Un roman qui poursuit une cause juste est il nécessairement un bon roman ?
Non. C'est en tout cas mon avis de lecteur. Je vais ici dire que je n'ai pas aimé le roman dont il s'agit, en l'occurence "Dragon bleu, tigre blanc" de Qiu Xiaolong. Donc que ce n'est pas un "bon roman" (de mon point de vue bien évidemment, mais tout est point de vue).
Je n'aime pas trop ça, parler des lectures que je n'ai pas aimées, je préfère défendre des livres. Mais je voudrais aussi dire ce qui, de mon point de vue de lecteur, qui a le droit d'en avoir un (à partir du moment ou une parution s'expose) n'est pas un bon roman. L'auteur, qui vend partout dans le monde, s'en fiche. Mais il aurait bon droit de dire "tu es un lecteur en carton". Chacun son droit.
Il s'agit d'un roman policier qui se passe en Chine contemporaine, écrit par un exilé dissident, et qui dénonce la corruption à Shangaï et ses aspects impitoyables. La cause est juste. L'auteur vend beaucoup, et sans doute le vecteur romanesque et polardeux, dont on sait que c'est le genre en vogue, lui permet de toucher des millions de gens et de mettre la pression sur le régime qu'il combat. S'il écrivait de savants essais sur les rouages du PC Chinois, peut-être, sans doute, son propos passerait -il inaperçu.
Mais ici c'est un blog de lecture. Et donc j'ai envie de dire que ce n'est pas un bon roman.
Pourquoi ?
D'abord parce que l'intrigue est pauvre. En gros un policier de haut niveau est écarté, il ne sait pas pourquoi. On tente de le piéger puis pire. Et peu à peu il trouve pourquoi, mais en gros en allant voir des collègues sympas qui cherchent sur internet, interrogent des gens qui leur répondent, et copient des mails qui dénoncent les méchants. On s'ennuie. Manifestement, c'est inspiré d'un scandale réel. Mais le réel n'est pas le romanesque. Il ne suffit pas au romanesque.
Ensuite, parce que, cédant sans doute aux attentes, le roman est principalement un voyage touristique, à forte tendance gastronomique comme le tourisme aujourd'hui, dans la Chine d'aujourd'hui. D'ailleurs l'obsession gastronomique, le fait de nous détailler pendant des heures ce que mangent les personnages, est une tare commune dans le polar contemporain. Je ne m'explique pas pourquoi. Mais c'est ainsi. D'ailleurs peut-être quelqu'un a commencé (Montalban ?) et les autres ne font que suivre. C'est possible. Ainsi a t-on droit à examiner tous les plats de maints restaurants, agrémentés de thés. C'est lassant. C'est presque indigeste, au sens propre. On ne fait que manger dans ce roman. Moi je ne lis pas pour déjeuner par procuration.
C'est censé être un roman policier réaliste. Mais tout réalisme est il romanesque ? Bof.
Il faut y ajouter cette sensualité pudibonde asiatique que l'on attend, et qui est au rendez-vous. Ce qui est au rendez-vous dans un livre est toujours décevant. Les femmes sont belles, évidemment. Elles ont de jolis peignoirs. Elles sont grandioses, prudes, mais disposées à sacrifier leur vertu pour l'homme qu'elles aiment sans lui dire. C'est censé nous faire rêver.
Ensuite il y a ce défaut, qu'on retrouve chez Jorge semprun, de faire sans cesse répéter par coeur des poèmes aux personnages. Vous connaissez vous, des gens qui récitent des poèmes sans cesse, même au milieu d'un dialogue ? Il se trouve que là, ce sont tous les personnages. Bon. Est-ce chinois ? C'est ce qu'on croit comprendre. Moi ça me laisse quand même circonspect. Je crois que c'est surtout destiné à "faire littéraire". La touche de beauté au milieu du récit ennuyeux d'un type qui remonte, en téléphonant depuis des restaurants, une histoire de corruption d'une banalité morne.
Le style est lêché. Mais n'a rien d'exceptionnel qui pourrait sauver le roman.
Quand on lit un roman et qu'on sent que ce sont des lasagnes, des couches superposées (la gastronomie, la corruption, les poèmes), on sent que le roman est mal cuit. Un roman c'est sans doute une sauce, pas des lasagnes. Un roman ne doit pas trop donner sa composition, sinon on n'entre pas en lui. D'ailleurs, signe fort : on ne se rappelle pas des personnages. Un certain "Fei' par exemple, apparait et meurt. Mais quand il meurt, je ne me rappelle pas de qui il est. La psychologie des personnages est absente. Ils n'existent pas. Il y a d'excellents romans non psychologiques. Dont la psychologie ressort de l'action. Mais ici les personnages mangent, et sont très gentils les uns avec les autres. A vrai dire, on ne leur prête aucun intérêt.
Bravo pour le succès, bravo pour le courage politique. Mais pas pour le roman. Désolé. A offrir en annexe du Routard Chine.