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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 19:03
Etoiles jumelles de la sainteté et du maléfique (" Gilles et Jeanne", Michel Tournier)
Etoiles jumelles de la sainteté et du maléfique (" Gilles et Jeanne", Michel Tournier)

On sait Michel Tournier grand philosophe, grand psychologue. Grand romancier. C'est à dire tout cela, et le style pour le servir. Pourquoi revenir encore une fois à un récit de ce duo de prime abord inexpliquable entre Jeanne d'Arc et Gilles de Rais ("barbe bleue") ? Sans doute parce que ces destins partagés de "Gilles et Jeanne" ont incarné un instant, mieux que toute autre figure double, le tableau vivant d'une vérité glaçante. Saints et monstres se ressemblent. Saints et monstres ne sont séparés que d'un mince voile impénétrable. De la sainteté à la violence la plus cannibale il y a si peu à parcourir. Et peut-être, aussi, dans l'autre sens ? Il y a bien des cas, dans la littérature, du parcours du bourreau au bienfaiteur, comme ce personnage nazi dans "confiteor" de Jaume Cabre qui se dédie des décennies à apaiser les souffrances enfantines. Si vous voulez trouver un Saint, où se rendre ? A la guerre, c'est là qu'on les trouve. Comme dans le roman de Montalban sur "la guerre de la fin du monde" où un village millénariste regroupé autour d'un Saint se défend jusqu'au dernier contre l'armée brésilienne. Et où est allée Simone Weil, qui aspirait à la Sainteté ? En Guerre d'Espagne.

 

Un personnage clé, un florentin, achimiste, venu rejoindre Gilles de Rais à la demande d'un confesseur, explique à Gilles puis à ses juges, cyniquement ou pas, que la meilleure manière de guérir Gilles de ses inclinations était de les pousser à bout, jusqu'à franchir, sans doute, le voile entre monstruosité et sainteté. Il est le lucide effrayant de ce livre.

 

Qu'importe ce qui est vrai ou pas dans le récit de Tournier ? Gilles a t-il essayé de réaliser un "coup de main" pour libérer Jeanne des bourguignons ? On dit que non. Mais ici on s'en fiche. Car ce qui n'est pas vrai est vérité de par le truchement littéraire. C'est vrai, ça nous parle, parce que ça a été pensé et écrit. Ca a du sens.

 

Gilles de Rais, ce tueur sadique d'enfants, fut fasciné par Jeanne. Par sa pureté. Jusqu'à son bûcher. Alors on peut se dire : mais la sainte cause est prétexte qui tombe à point pour justifier la violence. Pour préserver le Moi de la culpabilité et des traumatismes. Ainsi en est il de ces terroristes sortis de la violence des rues, qui ont transformé en cause le moyen d'exprimer une violence qui est en elle-même son propre objet.

 

Gilles ne semble pas de cette catégorie là de brutes assoiffées de sang. Il est une autre figure du psychopathe. Il ne semble pas avoir plus profité que cela de la guerre pour exercer sa monstruosité, pas plus que cela. Il y voyait noble cause et c'était un sérieux soldat. C'est quand il perd Jeanne, qu'il devient Barbe Bleue. L'absolu ne lui étant plus accessible par la voie de Dieu, il prend la voie du Diable. Ces deux là se connaissent bien, comme on le voit au début du drame de Faust. Ils sont inséparables.

 

Jeanne ne rechigne pas à fréquenter les hommes violents. Elle tue elle aussi, pour des abstractions, comme la Royauté, Dieu, ou comme le pensent pas mal d'historiens, pour le pressentiment d'une chose abstraite, émergente lueur, qui s'appelerait Nation. Le sang ne l'effraie pas. L'Absolu est bien pratique, finalement, pour tout le monde. Il légitime tout ce qui est possible. Il donne libre cours aux pulsions de mort. En soi et pour soi, dans le monde.

 

Gilles de Rais, par la forme de ses crimes, manifeste on ne peut plus la proximité effrayante entre la recherche de pureté et la fascination pour le mal absolu. L'absolu, toujours, et c'est cela qui compte. L'absolu comme refus de la vie, ou comme prise de pouvoir de la pulsion de mort nécessaire à la vie même. Le nihilisme dira Nietzsche, qu'il voyait comme une maladie corporelle, se traduisant par des édifices abstraits. Même si nous parlons de "forts" (c'est là où Nietzsche s'emmêle parfois les pinceaux non ?). Gilles semble chercher dans la souffrance absolue des enfants, dans les horreurs absolues qu'il leur inflige, le souvenir de l'intensité qu'il a ressenti auprès de Jeanne. Comme il sait qu'il n'y aura plus d'autre Jeanne, il ne lui reste que ce chemin, qui le tentait depuis toujours. Qu'il avait sans doute déjà emprunté. Que son père, brute, lui avait assigné.

 

Si les fous ne deviennent pas des Saints, alors ils deviennent des diables, possiblement. Ou ils se déguisent en Saints. Gilles hésite. Il se veut cathollique jusqu'au bout, il avoue pour obtenir la réintégration dans le coeur de l'Eglise. Bref dans l'absolu de l'époque. Cela résonne en notre temps. Plus que jamais. Si à la fureur dont est capable l'âme humaine le monde ne propose que la médiocrité et l'ennui (celle de Gilles de Rais en sa retraite militaire), alors les Daesh et autres vendeurs d'absolu par la décapitation ont de beaux jours devant eux.

 

Il n'y a plus de miracles en nos temps occidentaux. Il n'y a plus d'évènements maléfiques, plus de Diables à Loudun (voir le très beau livre de Michel de Certeaux, évoqué dans ce blog). Les sorcières ne font plus peurs mais on les regarde comme la pauvre fille au RSA un peu détraquée, dans sa vieille maison. On demande aux travailleurs sociaux de leur téléphoner pendant la canicule.

 

Le miracle de Jeanne n'a plus cours. Le surnaturel a été chassé de notre atmosphère. Qui sait si elle a vraiment reconnu le Dauphin caché au milieu de sa cour ? Qui sait ? Etait elle hyper sensible ? Nul ne sait. Ce qu'on sait c'est qu'en ce temps, alors que tout devient incertain, en pleine déconfiture du Royaume, le miracle devient possible. Il est possible d'écouter Jeanne, et de la suivre, de lui confier le commandement d'une armée, même si la politique reprend le dessus assez vite. Les pucelles du peuple deviennent des capitaines et les monstres des lieutenants fidèles des pucelles.

 

Il existe pourtant des contrées, géographiques et sociales, où on se met à écouter encore les pseudos Saints. Qui demandent d'aller commettre un attentat suicide au nom de quelques idées abstraites, tout aussi sommaires que celles de Jeanne de Donrémy. Qui fut d'ailleurs reconnue apte par un jury de hauts dignitaires. Les wahhabites d'hier. Seules des époques de grande confusion, comme celle où ne parvenait pas encore à régner "le gentil Dauphin", Roi de Bourges, et où le pays ne sentait rien sous ses pieds, produisent de pareils évènements. Nos terroristes en disent long sur notre époque.

 

Après tout, de la guerrière Jeanne morte sur le bûcher on fera une Sainte. n'est-ce pas un aveu ? Ne devrions-nous pas nous méfier de la Sainteté ? Les Saints ne sont ils pas les lumières aveuglantes qui nous cachent les loups dévorant le petit poucet ? Préférons sans doute les imparfaits.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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