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25 juillet 2014 5 25 /07 /juillet /2014 20:00

Il a donné son nom à un Boulevard de Toulouse, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas emprunté les voies les plus aisées. Silvio Trentin méritait une belle biographie, c'est chose faite depuis quelques années avec le travail de Paul Arrighi, édité par une des rares maisons locales (Loubatières), intitulée "Silvio Trentin, un européen en résistance, 1919-1943".

 

Je connaissais Trentin de par mon intérêt pour l'histoire de la résistance dans ma ville de naissance, avant d'approfondir avec ce livre. Toulouse a été un foyer de résistance très puissant, particulièrement intéressant à divers titres, riche de personnalités exceptionnelles (de Jean Pierre Vernant à Marcel (Mendel) Langer, en passant par Jean Cassou, Georges Canguilhem, Serge Ravanel, et même Edgar Morin y est passé).

 

La spécificité de la résistance toulousaine c'est en plus d'avoir prospéré dans un milieu favorable à ses thèses, d'avoir peut-être posé des questions politiques audacieuses, dont la plus cruciale de toutes : la démocratie des producteurs ;  tout en s'illustrant dans le combat armé très tôt (pour ce qui est de la FTP MOI). De Gaulle n'aimait pas la résistance toulousaine, et pour cause, c'était tout ce qu'il voulait éviter : la transformation de la résistance en projet révolutionnaire.

 

Il est rare de lire des livres d'Histoire qui évoquent des personnages dont on connait ou on a connu certaines figures (j'ai croisé Monsieur Debauges, un membre du réseau de Trentin), et certains descendants des acteurs. Ainsi certains Toulousains sauront qui j'évoque quand je parle d'Achille Auban, Maurice Fonvieille, ou le Docteur Mazelier de Croix Daurade.. Et il est toujours passionnant de voir ce qui peut remonter, ou au contraire disparaitre, à travers le filtre du temps, quand on observe ce qui a été légué, ce qui fait écho. Ou pas. J'ai aussi lu la pensée poltiique du fils de Silvio, Bruno Trentin (voir dans ce blog son excellent essai, "la cité du travail"), qui a été une grande figure de la gauche européenne et du mouvement syndical.

 

Silvio Trentin, essayiste prolifique, penseur et organisateur acharnés, occupe dans cette galaxie résistance locale une place toute particulière. C'est une figure originale, car sa trajectoire, inhabituellement, le conduira plus à gauche. Il se radicalisera plutôt que de se déliter. Mais il n'aboutira jamais chez les communistes, qui pourtant à cette époque raflent la mise. La question de la liberté restera pour ce démocrate fondamental, la clé de tout.

 

Trentin fut d'abord un Député démocrate (radical en somme) italien, de la région de Venise. Un républicain. Il aurait pu rester en Italie et se soumettre au régime fasciste dont il avait combattu l'ascension, continuer une brillante carrière d'Universitaire en Droit Public. Mais il ne pouvait pas aborder le droit public, soit la question des libertés publiques en somme, dans le pays de Mussolini, et refusait de prêter serment. Il a donc choisi l'exil en France, d'abord dans le Gers où il tenta vainement de se faire propriétaire agricole, y perdant toutes ses économies, puis ouvrier d'imprimerie ; enfin à Toulouse, ville aux faux airs italiens, où il fonda la librairie Trentin rue du languedoc, qui deviendra un lieu central de la Résistance et de la stimulation d'un certain socialisme démocratique. Ce parcours, qui lui fit connaitre la misère, n'est sans doute pas étranger à son durcissement à gauche.

 

Il part donc, trentenaire, avec sa femme, figure remarquable aussi, et ses deux enfants, et un troisième en route, depuis son Italie qu'il pense revoir vite et qu'il ne reverra pas avant vingt ans, et vit la vie presque impossible des réfugiés, dans une France agitée par les soubresauts des années 30, et qui peu à peu se met à stigmatiser les étrangers. Surveillé de près par les services de Mussolini, qui ne le lâcheront jamais d'une semelle, il participe à la résistance italienne extérieure, en devenant un cadre de Giustizia et Liberta, un mouvement "socialiste libéral" dirigé par Carlos Rosseli, qui finira assassiné par les agents de Mussolini. Puis peu à peu, sa pensée penche à gauche, notamment sous l'influence de la guerre d'Espagne, où il se rend à plusieurs reprises, impressionné par la ferveur des expériences de gestion ouvrière.

