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13 février 2015 5 13 /02 /février /2015 18:59
L'invention splendide de la "sociofiction" ("The Wire, l'Amérique sur écoute", collectif)
L'invention splendide de la "sociofiction" ("The Wire, l'Amérique sur écoute", collectif)

" All connected"

Lester, flic de baltimore, the wire

 

 

" The Wire" (sur écoute) est à ce jour ma série préférée. Et pourtant des séries de grand souffle il y en a. Je ne suis pas le seul fasciné par cet objet artistique sans comparaison, qui a pour particularité d'être très utilisé dans l'enseignement universitaire, des deux côtés de l'atlantique. Nous ne serons pas surpris de voir les indispensables éditions de la Découverte publier un recueil de textes de chercheurs (sociologie, cinéma, urbanisme) français et américains à son sujet. "The Wire, l'Amérique sur écoute" n'est qu'un livre parmi une belle bibliographie déjà éditée. Elle donne à penser, c'est le moins que l'on puisse dire;

 

Si l'on regrettera l'absence d'un point de vue plus artistique ou littéraire, qui aurait pu s'insérer dans les 13 contributions, en donnant encore plus de place aux personnages peut-être, elles restent d'un grand intérêt aussi bien pour le fan de la série que pour le passionné des choses urbaines, et même pour le fasciné de la société américaine (je suis les trois).

 

Production HBO, seul cadre dans lequel une pareille entreprise, impressionnante par sa transversalité urbaine, pouvait être menée sans doute, co réalisée par un ancien policier et un ancien journaliste (David Simon, Ed Burns), la série est un projet politique assumé : déployer sur 5 saisons représentant soixante heures une critique acide de la société américaine néo libérale, à travers l'exploration de la ville de Baltimore. Ceci avec le concours de grandes plumes du roman noir américain : Denis Lehane, Richard Price (ces deux là je les ai lus), et Georges Pelecanos (que je ne connais que de nom à ce jour). Une série qui brise les carcans des codes télés et des productions policières, ce qui justifie la devise : "it's not tv, it's HBO".

 

Le livre insiste pour caractériser la série comme une véritable fiction de science sociale. Elle offre un "imaginaire sociologique" unique dans l'histoire de la fiction (en france, un film comme "le goût des autres" a été capable de se hisser à ce niveau), par son exigence et sa précision. Jusqu'à interroger les sciences sociales sur leurs méthodes et sur la manière dont elles pourraient, sans s'affadir, élargir leur influence. Elle s'affirme alors comme un "outil pédagogique hors normes".

 

La série se concentre sur un noeud : là ou se rejoignent des facteurs sociaux et des faillites institutionnelles, pour borner l'horizon des individus. Il faut entendre la notion d'institution au sens large : le réseau du trafic de drogue, au coeur de la série, en est une parmi d'autres.

 

Celui qui a vu The Wire aura du mal à croire encore aux mythes du néo management urbain, dont les tenants et aboutissants sont systématiquement sapés dans la série. Les ilôts de réussite qui portent l'image des villes néolibérales, portés aux nues, masquent l'océan de la pauvreté et de son cortège de désillusions. Le lot d'une grande partie de la population, surtout noire, c'est l'économie parralèle, l'enfermement social, l'absence de chance d'évoluer. A Baltimore dans les années 2000, plus de la moitié des hommes noirs étaient... Sous mandat judiciaire. Ils sont plus nombreux en prison qu'au travail, dans ce monde désindustralisé. La série est d'un pessimisme terrible, qui lui est parfois reproché. Les effets de structure sont bien trop lourds pour que la reproduction du "jeu" soit contredite.

 

Les tentatives de changement sont vouées à l'échec tant que le cadre global de la société n'est pas remis en cause. La corruption, massive, gèle le système institutionnel.

 

Plusieurs chercheurs reprochent, parfois avec virulence et amertume, à la série d'avoir mésestimé la possibilité de l'action collective et sa réalité sur le terrain des quartiers concernés. Une critique en partie acceptée par les concepteurs, qui plaident la nécessité de choisir entre les multiples aspects d'une ville. Des combats sont menés, et c'est vrai que même si leur portée est discutable, ils n'apparaissent pas dans la série. Il y a des gens qui essaient de changer le monde dans la série, mais ce sont des individus, et ils échouent toujours, sont punis pour leurs actes, que ce soit dans la police ou dans les gangs.

 

Comme toutes les grandes séries, The Wire rompt avec le manichéisme, et nous offre des personnages d'une grande complexité, insondables même. Ces personnages sont englués dans des fonctionnements institutionnels qui les aspirent, les façonnent, et avec lesquels il est extrêmement difficile de négocier. La fuite serait la solution. Mais vers où ? La série parvient parfaitement à illustrer cette grande idée de la sociologie : le dépassement du dualisme entre l'individu et le collectif, les deux ne s'opposant pas mais étant fortement imbriqués.

