire de l'esclavage et de l'influence chrétienne à travers l'idée de résurrection.
Dès les années 30 il apparait dans le cinéma occidental. Puis il prend une forme nouvelle à partir des années 70, avec les films fondateurs de Georges A. Romero.
C'est désormais un mort vivant errant sans autre but que de dévorer les vivants. Le zombie permet ainsi d'observer un monde dévasté, et les rapports sociaux qui s'ensuivent. A cet égard le film de zombies entre dans une catégorie plus large de la catastrophe, genre particulièrement prisé dans les trois dernières décennies. Songeons à Godzilla qui sort en ce moment même.
Puis le zombie s'affirme dans la peur de l'épidémie dans les films suivants. Il traduit la peur du sida (les morts en sursis infectent les vivants), mais aussi la peur de la manipulation du vivant (quelquefois l'origine est une expérience qui a mal tourné) et des dérives de l'industrie. Il est le fils de la perte de confiance dans les puissances publiques en charge des biopouvoirs.
Le zombie est passionnant, car il est un "carrefour de connotations".
C'est notre double. Il est un homme, ne l'oublions pas. Il reflète la peur de perdre notre humanité. Ce double inquiétant nous est inaccessible e familier tout à la fois. Sa conscience vide nous est impénétrable, et pourtant c'est le voisin ou le membre de la famille.
Il est encore habillé de ces anciens oripeaux, déchirés. Il semble hagard. Il ressemble à un rescapé. L'homme frappé par un drame. L'auteur évoque ces hommes qui marchaient dans les poussières du 11 septembre 2001. Le zombie évoque une condition limite de l'homme : sa stupéfaction, qui conduit jusqu'à l'impossibilité à penser.
Cette stupéfaction est celle, poussée à l'extrême, de l'homme hébété de la post modernité, qui rentre chez lui livide avec son attaché case, n'a pas le temps de prendre le moindre recul, et se sent d'ailleurs "comme un zombie" face au poids de ce monde qui semble le déposséder. Sans doute le zombie qui dévaste ces petites villes américaines nous venge t-il un peu de la laideur et de l'ennui, de notre monde asphyxiant. Par un autodafé complet.
Il est le symbole d'une humanité qui se demande ce qu'elle est dans un monde semblant dériver, où l'on parle de post humain, où la robotique pose la question de la spécificité de l'être humain. Notre particularité est elle de penser ? Qu'est ce qu'un homme qui ne pense plus ?
Il est aussi l'irruption de l'hideux dans un monde hygiéniste, obsédé de rendre les peaux lisses, et surtout de la mort. La mort niée ét reléguée, externalisée dans les maisons de retraite, niée dans les images de guerre, esthétisée dans la culture de masse. Avec le zombie, "la mort s'est créée une espèce, elle se reproduit". La mort traque les humains dans les rues, ils ne peuvent y échapper. C'est le boomerang mortel. Le zombie est le retour du refoulé, donc il est aussi grotesque. On rit beaucoup, ai je signalé dans ce blog, aux oeuvres de Max Brooks.
Ce zombie de carnaval présente cependant un versant inquiétant : il pointe un désir d'assister à la fin du monde, une fascination apocalyptique. Il signale dans notre délectation un pessimisme radical, qui flotte, dans notre culture. Les prévisions sombres sur le réchauffement de la planète et la revanche de Gaïa y sont pour quelque chose, mais nous ne voulons pas vraiment y croire, alors le zombie pointe son nez. Monte en nous ce sentiment irrépréssible d'un écroulement possible, probable. Les films de zombies le concrétisent, montrant d'ailleurs des gens qui s'entretuent entre eux devant la menace, évoquant la fragilité de nos rapports sociaux.
Voir tout cela nous apaise, car notre peur prend forme, elle est déjà là. Elle a une forme scénarisée et donc maîtrisée.
" Le pessimisme n'est qu'un autre mot pour l'impuissance".
La catastrophe nous livre une forme de contrôle symbolique sur le pire que nous craignons. On retrouve ici bien entendu le concept de catharsis, de purge, chez Aristote quand il caractérise la tragédie. C'est traiter le mal par le mal, de manière homéopathique.
Les histoires de zombies nous rappellent combien les fictions sont précieuses à notre équilibre psychique. Elles subliment. Et elles nous aident à repousser autant que possible l'angoisse, par le rire, l'extériorisation, la naissance de la forme. Le succès des zombies en dit long sur la puissance de ce que notre psychisme doit affronter.
Merci, donc, aux zombies. Longue vie.