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18 janvier 2016 1 18 /01 /janvier /2016 00:18
Jésus dans le sentier qui bifurque - "Ponce Pilate" - Roger Caillois. Article paru dans la Quinzaine littéraire

 

Une petite clé d'importance se loge dans une minuscule notice biographique de l'édition nouvelle du "Ponce Pilate" de Roger Caillois

 

Il fut en effet l'éditeur original de ce carrefour de la littérature : "Fictions" de Borges. Ouvrage qui esquissa un nouveau projet pour le roman, confronté aux évolutions fondamentales de la science contemporaine, reléguant Copernic et Newton au musée. Avec son petit roman sur Ponce Pilate, Caillois marche indubitablement dans les pas du génial argentin. Il est à son école. Comme l'a été un auteur bien différent, Philip K. Dick, avec "Le Maître du haut château".

 

Tout lecteur de "Fictions" saisira qu'il s'agit pour Caillois- plus connu pour ses essais que pour ses tentatives romanesques-, de prendre au mot Borges et sa fameuse nouvelle : "Le jardin aux sentiers qui bifurquent", c'est à dire d'interroger la littérature au regard de la nouvelle vision, consécutive aux découvertes d' Einstein, de l'univers, considérant l'espace-temps comme une sorte de montagne aux couloirs labyrinthiques. Elle ne peut plus être approchée que par l'abstraction mathématique, la poésie, et l'imaginaire narratif.

 

L'univers n'est plus ce plan ordonné qui structurait une vision linéaire s'exprimant dans le roman classique. Borges en tire les conclusions, et Caillois ici lui rend hommage, indiscutablement, en reproduisant sa méthode. L'Histoire est peut-être une série de possibilités parallèles, et la littérature doit relever le gant et traduire, par l'intuition, cette multiplicité d'un réel inaccessible à notre perception corsetée.

 

Caillois applique la tentative borgésienne à un évènement central dans l'Histoire, jusqu'à inaugurer notre calendrier : la condamnation de Jésus par le procurateur romain Ponce Pilate. La substance du roman est ainsi l'introspection de Pilate qui au lieu de s'en "laver les mains" décidera ici de ne pas céder à la demande du Sanhédrin, de délaisser le cynisme politique pour s'en remettre aux principes de justice enseignés par le stoïcisme. Jésus innocenté et libéré, que se passe t-il ?

 

Ce qui ajoute de l'intérêt au roman est le fait que Pilate a toutes les cartes en main puisqu'un personnage , comme importé de l'œuvre de Borges, décrira pour lui, tel un médium, les conséquences du martyre de Jésus. On chemine ainsi dans les réflexions hésitantes de Pilate, tiraillé entre l'éthique stoïcienne, la volonté de laver par orgueil son image de lâche face aux désirs des notables juifs, ses intérêts d'administrateur qui paierait une révolte locale d'une destitution. S'y mêle une réflexion sur le caractère dialectique de l'Histoire, qui voit Pilate s'ouvrir à la ruse de la raison hégélienne en somme, comprendre que du mal peut sortir le bien. Sachant que dans le roman, l'avenir chrétien est postulé comme positif. Ce qui peut se discuter, convenons-en ici.

 

Toutefois, Caillois est sans doute un peu rapide. Il considère comme acquis que Jésus, épargné, échouera et deviendra un prophète raté comme bien d'autres, banalisé. C'est peser comme très lourde la crucifixion du galiléen, sa mort pour racheter les fautes de l'humanité, et la dite résurrection. La puissance du christianisme se loge t-elle dans l'efficacité narrative des évangiles ou dans le contenu théologique que dégagea notamment St-Paul en radicalisant le caractère universaliste et égalitaire du message ? Emmanuel Carrère raconte avoir écrit le sublime "Le royaume" après avoir lu le désenchanté "La vie de Jésus" de Renan ; l'idée aurait pu l'en saisir à la découverte du Pilate de Caillois. Pour Carrère, semble t-il, c'est la puissance de la sagesse du Christ qui en explique la destinée.

 

Caillois règle facilement son sort à un Jésus survivant. Le christianisme - il faut ici lire Paul Veyne - n'a t-il pas été l'instrument idéal pour tenter de consolider un Empire qui se disloquait sous les forces centrifuges et les pressions aux frontières ?

 

On aurait aimé que ce court roman s'aventure un peu au delà de son propos, nous perde, se risque dans les méandres de cette Histoire à entrées multiples, ne s'en tienne pas à un déterminisme trop mécaniste. Car même un Jésus survivant aurait pu léguer une église d'avenir au futur.

 

La décision de Pilate aurait pu être neutre. C'eut été fort stoïcien de le constater : Marc Aurèle n'a t-il pas dit qu'un individu, même un chef grandiose, n'est qu'un point invisible dans l'immensité de l'Histoire qui emporte tout ? Ombre et poussière. Caillois rate à cet égard ce que Philip Roth réussit dans "Le complot contre l'Amérique", lorsqu'il imagine un putsch fasciste aux Etats-Unis, mais qui s'avère une simple parenthèse car les structures profondes du pays rétablissent la démocratie libérale. Roth relativise donc l'évènement, que Caillois conçoit, finalement, comme causalité historique.

 

L'auteur aurait pu aussi exploiter - son roman est décidément trop bref-, le filon d'un avenir païen. Si l'Empereur Julien l'apostat avait réussi à solder durablement l'héritage chrétien de son prédécesseur Constantin qui érigea cette religion en culte officiel, que se serait-il passé ? Le règne du monothéisme a eu un impact majeur sur le monde, dont on connaît justement certaines incidences tragiques aujourd'hui. On rêve d'un roman qui imaginerait une histoire alternative dont la superstructure idéologique serait païenne, de ce paganisme tardif très tolérant, qu'on peut découvrir à la fin des "Métamorphoses" d'Ovide.

 

Le paganisme, s'il s'exprimait dans un monde brutal - le nôtre l'est-il moins ?-, était tolérant en matière religieuse, ca il était relativiste. Il était légitime d'avoir "ses dieux" même si la religion avait ses aspects officiels, qui étrangement n'étaient pas exclusifs. Sans doute est-ce d'ailleurs ce relâchement qui a fini par perdre le paganisme, concurrencé par la radicalité du message chrétien plus adapté à la "demande" spirituelle. Les dieux étaient tout sauf omniscients et nul ne songeait à s'appuyer sur leurs paroles confuses pour régenter la société. Au contraire, ils étaient difficiles à interpréter et il fallait prévenir leur courroux sans certitude par des cérémonies.. L'augure n'était réservé qu'a de rares pythies. Les dieux, au départ très intervenants, dans Homère, bien que faillibles, capricieux et changeants, deviennent lointains, très lointains dans la pensée romaine. Cicéron affirme qu'on ne saurait se réclamer des dieux pour taire sa responsabilité. Déjà dans Homère, dans les mythes anciens, les dieux ressemblent à des métaphores des pulsions ou des aléas de la condition humaine, ce dont Freud fera grand usage. L'athéisme est en gestation, il sera pour très longtemps bloqué par le monopole chrétien en occident, et la parole d'évangile. Le développement de la science en sera atrophié. On a l'impression que les païens tardifs conservent les dieux par insuffisance de la science et nécessité d'utiliser les fonctions anxiolytique et unificatrice du sacré, sans trop croire à leur existence.

 

Malgré ses limites, le petit roman borgésien de Caillois, qui vaut d'abord par sa réussite à mettre en scène la délibération intérieure de Pilate, donne donc à songer. Il mérite bien sa place dans cette collection où il revoit le jour : "l'Imaginaire".

 

rôme bonnemaison

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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