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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 01:11
La violence en poésie - Marina Tsvetaeva (intermède poétique)
La violence en poésie - Marina Tsvetaeva (intermède poétique)

Qui nous dira que la poésie est affaire de satin, coussinets et sainte nitoucherie ? Se croit-on particulièrement endurci quand on parle de "poésie urbaine" parce qu'on prend un accent macho et qu'on a un battle dress ? Plaisanteries. La poésie c'est aussi la violence, depuis toujours. Le cri violent. Sa forme. Qu'on y retourne, auprès de ceux qui écrirent depuis le Feu, avant de présenter la poésie comme une forme surannée de discours sur les fleurs et les petits zoziaux. Non. Chacun peut y trouver sororité, fraternité, dans l'expression de nos vérités les plus extrêmes.

 

Elle finira pendue. Dans un acte suicidaire violent. Elle sera morte comme elle aura écrit. Une poésie violente, sans retenue.

 

Où se réfracte en son style fulgurant, d'éruption, d'urgence, d'éclats de verre de vitrail russe, ultra moderne, toute l'accélération démente de cette première moitié du XXeme siècle, où sa Russie quittée puis rejointe explose en tous sens et se développe à marche forcée, où l'acier et le feu sortent partout de terre et ravagent l'humanité.

 

Marina Tsvetaeva est fille de son temps, artiste reflet de son époque jusque dans son rythme, mais n'y survivra pas. Balayée comme la plupart des siens. Comme nombre de poètes européens ou russes dont la sensibilité et l'intégrité n'auraient pas pu survivre à ce passage là, celui de la politique comme totalité et de la guerre comme totalité politique. Rien d'indépendant, de doux et de libre ne devait être préservé. A cette époque brutale inouie répond un cri magnifique et déchirant. Alors que le feu s'abat sur la russie par un retournement du pacte de fer, Marina T en finit, séparée de ses amis atomisés comme poussière humaine, poussière d'un génie sacrifié au triomphe de la totalité, les immenses Mandelstam, Akhmatova, Pasternak. L

 

Les "grands budapest hôtel'" qui pourraient abriter l'esprit et la civilisation finissent, comme chez Wes Anderson, par être violés par la vulgarité barbare.Y résonnent les bruits des bottes malgré les profonds tapis engourdis, et Marina T. y est une dangereuse intellectuelle, qu'on sait trop libre, surveillée. Se soumettre, abdiquer, collaborer, ou mourir, d'une manière ou d'une autre, ou prendre le maquis comme Char. Jouer au chat et à la souris avec "le maître et marguerite", puis chuter, comme Boulgakhov. Et Zweig lui aussi en finit. Avant Marina. Si près, si loin, de Walter Benjamin. Après Maiakowski.

 

Epoque d'acier assassin qui d'abord plonge, comme pour s'échauffer, sur l'Espagne et les tchèques abandonnés. Marina T. hurle.

 

Ô pleurs d'amour, fureur !
D'eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !

Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet

Refus d'être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d'y vivre
Avec les loups régents

Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus
.

 

"Les dos en chaîne".

Vision prophétique de l'horreur qu'appellent déja les scènes espagnoles. La guerre moderne est devenue guerre d'extermination, qui tue plus de civils que de militaires. Elle ira au bout de cette logique, par la planification industrielle de l'élimination.

 

"Sachez que les fleuves reviennent".

Quelques années avant la nouvelle guerre fatale, dix ans avant, il y a, malgré tout -la première guerre, la Civile-, encore un peu d'espoir. Celle d'un monde qui malgré tout continue. Une nature qui suit son cours. Imperturbable, insubmersible au sang. Malgré les pires horreurs, dont la mort des enfants. La rédemption, même, est imaginable. Les yeux morts restent des diamants, le monde est encore beau, en dépit de tout. L'ombre n'a pas tout englouti.

 

Deux lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs

Carbonisés — fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.

Terrifiants ! Flammes et ténèbres !
Deux trous noirs.
C'est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !

Peur et reproche, soupir et amen...
Le geste grandiose...
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.

Alors sachez que les fleuves reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu'encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —

Deux soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.

 

Ce qui délie définitivement le dernier espoir, c'est la séparation. L'insulte suprême faite aux liens. Leur dissolution. La mort de son propre enfant au premier chef. Alors il ne reste plus rien pour s'accrocher à ce monde. On n'en voit que la saleté et l'horreur. Quand Pasternak est loin puis se soumet. Quand on exile et qu'on vide les vies de leur sens. D'Etre avec.

 

Dis-tance : des verstes, des milliers...
On nous a dis-persés, dé-liés,
Pour qu'on se tienne bien : trans-plantés
Sur la terre à deux extrémités.

Dis-tance : des verstes, des espaces...
On nous a dessoudés, déplacés,
Disjoint les bras — deux crucifixions,
Ne sachant que c'était la fusion

De talents et de tendons noués...
Non désaccordés : déshonorés,
Désordonnés...
Mur et trou de glaise.
Écartés on nous a, tels deux aigles —

Conjurés : des verstes, des espaces...
Non décomposés : dépaysés.
Aux gîtes perdus de la planète
Déposés — deux orphelins qu'on jette !

Quel mois de mars, non mais quelle date ?!
Nous a défaits, tel un jeu de cartes !

 

Vivre dans le feu, oui. Mais pas sans les siens.

 

Elle aura tenu bien longtemps, et montré que la vie est acharnée, tout de même, celle qui pouvait dire :

 

«Dans mes veines coule non pas du sang mais de l'âme".

 

Le temps de transformer sa souffrance en oeuvre. Dans toute bonne librairie. Finalement le fleuve aura continué de charrier.

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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