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11 mai 2016 3 11 /05 /mai /2016 20:31
il suffisait de presque rien  - Ludmila OULITSKAÏA – Sonietchka

"Le visage aspergé d’un produit antiseptique vert, Ludmila Oulitskaïa est restée stoïque. « Dieu merci, ce n’était pas de l’acide sulfurique. » La romancière russe, dont les œuvres ont été traduites dans le monde entier, a été victime, jeudi 28 avril, à Moscou, d’une agression menée par des militants nationalistes propouvoir." 

 

Lu il y a peu dans le journal Le Monde

 

Ce stoïcisme de l'intellectuelle odieusement attaquée, nous pouvons en trouver les traces il y a longtemps. Et il vient de loin, et des profondeurs de l'histoire russe. Les nationalistes seraient avisés de méditer sur sa provenance. Ils piétinent ce qu'ils disent défendre. La bêtise repousse toujours, mais le courage des justes aussi.

 

Le premier roman de Ludmila OULITSKAÏA"Sonietchka" - était une courte saga familiale. Parue en 1992.

 

Comme si L.O se juchait explicitement sur la littérature qui l'a formée, la littérature russe, et comme si elle avait choisi, en premier acte de publication, de lui rendre hommage.

 

C'est l'histoire, élégamment narrée d'une femme, et de quelques proches, jamais digressive, jamais "proustienne", si peu rêveuse en surface, centrée sur les évènements et l'évolution psychologique, dans la pure tradition classique d'un Lermontov ou d'un Dostoïevski, mais aussi d'un Maupassant car l'auteure a du lire "Une vie".  Nous avons des personnages. Nous longeons leur vie. Nous prenons connaissance des moments clés de ces existences et des états d'esprits qui se succèdent.

 

Ces gens, d'un train de vie modeste, juste le menton au dessus de la boue de la pauvreté, sont des brins de paille insignifiants dans la tornade russe, des années 30 aux années Brejnev. L'auteure tient semble t-il à réussir, comme en patinage artistique, son exercice imposé de roman russe, pour entrer en littérature russe de plain-pied. Elle fait ses gammes d'auteur de sa contrée. On y retrouve en particulier ce fatalisme russe inmanquable. Ces sorts de petites gens, saisis dans la tourmente. Cette capacité de survie malgré tout, sans plainte. Qu'on retrouve d'ailleurs dans la real-littérature contemporaine d'une Sveltlana Alexievitch. On y retrouve la trempe d'acier des femmes russes, alliées à leur sensibilité extrême. Cocktail slave au goût unique.

 

C'est un court roman, et un hommage à la Mère littérature. Aussi l'auteure n'éclaire qu'un seul aspect, le devenir des quelques personnages, en laissant le contexte dans un arrière plan brumeux. Devenir Tolstoï, pas question, pour une romancière qui commence. De la guerre nous ne saurons rien, des immenses évènements nous ne saurons rien. Nous ne suivrons que les sorts de ces quelques personnes, parfois touchées par les évènements, au bout du bout. Mais les personnages n' ont pas d'avis à ce sujet. Il s'agit juste de vivre. De vivre, malgré tout. D'accepter inmanquablement.

 

Au delà de cet exercice de style, c'est de la puissance de la littérature qu'il s'agit. Et de son rapport possible avec la vie.

 

Le propos est simple ; une femme sortie de rien, Sonia, vit dans les livres depuis l'enfance. Sans charme, invisible, grain de semoule parmi tant d'autres dans l'immense chaudron soviétique, qui pourrait être fauchée par la faucille des famines et des guerres, elle survit petitement et parvient à travailler dans une bibibliothèque d'une ville sans relief. Elle en est heureuse. Elle ne demande rien d'autre. Un jour elle rencontre un usager plus vieux. C'est quelqu'un qui lui a bourlingué. Un artiste. Il sort des camps de travail. Son oeuvre d'architecte est connue à l'ouest mais il ne le sait pas. Il la demande en mariage, et ils ont une fille, Tania. On ne parle pas. On ne parle de rien. On se concentre sur le quotidien. On a bien compris la règle du jeu pour survivre.

