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9 septembre 2014 2 09 /09 /septembre /2014 08:37

Je ne me suis pas dérobé, et pourtant je pense que la pudeur est un talisman. En tout cas une certaine forme de pudeur, celle qui a trait à l'essentiel. La pudeur est tellement précieuse qu'elle mérite parfois un déploiement d'impudeurs multiples et secondaires pour la protéger, comme dans une grande salle des miroirs où l'on ne sait pas où se cache la vraie personne. Mais la pudeur ne doit pas non plus se muer en honte claquemurée, poison fatal.

 

Cependant, alors que l'objet me rebutait, en restant à l'idée que "la vie privée des grands on s'en fiche", j'ai aussi considéré qu'il s'agissait d'un fait social, et aussi d'un évènement culturel et littéraire, puisque tout le monde achète.

 

J'aime savoir ce qui se joue dans ces moments et j'ai donc lu " Merci pour le moment" de Valérie Trierweiler.

 

Ce livre n'est pas une vengeance. Il l'est de fait oui. Mais c'est essentiellement un récit à l'eau de rose gênant et larmoyant, écrit je le pense par l'intéressée elle-même, de sa plume trempée dans l'encre d'une profonde dépression, qui constitue une réponse, une défense, face à une humiliation publique quasi médiévale. Car elle a subi un répudiation devant tout un pays, voire le monde entier.

 

C'est en même temps un constat incendiaire sur nos hautes élites progressistes, et allons-y élargissons, sur les couches dirigeantes. Un roman photo qui met la théorie de la lutte des classes, vécue intimement, à la portée de ma concierge. Marx prend ses aises dans Voici. Ne boudons pas ce plaisir incongru.

 

Avouons que ce n'est pas banal, surtout pour une ancienne boursière qui a du travailler pour se payer ses études. Elle a été exposée, jetée en pâture au regard populaire, elle qui fut d'abord offerte en proie du ressentiment. La "voleuse de mari", devint la répudiée pour qui " le retour du bâton était juste". Comment lui reprocher de vouloir dire son avis ? Pourquoi, alors que tout le pays a droit de parler d'elle sans la connaitre, devrait elle se taire ? Parce qu'une femme, ça se tait ?

 

Pourquoi la seule personne qui devrait rester silencieuse, alors que l'autre concerné a monopolisé la communication sur le sujet, et que les éditorialistes ont parlé autant que possible, ce serait elle ? Il y a un sursaut de vie dans ce récit d'une femme qu'on a chassée un beau jour de ses appartements, devant toute l'opinion publique, et qui n'ayant rien demandé à personne s'est retrouvée mise à nu en public, et intrumentalisée comme bouc émissaire parfait cimentant les repas de famille.

 

La vilaine journaliste ambitieuse qui monte à l'Elysée, l'amante immorale, l'illégitime. Quelle figure pratique ! Et pourtant c'est une femme. En chair et en os.

 

Les féministes (par exemple Peggy Sastre dans un article) se gaussent d'une femme trop dépendante envers ses affects, incapable de considérer qu'il y a une vie en dehors de la dépendance à l'homme aimé, auquel on se voue. C'est un jugement qui me parait injuste, tout d'abord parce que l'ex "première dame" (quelle expression affreuse, patriarcale, et anti démocratique) n'a jamais renoncé à sa profession, malgré la pression, mais en plus parce qu'elle s'attaque frontalement au machisme des hautes élites dans le livre. De plus, de quoi a été coupable cette femme, sinon d'aimer ? D'aimer avec outrance verbale, avec nombrilisme. Mais n'est ce pas l'attribut de l'amour ? L'amour n'est il pas déraison fondamentalement ? On ne juge sans doute pas l'amour. Le féminisme est compatible, espérons le, avec le romantisme échevelé. Qui rend bête, même. Demandez le à Sand. Les femmes émancipées ne sont pas les moins follement romantiques. Parce que l'amour n'est pas que social, il est métaphysique, il vise à la réconciliation avec l'univers.

 

En général, quand quelqu'un est l'objet d'une haine de la bien pensance officielle, c'est à dire de ceux qui monopolisent la parole, j'aime bien regarder les choses de près, pour savoir ce qui est en jeu. Et je pense que je l'ai saisi en parcourant ses pages dégoulinantes. J'ai vu que des libraires se vantaient de ne pas vendre ce livre. L'ont ils lu ? Les marchands de lutte contre les préjugés ont ils eux aussi des préjugés ?

