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22 juin 2014 7 22 /06 /juin /2014 16:34

Deleuze et Guattari, Gilles et Félix de leurs prénoms, sont cités, cités, cités.

 

Particulièrement "l'anti -oedipe" et "Mille plateaux". J'avais lu Deleuze à propos de Spinoza mais je n'étais pas entré de première main dans le trio majeur "Capitalisme et Schizophrénie" dont l'anti - oedipe est le premier tome.

C'est fait.

 

Après ces 500 pages à dire vrai extrêmement difficiles à lire, bien que traversées de trouvailles, de fulgurances, de beaux passages comme lorsqu'il s'agit de l'amour ("c'est toujours avec des mondes que nous faisons l'amour"), je reste sceptique sur la portée possible de cet ouvrage dont l'ambition initiale est de plaider pour une psychiatrie matérialiste, transcendant Marx et Freud sous les auspices de Spinoza. 

 

Le livre qui se veut l'annonciateur de la "schizo analyse" (restée à quai...) fourmille, part dans de très nombreuses directions, a recours à de multiples plans de réflexion, de l'analyse littéraire de l'oeuvre de Proust à l'ethnologie en passant par  de longs passages économiques. C'est un livre écrit dans la foulée de mai 68, en pleine fougue libertaire. On avait alors l'impression que la percée du désir allait tout abattre, et ce mouvement avait ses maîtres penseurs. Il était interdit d'interdire. La psychanalyse apparaissait alors comme un "flic" comme un autre, chargé de remettre le désir dans sa cage.

 

Ainsi, le féminisme a t-il raison aux yeux des auteurs, de dire "nous ne sommes pas castrées", nous ne sommes pas dans le manque, nous sommes libres de cet enfermement que nous promet le psychanalyste.

 

Ce n'est pas la psychanalyse en tant que tel que Gilles et Félix rejettent, mais comme tous les hérétiques, ils souhaitent revenir aux sources, à la découverte de la libido. Ils veulent sauver Freud de son devenir Freud.

 

Cet aspect là est un peu daté... Il y a quelque chose de suranné, et à vrai dire (disons-le) de petit bourgeois agité aussi... Dans cette mise en accusation sociale de la psychanalyse. Sans doute essaie t-elle de nous soulager, avec plus ou moins de succès... D'ici à en faire un auxiliaire de la domination et du capitalisme... C'est donner un grand rôle au névrosé et surtout à son thérapeute.

 

Le mouvement anti psychiatrique qui trouve là son oeuvre la plus aboutie semble aujourd'hui éteint. Il a cependant participé à détruire les vieux asiles y compris par ses excès plus théoriques qu'autre chose.

 

Mais sur le plan conceptuel, si les auteurs parviennent à ébranler le caractère central de l'Oedipe dans la psyché, et ainsi à porter une critique sans doute utile à une psychanalyse trop dogmatique et schématique, prenant trop à la lettre les allégories de Freud et ses références aux tragédies antiques, on reste à jeun non seulement sur la définition d'une psychiatrie alternative, mais aussi sur la portée de cette nouvelle supposée fracassante dans la politique. Car c'est bien une oeuvre politique que l'anti oedipe, avant tout, hantée par le fascisme.

 

Le constat des auteurs, il est terrifiant, c'est que la tyrannie n'est pas une tromperie mais un désir. Le peuple a désiré le fascisme et les auteurs se placent dans les pas de Wilhem Reich (dont la biographie a été chroniquée dans ce blog) pour s'interroger sur cette donnée inquiétante. 

 

Fidèles à Marx les auteurs voient en l'Homme un producteur. Une "machine désirante", productrice de désir. Ce désir là déborde le fameux triangle oedipien (papa maman et moi) censé baliser la psyché, et qui à leurs yeux enferme l'humain dans la question de l'autorité ou de la contestation de l'autorité légitime.

 

Un enfant ne se forme pas à papa manan seulement, il joue aux autos, aux cow boys. Il entretient vite une relation propre avec les objets même s'il les rapporte à papa maman.  Ainsi, l'"inconscient est orphelin".

 

Les schizophrènes nous apprennent beaucoup, car ils refusent l'oedipe. C'est à dire la différenciation qui fixe la personnalité. Ainsi Antonin Artaud, le poète psychotique affirme :

 

" Moi Antonin Artaud, je suis mon fils, mon père, ma mère, et moi".

 

Et les auteurs vont chercher dans les sociétés primitives des modes de vie où la différenciation oedipienne n'est pas de mise, ou en tout cas est fortement relativisée.

 

Les machines, les usines que nous sommes produisent et consomment des flux, et ont des codes. Nous sommes codés, pour respirer, avaler. Nous sommes des machines teritorialisées au départ, liés à la terre, première manifestation de la société.

 

Cette machine sociale primitive, où s'inscrivait le désir dans la terre, correspondait à un temps où l'on marquait les corps, où l'on scarifiait et tatouait, pour créer une mémoire et coder les machines.