 

Les effets systémiques l'emportent toujours, sauf miracles. Par exemple bubbles le toxicomane a beau essayer de se sevrer, son mode de survie l'oblige à assumer le rôle de grand frère de jeunes toxicomanes de son milieu, et à nécessairement replonger. Ses tentatives diverses le ramènent toujours au même point. Carcetti, le maire qui voulait en finir avec le mensonge statistique policier et la politiue absurde du chiffre, est contraint, par les règles du jeu politique, à y revenir très vite, pour ne pas compromettre sa place dans le "jeu".

 

La puissance des institutions  est sur determinante. Les mécanismes sociaux ne le sont pas moins. Le chef de la police qui essaie une utopie, à bout de découragement, en créant une zone franche de drogue légale ("hamsterdam"), bien qu'il réussisse à apaiser les rues, est politiquement liquidé parce que le Maire ne peut pas assumer le scandale, alors que chacun sait que l'initiative était de bon sens.

 

Le caractère légal ou illégal des activités n'est pas considéré dans la série comme déterminant pour apprécier les évènements. Les uns et les autres passent d'un cadre à l'autre : les policiers sont obligés de travailler illégalement, voire de monter de faux meurtres, pour pouvoir réaliser leur travail. C'est avant tout le poids institutionnel qui compte et demande des adaptations. L'école, le gang, la rue, le syndicat, la police et sa hiérarchie, les affaires légales. Tout cela est connecté, et se ressemble en de nombreux points. Chaque univers est exploré dans ses parrallélismes frappants avec les autres, montrant des individus en proie aux règles truquées, aux hiérarchies. Se débrouillant. Ils ne sont pas satisfaits pour la plupart, et la série les observe dans leur démêlée avec des systèmes qu'ils ne parviennent pas à secouer. Ou bien ils sont exclus, voire supprimés. Il y a la "subversion en douce", la "contestation légitimiste", mais toutes aussi impuissantes.

 

Les personnages, qui oscillent entre capacités à nous écoeurer et à susciter notre sympathie ou notre identification, sont très lucides sur la politique, dont ils n'attendent rien. La dépolitisation est totale. Subsiste une éthique personnelle, plus ou moins avérée, soumise à des conflits de loyauté et des dilemmes incessants. Les policiers sont montrés en travailleurs, et dans leur ambiguité fondamentale vis à vis des autres gamers que sont les Corner kids. Ils parlent comme eux, ont parfois été copains d'école. Ne sont pas très différents. La bifurcation ne s'est pas jouée à grand chose. Les policiers ne sont pas toujours du bon côté, mais pas non plus du mauvais. Sans cesse on est dans le refus du simplisme, mais tout le monde a en commun d'être enfermé dans le jeu dont on ne peut s'exonérer.

 

Les rouages des institutions sont savamment explorés, et décrits dans leurs interactions, leurs dépendances, leurs contradictions menant au gâchis et à l'absurde. La série est en particulier une charge héroique contre l'usage obsédant de la statistique, qui crée des effets hautement pervers dans la police et l'ecole.

 

Les chercheurs sont envieux face à la force de la série, qui dispose du don d'ubiquité, de la possibilité d'expérimenter par la fiction (l'expérience de zone franche toxicomane). Didier Fassin pense que ce type de série doit conduire les sociologues à imaginer d'autres procédés d'écriture, la fiction ayant d"ailleurs souvent servi à illustrer de grandes découvertes des sciences humaines.

 

La forme n'est pas oubliée par l'essai. Elle est congruente avec le projet politque de la série. Un réalisme (champs larges) qui donne une grande place à la valorisation des personnages par une série de techniques qui sont expliquées. Très loin de l'esthétique de la série policière spectaculaire. Une estéthique de l'enfermement qui correspond à la ligne de la série.

 

Un autre aspect de la série est son "audace queer". Sa volonté de déconstruire les stéréotypes de genre en permanence. Avec notamment le personnage souvent le plus marquant pour les fans : Omar. Le desperado homosexuel qui vole les dealers. Mais aussi snoop, androgyne tueuse. The Wire sème "le trouble dans le genre". Kima, lesbienne et flic, évolue comme un double de Mc Nulty, le mari absent, et délaisse sa compagne et son bébé adopté. Les clichés explosent.

 

A quand un the WIRE à la française se demande le livre ? Une contrbution prend l'exemple d'une série, "la commune", (je n'ai pas vu) pour montrer qu'on en est très loin, la cité n'étant pas pensée dans sa connexion  avec le système global comme dans la grande série sur baltimore. Le résultat est une incompréhension des personnages et leur renvoi à la "nature humaine" finalement. The Wire a été vu en France, pas seulement dans les couches intellectuelles qui l'apprécient fortement, mais elle a pénétré dans les cités populaires par le biais du rap en particulier. On l'utilise dans les lycées, les universités, et dans des groupes de parole en prison.

 

La frontière à dépasser pour la fiction française, afin de s'approcher de la puissance politique devastatrice de The Wire, c'est de ne pas voir la ville comme un simple décor pour histoires. Mais comme un système. C'est ce que Simon et Burns ont réussi. C'est là leur exploit et leur grand talent. C'est là leur force de subversion inégalée dans la fiction contemporaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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