 

Brillant théoricien politique, grand orateur, franc-maçon, Trentin est une personne recherchée, côtoyée et réputée dans les milieux de la gauche socialiste française et européenne.  Peu à peu il dessine une pensée politique de précurseur, fondée sur l'autonomie, le fédéralisme (sous l'influence de Proudhon), y compris au plan européen. Il fait preuve, durant toutes ces années, d'une très grande lucidité politique, ne se trompant jamais ou presque. Il fait partie de ces anti munichois qui avaient compris depuis longtemps ce que représentait le fascisme européen et ce que la désunion de la gauche et les errements de la stratégie étrangères des démocratie allait susciter.

 

Et puis il y a la résistance, héroïque, de la part de ce grand anxieux qui pensait que tout homme digne avait deux pays, le sien et la France : d'abord dans le réseau Bertaux, qui s'écroule, Trentin s'en sortant de justesse, puis dans le mouvement socialiste "Libérer et fédérer". L'italien devient le mentor de toute une jeunesse socialiste du sud ouest révoltée par la capitulation de nombre de cadres de la SFIO voire leur plein soutien à Vichy. Jeunesse qui choisit le camp des fortes têtes : Vincent Auriol, Camille Soula, Léon Blum qui met Vichy en difficulté à son procès.

 

Aussi incroyable que cela puisse sembler, Trentin a été sollicité par deux universités américaines, en pleine guerre, pour venir y enseigner. Il refusa. Préférant rester auprès de ses camarades, risquant sans cesse sa vie, pour éditer un journal, recueillir des renseignements pour Londres, puis plus tard constituer des maquis dont on ne savait pas s'ils joueraient un rôle (ils le joueront, lors du débarquement en provence).

 

Trentin doit entrer en clandestinité après l'arrivée des allemands en zone sud, et lorsque Mussolini tombe, choisit de rentrer en Italie où il lutte contre les derniers restes du régime fasciste, et meurt encore jeune après avoir été fait prisonnier, ce que sa santé fébrile ne supportera pas.

 

La  partie du livre sur les années de résistance en France, moins documentée, utilisant plus des données générales publiées ailleurs, et fonctionnant par déductions, est un peu décevante. Je pensais y trouver le point d'orgue de l'ouvrage, mais j'y ai surtout lu une tentative de rapprochement théorique entre l'Histoire de la période et ce que devait penser et faire Trentin. Un manque de documentation lié à la clandestinité l'explique sans doute.

 

La famille Trentin sera d'un grand secours, d'un appui constant, à de nombreux réfugiés de gauche dans le sud, une lumière dans des temps obscurs. Avec d'autres, comme Clara Malraux.

 

Que dire devant un tel homme de principes, qui jamais ne se fourvoya à des moyens qui lui auraient répugné ? Un tel caractère capable de vivre en adéquation avec ses convictions.

 

L'admiration est là, évidente, simplement, devant de tels géants.  Chez les gens exceptionnels, les idées deviennent les intérêts. La pensée prend peu à peu la suprématie sur l'instinct de survie et toute notion de confort. Ces êtres sont l'illustration de ce que peut être l'humanité. Des "buttes témoins" du meilleur de l'humain. S'ils existent, alors le meilleur est possible, car ils n'ont rien de surnaturels. Ils sont le fruit de conjonctions qui peuvent se renouveller, s'étendre.

 

Silvio Trentin n'aura certes pas vu la fin officielle du fascisme, mais il aura pu savoir que cette fin arrivait. Son oeuvre était donc justifiée, et il l'a su. C'est justice.

 

 

 

 

 

 

 

Un héros de son temps ("Silvio Trentin, un européen en résistance", Paul Arrighi)
Un héros de son temps ("Silvio Trentin, un européen en résistance", Paul Arrighi)
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commentaires

J
Merci pour cet article très intéressant, il m'a beaucoup aidé pour mes recherches sur Silvio Trentin.
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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