 

Puis vint l'Etat. Le despote a imposé un nouveau code, un surcodage. Le despote c'est le paranoïaque entouré de serviteurs pervers. L'apparition de l'Etat est un premier mouvement de déterritorialisation (le concept phare de ces auteurs). Quelque chose est inventé qui survole la terre, juge la vie, et surcode les machines désirantes. Le corps du souverain remplace le corps plein de la Terre.

 

Les dettes mobiles et finies entre les hommes sont remplacées par une dette infinie, qui est celle de la circulation monétaire.

 

Avec le despote apparait le langage complexe, puis l'écriture. Le signifiant c'est le signe deterritorialisé. Le corps n'est plus gravé comme autrefois mais se réfère aux gravures du despote. La domination se réalise dans l'imposition du signifiant. L'écriture a ainsi partie liée avec le pouvoir. Le signifiant "soude le désir à la loi". Il encadre le désir dans ses rêts.

 

Qu'est ce que nous dit alors le schizophrène ? Il est celui qui refuse la territorialisation aussi bien que l'Oedipe qui est une tentative de reterritorialiser l'Homme dans la Famille, il part dans le monde et l'envahit. Il refuse aussi le code. A cet égard il entretient des rapports de parralélisme avec le capitalisme, qui est une grande entreprise de déterritorialisation , et de décodage des flux.

 

Le schizo délire l'histoire universelle. Comme Artaud partant au mexique ou comme le Rimbaud d'"Une saison en enfer". Nietzsche parlait de sa folie quand il disait :

 

" Chaque nom de l'histoire, c'est moi".

 

Le capitalisme est à la conjonction de deux flux : l'argent, le travailleur dit libre. La "marchandise" et la monnaie décodent les flux par abstraction (la monnaie est le grand équivalent général). L'économie devient abstraite. Le capitalisme est une entreprise de déterritorialisation aboutie. A cet égard la schizophrénie est une maladie de l'âge capitaliste.

 

La psyché n'est pas ce petit salon familial freudien donc. Oedipe est toujours ouvert sur le monde. Le désir investit le monde social. Il est dangereux pour l'ordre établi et il est nécessaire de réprimer le désir, ce que la psychanalyse participe à réaliser, contrairement à ses intuititons premières qui insistaient sur les dégâts de cette répression.

 

Il y a deux manières d'investir le monde social par le désir : en paranoïaque. C'est le discours fascisant, celui de la race des seigneurs, de l'ordre par delà les âges qui dépasse la mort. Et il y a celui du schizo, qui est une fuite libre, soucieuse de réaliser son désir. La fuite rimbaldienne, Arthur se disant une bête fauve, un primitif, un être multiple et échappant à tout ce qui l'assigne.

 

Donc, politiquement, on doit distinguer ce qui relève du désir, et de la pré conscience. On peut désirer contre ses intérêts, et c'est ce qui explique la servitude volontaire, la jouissance de la tyrannie subie, l'adhésion des masses aux systèmes totalitaires. Ce n'est pas l'idéologie qui abuse, c'est le désir qui parle. Le désir est dans l'infrastructure, il est premier. On peut aussi combiner un désir paranoïaque et un pré conscient révolutionnaire (le stalinisme). On peut tout mélanger (St Just et Lénine)., ou passer de l'un à l'autre (Céline, Kerouac).

 

Vaste entreprise de déterritorialisation, le capitalisme essaie cependant de nous proposer des territorialités de substitution : l'Etat, la patrie, la Sainte Famille, le divan du psy, les "bandes" de jeunes, les minorités ethniques... Contreparties à la grande abstraction qui nous rend schizos. Mais qu'est ce que le schizo ? Justement celui qui résiste à tout cela, qui n'en peut plus.

 

Même si les auteurs s'en défendent, on ne peut écarter une critique légitime de ce livre qui semble idéaliser le schizophrène, sans jamais en évoquer la souffrance et la possible terreur par ailleurs, ce qui est tout de même frappant.

 

On remerciera l'anti oedipe d'avoir montré que le libérateur politique ou thérapeutique a en lui un despote possible, et que se libérer de l'autorité paternelle, ne serait-ce qu'en imaginant que d'autres références nous construisent, est un possibilité.

 

On saluera aussi ce retour à Etienne de la Boétie : les premiers responsables de la domination sont les dominés qui désirent leur servitude et se mettent à son service, l'anti oedipe rajoutant que ce peut être avec jouissance. Ce désir d'Etat, plus encore de despotisme, de participation à la chaine du despotisme, est inquiétant. La question est de savoir comment en prémunir le monde des humains. Les humains libres et solidaires d'un même mouvement existent partout. C'est donc qu'une vie humaine peut y tendre. Ce n'est pas une utopie

 

Un monde nommé Désir ("L'anti - oedipe", Gilles Deleuze et Félix Guattari)
Un monde nommé Désir ("L'anti - oedipe", Gilles Deleuze et Félix Guattari)
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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