 

Le titre du livre, défiant, est très bien choisi ; "merci pour le moment". Car ce témoignage, terriblement impudique, gênant, humiliant à certains égards pour son auteure, déloyal dans ce qu'il dévoile de l'ex compagnon en effet, est avant tout le livre d'une femme issue d'un milieu populaire, parvenant à se glisser dans l'ascenseur social et culturel.

 

Cette femme indépendante, journaliste, tombe amoureuse d'un homme politique, à un moment où personne ne parie sur lui, où il est très impopulaire. Puis à la faveur des évènements, il devient Président de la République. Dès la campagne électorale, le cauchemar commence pour l'intéressée, car elle se retrouve alors non plus auprès de simples "camarades", mais au cœur d'un système de pouvoir sous haute pression, isolée au sein d'une oligarchie, dont le machisme n'a pas vraiment reculé, et qui ne comprennent rien au milieu dont elle vient. Elle finit par comprendre ce qui cloche : son malaise dans ce milieu dont elle ne partage pas vraiment les codes.

 

On aurait beau jeu de dire à l'auteure, certes narcissique à haut degré, dont les lignes vibrent de douleur morale et de sincérité, qu'elle se réveille un peu tardivement (elle dit même pardon à sa famille pour la "trahison" de classe qu'elle a commise), et que cette oligarchie qu'elle conchie lui allait bien avant la répudiation. Mais il n'empêche qu'il est là le sujet de son livre ; le témoignage ahuri d'une femme perdue dans un milieu fermé, impitoyable, qui n'a pas idée de ce qui se passe chez les petites gens et les méprise tout en les flattant.

 

La charge est d'une grande netteté, et au passage on redécouvre cette logique du pouvoir personnel, ce "syndrome du gagnant" comme elle le nomme, qui conduit les numéro un à une certaine inconséquence puisque jamais on ne peut leur donner tort quand ils parlent. La politique de haut niveau, c'est aussi une confusion hautement toxique entre l'individuel et le public, qui finissent par ne plus se distinguer, au mélangeur puissant de l'appétit illimité de pouvoir :, non pas pour des motifs prométhéens, mais pour répondre à un mystérieux désir d'Etre. C'est donc aussi un témoignage sur l'anachronisme du pouvoir personnel, bonapartiste, issu du putsch gaulliste de 1958, dans la France du XXIeme siècle.

 

"Merci pour le moment" est à la fois un récit voyeuriste "cucul la praline", et un témoignage bourdieusien sur la violence symbolique qu'a subie cette femme issue du peuple, et que sa répudiation a décompensé psychiquement. Le livre en est l'aveu et la prise de conscience.  Ce récit a une grande valeur de matériau psychosociologique par son caractère extrême, l'ascenseur pour l'échafaud emprunté par cette dame pour monter, par amour, tout en haut du gratte ciel social. C'est le cri du transfuge à nouveau exilé de son exil.

 

Le succès détonnant du livre est, on le dit, lié au voyeurisme. Sans doute. Mais il me semble qu'il est aussi, et peut-etre surtout, du à la violence de l'effet de vérité qu'il suscite sur le plan social. Les "sans dents" et "pas jojos" ont saisi de quoi il s'agissait. Moralement, on a là un mouvement dialectique : immoral dans son objet, le livre est peut-être moral dans sa portée. En déchirant le voile unilatéral de la communication politique, en dévastant les ateliers du marionnettiste des ombres dans la caverne. En pleine lumière, la communication politique avance, imprenable, indifférente, arrogante. Mais là l'attaque vient d'un versant inattendu : le témoignage privé dont on n'aurait osé penser qu'il serait osé, parce qu'il est tellement impudique pour l'intéressée elle-même qui deverse tout ce qu'elle a vécu et ressenti.

 

D'où l'effet de stupeur qui a saisi l'exécutif. Notre Premier Ministre actuel répète inlassablement qu'il faut "n'avoir aucun tabou". Et bien en voila un de levé : la communication politique peut être pulvérisée par un mouvement de sincérité d'un individu.

 

Stupéfier le pouvoir, c'est sans doute providentiel dans une démocratie, où comme le dit le constitutionnaliste Dominique Rousseau, ce devrait être les gouvernés qui devraient être défendus des gouvernants, et non l'inverse.

La lutte des classes pointe son museau par un versant pour le moins inattendu ("Merci pour le moment, Valérie Trierweiler)
La lutte des classes pointe son museau par un versant pour le moins inattendu ("Merci pour le moment, Valérie Trierweiler)
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commentaires

A
D’après le dernières nouvelles, des librairies ont censurés le livre mais j'ai entendu dire qu'il était déjà en rupture de stock....un succès à polémique?
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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