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le blog d'un lecteur toulousain assidu

Edouard, travaille.... " Histoire de la violence", Edouard Louis

Edouard, travaille.... " Histoire de la violence", Edouard Louis

Je suis embêté, un peu. J'ai une sympathie non négociable pour Edouard Louis. Je suis comme lui un transfuge social - moins radical, certes, dans la distance franchie -, je connais comme lui la littérature et la sociologie des transfuges, j'ai lu Eribon, son ami Didier dans le livre dont on va parler -, j'ai lu Bourdieu et j'adhère, j'ai lu Ernaux et j'aime, je serais sans doute d'accord avec lui sur à peu près tout, je suis de cette famille, mais je suis obligé de le constater ; " Histoire de la violence", titre piqué à un film terrifiant de Cronenberg, n'est pas un grand récit. On allait voir ce qu'on allait voir, d'après l'arsenal commercial déployé. J'ai lu. Et j'ai lu un roman qui a son intérêt mais il faudra à Edouard Louis beaucoup de chemin pour donner le meilleur qu'il a sans doute en lui.

 

Pourquoi "Histoire de la violence" ? Je ne sais pas trop... Parce que c'est attractif. Mais le lien entre cette violence là, et la violence secrét​ée par la​  société, on ne le rencontre pas dans le récit, malgré le titre.  C'est sans doute ce que je m'imaginais trouver. Nulle archéologie de la violence du violent non plus. Mais un récit, oui, d'une scène de violence particulière, de ses dimensions subjectives, avant, pendant, après. C'est sincère, c'est radical, c'est une vérité sur du papier. Mais ce n'est pas que cela, la littérature. Ce n'est pas que la crudité du témoignage, ce n'est pas que son honnêteté. Ca ne suffit pas à produire un grand livre.

 

C'est une histoire de cette violence là, plutôt qu'une histoire de la violence. On apprend, oui, que les policiers sont racistes, généralement. Ce n'est pas un scoop si l'on s'en tient aux statistiques et à nos vécus.

 
Ce qu'on nous a vendu c'est le récit d'un viol, évidemment. Le choc. Le voyeurisme. C'est bien cela qu'on nous a vendu. De l'obscénité. Entendons nous bien : ce n'est pas le récit qui est obscène, ce n'est pas le fait qu'on fasse littérature de cette expérience. Non. L'écrivain a tous les droits en matière de sujet, et rien n'est plus légitime que de faire littérature de ses expériences et de son intimité. Mais le dispositif commercial qui "frappe" en nous parlant du "choc" du nouveau roman d'Eddy Bellegueule, lui, est obscène. La hauteur de l'oeuvre est désormais à la hauteur de ce qu'elle dévoile de difficile, d'intime. Le plus impudique est le grand écrivain. Je ne suis pas d'accord. Pas une fesse, de mémoire, dans "le rivage des syrtes".
 
 Je ne reproche pas à Edouard Louis de s'y conformer. Je ferais de même. L'essentiel pour lui est d'écrire et d'être lu. Il n'y a rien à dire à ce sujet. Ce sont les marchands et leurs complices qui sont attristants. Car ce roman ne justifiait pas ce tapage.

 

Edouard Louis a été violé par un amant de circonstance et il est passé tout près d'être tué, par strangulation ou coup de feu, d'après lui, parce qu'il n'a pas laissé le concerné partir avec les objets volés dans son appartement. Les juges trancheront, je ne suis pas juge, je m'en fiche, je suis lecteur. Je me fiche de savoir ce qui est vrai ou ne l'est pas.

 

Il nous raconte cette infernale violence et c'est poignant, oui. Quand il expose ce que son corps rejette, quand il décrit nerveusement le fracas du trauma. Quand il témoigne des ondes du trauma. Quand il parle de cette difficulté à parler de l'agression, ce qui est la revivre. Quand il parle, renvoyant sans le dire à la théorie freudienne, de ce rapport ambigu que le traumatisé entretient avec cette bête qui s'est installée en lui, mais qui est SA bête.

 

Dans le même temps il continue sa réflexion sur sa trajectoire de transfuge, car face au violeur il est, lui, un transfuge, son rapport à la parole n'est pas le même que celui de reda, le coupable. Il y avait sans doute plus à dire, là. Est-ce que reda a voulu être violent avec un petit bourgeois qui a des livres entassés dans son appartement ? On ne sait pas on passe au bord. Et l'auteur non plus, sans doute. Mais pourquoi alors ce titre généalogique ?

 

Dans cette expérience extrême le jeune écrivain a encore éprouvé l'aliénation du transfuge social, puisqu'il hésite sans cesse à utiliser ses ressources anciennes, pour dédramatiser le vol, ou à se positionner comme le nouvel Edouard Louis. C'est un aspect intéressant du livre, qui est traité par la voix de la soeur et qui nous ramène à la situation du transfuge dans sa famille populaire du nord qu'il a quittée pour le paris des lettres et de la possibilité de vivre son homosexualité sans finir pendu dans un bois..

 

Ce qui me gêne, c'est le choix de narration, surtout. Le récit est bâti sur une alternance entre deux voix qui racontent la même histoire. Edouard parle. Et la sœur d'Edouard parle de ce qui s'est passé, à son mari. On constate au passage la transformation du langage qu'a opéré le transfuge social, et le propos de la sœur ne censure pas les fautes de grammaire, les conditionnels inappropriés en l'occurrence. C'est une manière de signifier encore la béance au sein de la famille, la béance avec cette sœur qui est pourtant si proche, si présente, si siamoise.

 

Mais cette alternance ne fait pas grand sens pour le lecteur, si elle a l'air de faire sens pour le frère. Elle ne nous apporte qu'un manque de fluidité. Et puis il y a ce langage oral, dépourvu de ponctuation, censé coller au réel, qui semble une obligation du cahier des charges de l'écrivain français contemporain.

 

Pourquoi donc ? Est-ce toujours adapté ? Est-ce adapté à un récit écrit avec du recul ? Je n'en ai pas eu l'impression à vrai dire et cela m'a paru quelque peu artificiel, destiné à souligner la crudité, la souffrance immense à laquelle on veut bien croire, le sentiment d'urgence à écrire pour donner forme à l'expérience qui peut dévorer. Mais c'est un procédé, ça sent le procédé.

 
Je ne saurais que défendre Edouard Louis et tout ce qu'il essaie. Mais j'espère, comme lecteur, qu'il donnera plus, en grandissant.

 

 
 
 

 

 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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