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20 juin 2016 1 20 /06 /juin /2016 10:31
Notes sur l'absence des œuvres féminines au épreuves

De nombreux articles soulignent, chiffres à l'appui, l'absolue absence des textes de femmes dans les épreuves, et donc dans les programmes de français. Ceci est d'autant plus frappant que les filles sont dominantes dans ces sections, qu'elles le sont aussi dans le corps professoral littéraire, et dans le lectorat de romans.

 

Le sont-elles dans les milieux étroits de mandarins qui choisissent les sujets ? Je ne sais pas. Sans doute un peu moins que dans les classes. Mais il est aussi tout à fait possible, on le sait depuis La Boétie au moins,que le dominé soit le premier acteur de sa domination. Les femmes sont de puissants agents de la domination masculine et c'est aussi cela qui la rend très difficile à combattre, même si elle recule, indéniablement.

 

Les manifestations spectaculaires du machisme contemporain sont paradoxalement un symptôme du recul. Quand un combat est perdu, le perdant se radicalise, - c'est ce que nous verrons sans doute dramatiquement avec daesh-, et le fait même que les actes machistes soient soulignés, soient vécus comme insupportables, signifie que le féminisme a transformé le monde. Malgré les déplacements pernicieux du machisme qui se grime dans l'émancipation elle-même - comme dans le porno chic ou dans des formes de "progrès" qui n'en sont pas, comme la GPA, ce point d'aboutissement du marchand-.

 

En tout cas il y a une belle étude sociologique à consacrer au processus de choix des sujets de français. Elle existe peut-être quelque part, d'ailleurs.

 

De mon point de vue, la question n'est pas "la parité". La parité politique, légale, n'a pas changé grand chose aux rapports de pouvoir à mon sens, et n'a suscité que de la trajectoire individuelle. Je trouverais stupide d'établir une parité dans les programmes, car elle se réaliserait non au détriment de la "qualité" des œuvres, mais en dégradant la cohérence d'un programme. C'est le fil thématique qui est intéressant, et non les statistiques de genre ou "ethniques". Mais l'exclusion des œuvres féminines est un fait aujourdhui mis en lumière, qui doit poser question. C'est d'une prise de conscience intellectuelle dont on a besoin et non de règlements à la française qui éludent les transformations culturelles, croient souvent vainement les provoquer.

 

L'argument des défenseurs de l'exclusif mâle dans les sujets donnés au bac, à savoir que "ce n'est pas notre faute si les grandes œuvres sont masculines" est insupportable. Car il est simplement faux. Annie Ernaux est en ce moment une de nos grandes plumes. Dois-je parler encore du génie de Virginia Woolf ? De Marguerite Duras ? Des poétesses russes comme Akhmatova ou Tsetsaïeva. D'Alexievitch. De Christine de Pisan autrefois ? De Beauvoir ? De Zadie Smith, dont je ne rate aucune publication. Un des romans les plus passionnants que j'ai lu ces dernières années est signé Susan Sontag. Je ne parle que de ce que j'ai lu, je ne triche pas. Et je tiens "Les mémoires d'Hadrien" de Mme Yourcenar, dont je parcours en ce moment une biographie, pour un des livres les plus saisissants que j'ai pu lire.

 

Dans ce blog on pourra trouver de nombreux exemples de ce que Julia Kristeva a appelé "le génie féminin". La matière est là. Peut-être plus rare, certes, du fait de la place des femmes dans l'Histoire. Mais Mme de Lafayette a écrit "La princesse de Clèves", sans doute le roman au style le plus élégant de notre littérature nationale, le parangon du style français raffiné.

 

C'est indéniable, les femmes ont écrit et écrivent des œuvres d'une portée immense, et leur absence est non seulement scandaleuse dans la pédagogie, mais aussi incompréhensible. Car ceux qui enseignent, choisissent les sujets, sont censés aimer la littérature. Alors comment ont ils pu passer à côté de l'amour de ces œuvres ? N'est-ce pas cet amour qu'il s'agit de transmettre ? C'est un fait qui me laisse à vrai dire pantois.

 

Oui, tout en haut de la montagne, il y a certes des hommes, comme Cervantès ou Kafka. Et puis ? Il n'est pas vrai que les textes proposés aux épreuves soient uniquement au sommet de la montagne. On étudie classiquement Voltaire, et il n'est pas au sommet.

 

Les féministes ont beaucoup glosé sur l'écriture féminine. Avec un grand recours à la psychanalyse. On n'y reviendra pas ici, c'est compliqué et je me sens plutôt incompétent à ce jour sur le sujet pour être affirmatif ou pertinent. Ce débat traverse en tout cas les grandes tendances du féminisme. On peut légitimement renvoyer les spécificités, indéniables, de l'écriture féminine, sensualiste, attachée au corps et à l'intime, vibrante avec la nature, à des interprétations essentialistes ou existentialistes et politiques, freudiennes et lacaniennes aussi. L'oeuvre féminine est aussi inséparable du mouvement même de libération des femmes, collectivement et individuellement.

 

C'est une littérature forcément politique en même temps qu'émancipatrice intimement. De Woolf à Violette Leduc. Leur oppression étant une guerre autour du corps en particulier, il est évident que la libération passe par le discours sur le corps, passe par la réappropriation du sensible. Le corps féminin a été le champ de bataille essentiel, le Verdun des femmes, et il l'est toujours. C'est là où les mots combattent aussi.

 

Il n'y a pas de réponse facile à la question de l'écriture féminine. Mais se plonger dans les oeuvres des femmes permet déjà d'entrer dans la philosophie et de secouer les interrogations majeures sur la différence, l'inégalité, la nature et la culture, et le dépassement de ce clivage même. En éjectant les œuvres féminines du corpus soumis à la réflexion des élèves, on les prive de ces questionnements essentiels. On les condamne à reproduire les clichés de la société patriarcale mais aussi d'une forme de féminisme forclos. On prive aussi les femmes de figures d'identification émancipatrices, ce qui est un vieux "truc" du patriarcat, sans doute.

 

L'oeuvre ouverte, pour piquer et déformer Eco, c'est donc aussi l'oeuvre ouverte à la féminité. Donc à l'universel. La littérature est tout simplement atrophiée, amputée, par les réflexes excluants des textes féminins.

 

Celles et ceux qui ont bousculé l'Education Nationale sur ce point ont donc été utiles. Espérons qu'ils soient entendus.

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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