 

Sonia s'écarte de la lecture, continue de travailler. Les conditions de vie évoluent et parfois se dégradent. On fait avec. On se contente de vivre avec ses proches. Sonia en particulier, mais les autres aussi, apprennent le stoicisme, mais aussi une certaine âpreté, l'ingratitude, et la capacité à tourner la page quand elle se tourne.  Un jour une jeune fille va entrer dans leur famille. Elle va y semer le trouble mais Sonia va s'adapter. Elle fait avec, y compris avec générosité.

 

Elle est une incarnation d'un peuple russe qui fait avec, bien obligé, et qui s'efforce d'être content. Elle est sincèrement contente. Sa fille qui vit sa vie, cette jeune fille qui intègre la famille, c'est la jeunesse russe. Elle est incontôlable et sans doute un peu incompréhensible, mais on l'aime aussi. Elle continue la vie du peuple russe cette jeunesse.  Personne n'est maléfique, juste un peu égoiste et pragmatique. Les filles ont des "protecteurs", c'est ainsi. Elles couchent avec les hommes pour avoir un manteau et de la soupe. C'est ainsi. On fait avec. Sonia, elle, est illuminée, et dégage de la prodigalité. C'est une lectrice. Elle reçoit beaucoup en lisant, et elle donne.

 

Se retrouvant seule après la mort subite de son mari dans les bras de la jeune amante, Sonia reprendra sa lecture et ses rêveries. Ce que l'on entend, c'est que lire protège possiblement, non seulement parce que le monde a peu d'importance quand tous les mondes vous sont offerts, mais aussi pour une autre raison : parce que les mots permettent d'apprécier la vie réelle. Ils filtrent le rapport que l'on entretient avec le réel. Ansi Sonia aborde, bercée par ce bonheur de lectrice, les aléas difficiles de sa vie avec un regard admiratif.

 

Tant pis s'il y a du malheur, tout est nimbé de la beauté de ce qui a été lu. Et tout est à remercier. Avoir un mari fait écho aux grandes histoires d'amour des livres et donc c'est un honneur de s'en approcher quoi qu'il en soit. Avoir côtoyé un artiste, c'est immense. Tout est bon. Perdre ce n'est pas si grave puisqu'on a eu. Et on est pas grand chose. Les antipodes du narcissisme, c'est en union soviétique. Sinon on se pend sans doute.

 

C'est un hommage à la puissance du livre et en même temps à la capacité de résilience sans limite du peuple russe. C'est la volonté de nous dire, revenant à un romanesque classique qui rompait sans doute avec le collectivisme russe profond de toujours, avec cet esprit de masse qui a constitué le premier atout dans "la grande guerre patriotique", que les russes sont aussi des individus, malgré tout. Qu'ils se débrouillent, avec leur infinie fragilité, leur totale modestie. Que cela passe aussi, par une réduction, impérative pour survivre, de leurs champs de vision, par leur recentrage sur un tout petit périmètre, allié à la fuite sans limite : l'art. Celui du mari de Sonia. Celui des livres de Sonia.

 

Comme tous les russes qui pensent, à l'orée des années 90, L.O a du se tourner vers ce passé océanique du XXeme siècle. Inconcevable de par son immensité. Elle a du se dire que des gens, oui des gens, et non des concepts, ont traversé tout cela. Ils ne sont pas tous morts au goulag, fusillés, à la guerre, affamés. Ils ont vécu et légué. Cette traversée laisse un parfum de mystère.

 

Comment résister à tout ? Comment, à l'instar de ce que dit rené char, "serrer son bonheur" ? Sonia est douée pour cela. Il est difficile de savoir pourquoi. Mais l'art y est pour quelque chose.

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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