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25 mai 2015 1 25 /05 /mai /2015 22:03
Un vide impossible à emplir ("A rebours", Huysmans)
Un vide impossible à emplir ("A rebours", Huysmans)

Son admiration totale allait à Baudelaire, et c’est bien une « curiosité esthétique » que Huysmans propose avec « A rebours », sorte de comète dans la littérature française. Ecrit en 1884, ce roman étrange, qui décrit les affres dépressives d’un aristocrate « fin de race », Des Esseintes, et surtout ses vaines tentatives pour y échapper, sort d’on ne sait où.

 

Husymans l’avoue comme une étape vers sa conversion au catholicisme, dans une préface étonnante donnée deux décennies plus tard. Et on le comprend aisément. Tellement « A rebours » décrit comme impasse lugubre un monde sans Dieu. Mais quand Huysmans écrit ce roman, tellement daté au sens où on ne saurait plus l’écrire, la technique ayant chassé de nos esprits un tel sens de l’observation, de connaissance de la matière, et une telle profusion lexicale, il est un disciple d’Emile Zola, et donne dans « le naturalisme » de son maître, dont il a toutes les qualités pour l’exercer. Pourtant, si l’on écarte ses qualités d’observation, « A rebours » est très loin de tout naturalisme, et Zola a du être éberlué en lisant ce livre, qui se complait à nager dans l’imaginaire baroque d’un personnage tourmenté et flirte avec le délire d’un névrosé .

 

Des Esseintes s’ennuie et veut tromper cet ennui. Il est livré au spleen. Il n’a pas à travailler, alors que faire ? Son passage par l’enseignement chez les jésuites ne l’a pas hameçonné à la foi. Il va dans le monde, s’y ennuie, se laisse tenter par les péchés, en particulier le stupre, mais ne repousse pas l’ennui. Il développe alors une misanthropie et un pessimisme radical, au cousinage schopenhauerien, et conçoit de la haine pour son siècle. Celui du matérialisme en somme. Paradoxalement c’est dans la dépense, la décoration et l’architecture d’abord, puis toutes sortes de lubies couteuses, qu’il espère porteuses de sens, qu’il pense trouver la solution.

 

En vérité, Des Esseintes ne conçoit pas que c’est sa classe en putréfaction qu’il déteste, et donc lui-même, et pas seulement la bourgeoisie qu’il déteste autant que Flaubert, auquel il ressemble beaucoup, en dehors de son improductivité. On retrouve nombre d’accents de la correspondance de l’auteur de Salammbô, et d’ailleurs Des Esseintes est on ne peut plus attiré par l’exotisme antique, qu’il contemple dans les œuvres de Gustave Moreau.

 

Alors il décide de vivre isolé, à Fontenay, et d’exercer des passions avant tout esthétiques, mais aussi sensorielles. Nous allons toutes les visiter, une à une, avec lui, avec délectation. Mais rien n’y fera, la dépression augmentera, prendra un tour de plus en plus physique. Des Esseintes épuisera chacune de ses plongées, chaque désir s’étiolant et n’appelant qu’à un autre désir, chaque déception aiguisant la névrose . Aucun objet ne saurait remplacer l’objet perdu : Dieu.

Le diable lui-même n’est guère tentant, n’ayant de sens à transgresser que par l’existence de Dieu

 

Des Esseintes essaie de faire de sa décadence un motif esthétique, il apprécie tout ce qui glorifie cette décadence, qui lui donne forme, en poésie comme en art plastique, et jusqu’aux parfums ou à la végétation. Cette tentative narcissique ne le soulage pas plus, même s’il y trouve refuge, oui, de manière fugace.

 

Le roman est l’occasion, en plus d’admirer une richesse de nuances esthétiques extrêmement rare, de découvrir l’admiration de l’auteur -et du détestable, et moqué personnage (il y a du Dostoïevski se moquant de Fedor fedorovitch dans les « possédés » dans ce livre) pour les artistes de son temps. Baudelaire d’abord et par dessus tout. Mallarmé. Odilon Redon. Verlaine. Mallarmé Gustave Moreau. Edgard Allan Poe. Les Goncourt (dont on a peine à imaginer comment ils furent admirés en leur temps).La recherche éperdue de plaisir et de nourritures spirituelle, sensorielle, du reclus anxieux nous transporte dans une histoire sublime de la littérature latine tardive. Mais aussi dans les nuances infinies de la parfumerie, de la contemplation des pierreries. Le roman éreinte aussi, toute une littérature chrétienne ou laïque oubliée. Un moyen critique.

 

Le défaut du roman est que l’intrigue saute aux yeux assez rapidement. On saisit que c’est un voyage immobile dans le désir, qui conduit dans un cul de sac.

 

Il faudra que Des Esseintes se résolve à son échec, et à revenir peu ou prou parmi les gens.

On pourrait se dire qu’il est une annonce prophétique du consommateur frustré contemporain. Je crois que non. alors que pour notre temps Dieu est la marchandise, pour le personnage du roman Dieu est dans la marchandise. L’objet n’est aucunement pour lui un signe. C’est une chimère. Un vecteur vers l’absolu, une illusion de transport céleste. Son raffinement obsessionnel n’a pas de sens social mais métaphysique. Il est du côté de la valeur d’usage et non d’échange. Il est un collectionneur mais le contraire du spéculateur. Ce que nous avons en partage avec lui c’est de devoir nous débrouiller avec un ciel vide. Huysmans est moderne. Nous sommes post modernes. Des Esseintes n’est pas notre contemporain.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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