C'est le roman d'un style : le flux.
"L'apocalypse des travailleurs" de Valter Hugo Mae, quadra portuguais débarquant en traduction en France, est avant tout cela : l'utilisation d'un style particulier. Qui a du sens pour narrer l'histoire dont il s'agit.
L'écriture du flux, c'est le fil ininterrompu, ou à peine par des chapitres où l'on reprend la respiration après apnée lectorielle, des évènements vécus par les personnages et de leurs paroles et dialogues, tout cela étant fondu dans le même torrent.
Il y a des virgules oui, comme autant de vaguelettes dans le courant, mais pas de point.
Que nous dit ce style ? Qu'aide t-il à dire ? Il nous dit l'impossibilité de s'arrêter, d'appuyer sur pause. Il nous dit que lorsque Gainsbourg fait chanter à Birkin qu'elle aimerait "que l'monde s'arrête pour descendre", ce n'est pas envisageable. La mort alors, apparait en robe nimbée de clarté.
La fatigue gagne. La vie mord sans cesse les petits travailleurs, à la lisière du lumpen proletariat. L'Etre là, sans cesse, à peine apaisé par l'amour et la fraternité, est immensément pesant. Et il n'est pas fortuit que le point final de cette vie d'apocalypse, où il tarde de passer les portes fermées du purgatoire, finisse par un véritable point final dramatique. Comme une vie finit toujours. Le flux comme style c'est donc une vie, un roman-vie.
Les styles et les idées se confondent elles ? Le prétendre serait d'un platonisme qui ne me sied pas. Mais on saisit cependant la correspondance frappante du fond et de la forme dans ce roman.
Le fond du roman c'est la misère accablante, qui peu à peu réduit la vie, la fait entrer dans un couloir tout étroit. Celle de deux femmes, qui font des ménages et sont soumises au désir des hommes qui les réIfient, mais non sans espoir. Le sexe, n'est ce pas, peut être l'antichambre imprévue de l'amour ? Il l'est pour les deux femmes. Avec des sorts bien différents.
Le sexe pour les femmes de la petite survie précaire, c'est une lutte. Contre le harcèlement. C'est indissociable de la lutte pour la survie, pour l'existence, pour l'existence souveraine, dans une bulle d'air souverain possible. Choisir le désir plutôt que subir, c'est une voie.
Il y a la misère d'Andryi aussi, immigré ukrainien au Portugal, "le pays des fleurs", contraint de s'imaginer comme une machine à endurcir pour tenir le choc du dépaysement et du travail.
Ce sont de petites vies étroites, sans bruit, où le bonheur peut s'introduire aussi comme rien, malgré l'égoïsme auquel la misère incite : un jour de vacance, le sentiment de ne pas être seul dans cet univers social écrasant,qui jamais ne se dit vraiment, car on a même renoncé à s'en préoccuper tellement s'en sortir est un effort. Il y a toujours pire que la misère. Il y a aussi la misère et la peur, la misère et le cauchemar : la vie des parents d'Andryi en Ukraine.
C'est un roman dur et humain, dénué de sentimentalisme et sentimental. Accablant de misère. Accablant pour la misère. J'ai fini de le lire à la pointe sud de l'Europe de l'ouest, un peu avant Gibraltar. Là où ces dernières années la misère, qui est plus que la pauvreté, a rejailli.