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25 juillet 2016 1 25 /07 /juillet /2016 12:12
Nuits fauves tricolores - "Les nuits révolutionnaires", restif de la bretonne

Pour tous ceux qui s'intéressent à la révolution française, "les nuits révolutionnaires" de restif de la bretonne est un angle très particulier sur les événements, qu'il est utile de consulter. Etonnant écrivain, très prolixe et oublié, restif est un homme ambigu. C'est peut-être cette capacité à l’ambiguïté prolixe qui lui permet de survivre aux différentes purges révolutionnaires. C'est un intellectuel mais aussi un homme du peuple, longtemps ouvrier typographe. Il est ainsi à son aise aussi bien dans les rues, les cafés que dans les discussions avec tous.

 

Quand survient la révolution française, il est âgé mais continue de passer ses soirées dehors, dans ce vieux Paris dont il est amoureux; Il aime particulièrement l'Ile Saint-Louis mais il ne peut plus y aller, on l''y a menacé. Il nous décrit une ville insécure, lointaine annonciatrice de la capitale d'Eugène Sue, où chaque soir il manque de se faire trucider, assiste aux méfaits des canailles et des délateurs qui pullulent et essaient de profiter du climat de tension pour régler des comptes. La vie des petites gens continue malgré les événements dantesques. Les provocateurs et les espions sont là, et on imagine de surcroît qu'ils sont partout. Paris est une chaudron bouillant qui risque d'exploser à tout moment, attaquant la Bastille, déclenchant les massacres de septembre, allant chercher la famille royale pour la ramener à Paris, ou obligeant la Convention à réprimer les Girondins. Ca circule sans cesse car l'information, ou la désinformation, ont énormément d'influence politique.

 

La révolution depuis le pavé, dans l'entrelacs des affaires intimes et des moments historiques, est son point de vue. C'est une perspective parisienne, et échappent à sa plume nombre de faits majeurs qu'il ne prend pas soin de commenter. Cependant on en apprend beaucoup sur l'ambiance très particulière qui règne sur les îles parisiennes, au palais royal ou aux tuileries. Son livre tient à la fois de l'autobiographie - il nous raconte avec complaisance ses propres ennuis, par exemple avec un ex gendre pervers-, de la chronique politique, de la rubrique d'échotier. Cet homme, qui fut censuré puis autorisé, devait jouer un rôle particulier auprès de la Police, avant même la révolution. C'est un voyeur et il passe son temps à relier les micro événements qui émaillent les rues de Paris.

 

Son évolution propre semble parlante sur celle de l'opinion publique du peuple de Paris, dont on sait l'immense importance dans la dynamique révolutionnaire. Il accueille la révolution avec enthousiasme et peur devant l’abîme, las des privilèges d'une noblesse qui ne sert plus à rien, des abus du système judiciaire. Au début, il n'a rien contre le roi, comme tout le monde ou presque, il penche pour l'alliance du monarque et de la Nation, à l'anglaise, puis il se durcit au fur et à mesure, allant jusqu'à la haine contre les traîtres girondins et un républicanisme radical. Opportunisme ? Pas sûr, pas tout à fait, car il n'hésite pas à être critique en des moments où ce n'est pas si évident. Il n'aime pas le sang en tout cas, tout en étant fataliste sur les heurts d'une révolution. Notre auteur est conscient sur l'importance incommensurable des événements qu'il vit. Il pense, à un moment, aux français ... de 1992, et il décrit avec une extrême pertinence le regard que nous porterons sur la période révolutionnaire.

 

Son livre rappelle, par ce cheminement d'histoire en histoire au gré des rencontres, les "mille et une nuits", qu'il pourrait avoir lues, je ne sais pas si c'était déjà lisible en France. Il entremêle sans cesse les notations sur les événements politiques et des histoires de mœurs qu'on lui narre, ou qu'il invente, censées être récoltées dans ses traversées incessantes du paris révolutionnaire en tumulte.

 

On peut se demander s'il n'est pas mythomane cependant, et s'il parvient encore à distinguer la réalité de la fiction. On a l'impression qu'il se permet de pénétrer dans ses propres fictions. Il se retrouve tout le temps, à plusieurs reprises dans la nuit, dans des situations où sa présence, sous fausse modestie, vient chasser un maraud qui menaçait une pure jeune fille.

 

Il aime faire peur avec la figure du libertin, loup garou qui écume les vieilles ruelles parisiennes, et qui se confond un peu avec le contre révolutionnaire. restif a semble t-il un rapport, là aussi, fort ambivalent au libertinage. Il déteste Sade, dont il semble, comme ceux qui le lirent de son vivant, ne rien comprendre, seule la perspective historique permettant de saisir le sens de l'oeuvre du Marquis, qui n'est pas "sadique". Il écrira ainsi un anti justine, mais il a aussi commis des textes érotiques et déteste les prêtres par dessus tout. Il est fasciné par le vice, puisqu'il le scrute et le chronique, avec de fausses pudeurs, tout en paraissant lui-même d'une conduite irréprochable. Il n'empêche que son voyeurisme est évident, justifié par l'édification des lecteurs sur "ce qui se passe vraiment dans cette ville". Il nous gratifie de plusieurs histoires d'amour qui flirtent avec l'inceste, et qu'il entrevoit avec un regard positif, histoires qui sont nettement fictives et montent en puissance.

 

Clairement il est du côté de l'anti conformisme et de la liberté,, mais il s’effraie du déchaînement de cette liberté. Ceci est tout aussi vrai pour le politique que pour les moeurs. Il ne supporte pas la violence, en toutes choses, et qu'on s'en prenne aux innocents. Les femmes le fascinent, c'est pourquoi il en parle constamment et les aborde dans les rues pour entendre leurs histoires, ce qui n'est pas sans intérêt sociologique. On voit leur dépendance à l'égard des hommes dans les villes, leur "entretien". On voit aussi qu'elles se sont mêlées de la révolution de bout en bout, même si on ne retient aucun nom aujourd'hui, même pas celui de Mme Rolland. Il nous permet d'entendre ce délicieux langage populaire d'autrefois, baroque, construit, précautionneux.

 

Les textes de première main comme "les nuits parisiennes" sont des documents précieux, indispensables à compléter la lecture des historiens, malgré leurs dimensions manipulatrices. C'est le filtre d'une subjectivité directe qui nous offre le goût d'une époque. Ce qui a compté au moment des événements n'est pas ce qui nous semble déterminant aujourd'hui, évidemment, et ce décalage est riche de leçons philosophiques. La trahison d'un général de la république, qui passe à l'ennemi, nous ne nous en souvenons pas. Mais pour le peuple de Paris c'est un événement primordial qui déclenche des étapes de la révolution. Nous nous souvenons plus aisément des serments d'assemblée, des grandes proclamations, des lois. Pour le peuple parisien d'alors les basculements juridiques sont souvent des conséquences de moments beaucoup plus marquants humainement. Cela nous arrive aussi, en ce moment même, sans doute. Des attentats que nous subissons, que restera t-il dans la postérité ? Peut-être les conséquences politiques, le souvenir de l'utilisation prolongée d'un état d'urgence qui à la vérité n'affecte pas beaucoup nos vies, bousculées par le traumatisme des attentats que les historiens auront du mal à répercuter. C'est pourquoi la littérature, dans sa fonction de subjectivisation, a aussi une grande valeur historique.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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