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20 septembre 2014 6 20 /09 /septembre /2014 19:16

J'avais plutôt apprécié le précédent roman de Patrick Deville dédié à Yersin (chroniqué il y a quelques mois), mais je trouve qu'il nous refait un peu le même coup et que ça se voit encore plus .. Se servir de son objet comme qualité du récit. De l'Histoire flamboyante comme flamboyance littéraire. Et là, je ne marche pas une seconde fois.

 

Je n'ai pas vraiment lu "Viva"  afin d'apprendre quoi que ce soit. En réalité, on aime souvent lire sur ce qu'on sait, pour déceler les variations, les perspectives nouvelles, le ton inédit, etc.. Et trouver encore plus, finalement, à penser du livre, inséré dans un champ de références larges.

 

Il se trouve que le sujet du livre, je le connais relativement bien. C'est l'enchevêtrement de personnages révolutionnaires et de figures littéraires au Mexique dans la première partie du XXeme siècle. J'ai pas mal lu et vu sur ces personnages et ces moments... Je songe à "Ma vie" de Trotsky et à d'autres écrits biographiques à son sujet, et même au film 'l'assassinat de Trotsky" avec Delon et Schneider... Je songe au manifeste pour un art révolutionnaire que Breton a écrit là-bas avec "le vieux", mort de timidité, à "Diego et Frida" de Le Clezio qui donnera aussi un film avec notre désormais bretonne Salma Hayek, ou a des écrits de Frida Kalho. Je songe au "Mexique insurgé" de Reed écrit quelques temps avant, mais aussi au "théâtre de la cruauté" d'Artaud, et surtout au grand mais terrible roman "au dessous du volcan" de Malcom Lowry dont la mâturation occupe une bonne partie du roman. Je songe à des écrits sur les surréalistes.

 

Certains personnages ne m'étaient connus que de noms : Traven (Arthur cravan), un homme assez extraordinaire, boxeur, révolutionnaire, aventurier, scénariste, Franck Lloyd... Je les connais maintenant. Et j'ai envie, songeant à notre regrettée Lauren Bacall, de voir le "trésor de la sierra madre", tiré du roman de Traven, anarchiste ayant fui la répression de la révolution allemande de 19.

 

Cet entrelacs de relations, de rencontres, de coïncidences, se noue dans le récit autour de deux figures principales qui aimantent Deville et qu'il suit ailleurs dans le monde; Trotsky et Lowry. Deux quêtes antagonistes de l'absolu. Un par la voie prométhéenne, un par la littérature et l'alcool.

 

C'est un petit monde d'exil volontaire ou obligé, cosmopolite, déchiré par la grande fracture du stalinisme, qui le divise jusqu'à l'assassinat (on retrouvera pas mal d'entre eux morts à l'arrière d'un taxi mexicain, sans doute par le guepeou). C'est un monde de liberté éprise, qui sombre dans un des moments les plus violents de l'histoire humaine, mais en un point sauvage, paradoxalement un peu préservé du déluge d'acier. Gloutonne liberté qui pousse ces personnages à parcourir le continent continûment, voire la planète avec ou sans visa.

 

C'est tout de même un monde, aussi, de réciprocité touchante. On vient se chercher au quai de l'exil des années plus tard, on ne s'est pas oublié, on s'entraide quand même. Julian Gorkin l'espagnol viendra accueillir Victor Serge le belge sur le quai.

 

Mais il y a de la tricherie dans cette littérature. Car ce que Deville nous offre, c'est ce que l'on peut rassembler si on a le temps sur ces figures exceptionnelles et décapantes. Il se trouve que par hasard j'en ai pris un tout petit peu le temps dans ma vie de lecteur, et donc le livre ne me fait pas énorme impression, j'y ai même trouvé une erreur historique (je ne l'ai pas notée : et tandis que j'écris elle ne me revient même pas !).

 

Deville a une belle plume, nous donne à sentir le Mexique. Il admire ces gens , on ne sait pas trop pourquoi.  Mais sa plume relie du connu, du tout de même assez connu. Et les scènes de visite sur les lieux, parfois avec le fils de Victor Serge, ou Sieva le dernier de la famille Trotsky, presque éliminée par Staline, ne nous apportent pas grand chose si ce n'est du discours touristique un peu haut de gamme. Le tourisme culturel est à la mode dit on.

 

Deville avait pourtant trouvé un fil qu'il n'a peut-être pas su tirer. Cette idée que des petits cailloux comptent. Ainsi toute cette histoire n'est pas étrangère peut-être, à la levée de nouveaux dirigeants révolutionnaires. En quoi ces faits font boule de neige et échappent ainsi à l'inutilité, finissent par féconder ? C'eut été rendre justice à ces gens que de le chercher encore mieux que par une citation de coïncidences, nombreuses, de dates et de lieux, qui relèvent de la pure érudition. Deville nous dit que le commandant Marcos est né pas loin. Mais il ignore que le Che quand il est mort lisait "Ma vie" de Léon T. Qu'en déduire ? On sait par contre que Castro a donné exil, comme le dit l'auteur, à Mercader le tueur stalinien du chef de l'armée rouge. Un drame continu se joue. Nous n'y entrons pas Monsieur Deville. Dommage.

 

Les clubs d'érudits sincèrement, ça m'ennuie. Ca fait loisir de très vieux prof qui ne peut plus faire que cela. Encore plus au temps de Wikipédia. Le sens par contre, ça m'intéresse. "Viva" est un récit d'anecdotes, et œuvre anecdotique. Pourquoi de si positives critiques ? Parce que peut-être les critiques concernés ne connaissent pas la version des perdants de l'Histoire. Dans ce roman il n'y a que des perdants sublimes.

 

Mais on attend de la littérature une rencontre avec le sens.

On attend que l'auteur se mouille dans la lave de ces volcans qu'il décrit et pas seulement qu'il accumule des notices biographiques brillant d'elles-mêmes, couvertes de post it. On attend, bref, de la création.

 

Ce type de récit ( toutefois je n'ai rien contre qu'on rende hommage à ces personnages que j'aime), s'apparente tout de même à ce que dans un billet sur Nancy Cunard j'avais qualifié comme littérature people. Un tel a rencontré un autre, il y avait aussi machin qui était maqué avec machine, et qui avait hébergé truc.

 

L'accumulation de grands noms, de célébrités littéraires, est censée nous impressionner. Comme dans "minuit à paris" de Woody Allen que je n'ai pas trop aimé à cause de cela. Cet artifice people.  Allen met Bunuel dans un café, pour qu'il y ait Bunuel. Oui mais encore ? Qu'a Bunuel à nous dire à cet instant là ?

 

Le people a donc teinté jusque la biographie des révolutionnaires. C'est quand même un peu triste, à mon goût. Un people snob rouge, écrit avec élégance. Mais tout de même.

Fuites mexicaines ("Viva", Patrick Deville)
Fuites mexicaines ("Viva", Patrick Deville)
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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