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2 janvier 2017 1 02 /01 /janvier /2017 21:58
De notre pandémie identaire - "Vers la guerre des identités ?" - Collectif.  Article paru dans la Quinzaine littéraire

«  Vers la guerre des identités ? De la fracture coloniale à la révolution ultranationale ». Sous la dir. De Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Dominic Thomas

« Ni culpabilité, ni haine de soi »

 

Les éditions de la Découverte rassemblent une série de contributions qui éclairent, alertent, sur le développement tous azimuts de la peste identitaire, vindicative et glacée, dans les représentations politiques de notre pays.

 

De ces contributions, à la teinte pessimiste comme la couverture noire du livre (Alec Hargreaves parle des émeutes de 2005 comme de « la dernière chance » manquée « pour sauver la cohésion sociale »), d’un pessimisme certes décidé à tenir bon sur des principes universalistes et égalitaires, comme si malgré l’impuissance des intellectuels fidèles à ces étoiles, ce qui devait être dit est ici écrit ; il ressort que la France est un pays qui n’a pas dépassé une situation « post coloniale ».

 

Par cette expression, les auteurs de « Vers la guerre des identités ? » n’entendent pas, loin s’en faut, que la France serait dans un « continuum colonial », comme le prétendent par exemple les « indigènes de la République », identitaires en miroir des néo fascisants, qui sont pour les auteurs symptômes de la dérive paranoïaque transformant le monde en champ de bataille entre dites ethnies. On signifie plutôt par ce concept de « post colonial » que les uns et les autres n’ont pas su solder ce passé, s’enfonçant dans des obsessions qui mènent à un affrontement général dont le djihadisme local et la progression du Front National sont deux manifestations ; le livre montrant, tristement, que cette vision identitaire de la société s’ancre au plus profond dans l’opinion. Des décennies après « la revanche de Dreyfus » déplorée par Maurras à la fin de son procès de collaboration, nous pourrions bien assister à une troisième bataille frontale où pour l’instant les forces antiracistes semblent comme stérilisées par la violence de l’assaut.

 

 

Une contribution rappelle que près de sept millions d’électeurs ont voté aux dernières régionales pour une ligne politique assumant qu’une partie du corps social – des millions d’habitants – n’ont pas leur place dans le pays ! Et ils ne partagent pas l’exclusivité de cette conviction. La stratégie de Daesh, qui souffle dans le même sens que les identitaires franco nationalistes, est d’enflammer cette tentation de « polarisation » entre deux pays, « eux » et « nous » , en attisant par le meurtre la haine des musulmans, en agitant les références à l’humiliation que fut la colonisation, amalgamée avec les guerres aux Moyen Orient, réactivant l’antisémitisme par instrumentalisation de la cause palestinienne.

 

 

Nous sommes pris sous le feu croisé de ces deux catégories de Croisés qui ont en beaucoup en partage. Entre d’un côté le discours décliniste des identitaires de la dite « souche » mythique, qui ne se résument plus aux seuls groupes d’extrême droite, en particulier depuis la grande opération réussie par Patrick Buisson pour convertir un Président au discours Maurassien, et de l’autre la simplification manichéenne des tenants de l’identité victimaire des minorités, il y a certes une « ligne de crête » à défendre coûte que coûte.

 

 

Les auteurs proclament, parmi les solutions contre l’embrasement, la nécessité de regarder en face l’histoire coloniale. Histoire transformée en amertume revancharde d’un côté, et en névrose obsessionnelle de l’autre. Nous devons avancer vers un «  métarécit humaniste » (Fouad Laroui), donnant sa place à la complexité de l’Histoire, reconnaissant les méfaits incommensurables de la colonisation, sans en éluder les nuances et les contextes. Autour de ce récit nouveau, qui n’a pas son musée en France alors que fleurissent désormais les monuments d’hommage imbécile aux tueurs de l’OAS, nous pouvons éviter de transformer les souffrances d’hier en héritages conflictuels obérant d’autres lectures du présent. Les ghettos, nous dit-on dans ce livre, sont aussi bien des fractures mentales que sociales.

 

 

Le livre revient sur la vaste offensive de réhabilitation du colonialisme lancée depuis 2007, dont le discours présidentiel de Dakar a été l’apogée, n’hésitant pas à comparer l’homme africain à un enfant. En flattant les angoisses déclinistes d’une ancienne grande puissance, craintive sur le vide laissé par sa déchristianisation (le livre converge ici avec les essais d’Emmanuel Todd), et en provoquant le réflexe identitaire des minorités venues du sud, ce discours eut un effet délétère. Mais il s’inscrit tristement dans une perspective durable qui renforce les tentations discriminatoires, elles-mêmes conduisant parfois le discriminé à endosser fièrement la caricature qu’on dresse de lui.

 

 

Le drame est que face à ce déferlement, qui certes a abandonné la notion biologique de « race », quoique le livre rappelle sa réapparition (par exemple dans une célèbre saillie de Nadine Morano), pour la remplacer par un racisme culturaliste échappant plus aisément aux lois antiracistes, bilan positif fragile d’un antiracisme qui semble en échec, sur institutionnalisé, nous ne voyons rien émerger.

 

 

La notion d’intégration a été abandonnée. On ne parle plus que de religion, par la défensive, d’Islam tout court, démonisé. Et revient cette notion agressive d’assimilation, alliée à la dénonciation floue du « communautarisme », toujours celui de l’Autre. Le nationalisme français est d’ailleurs une idéologie floue, un « populisme liquide » selon Raphaël Logier, dans la mesure où elle se fonde sur la peur de l’ « Autre » comme viatique illusoire à la crainte plus profonde d’une dissolution de ce « nous » égaré. Cet Autre s’incarne d’abord dans le musulman, « Janus Bicéphale », cible idéale à qui l’on reproche d’être l’antique ennemi du christianisme mais en même temps de s’opposer à la modernité, toujours perdant. Mais il prend forme aussi dans d’autres figures comme les roms, et peu importe la faiblesse numérique ou sociale de cet « Autre ». Quant au vieil antisémitisme, il n’a pas disparu. Il s’est reconfiguré, mais persiste aussi dans ses vieux stéréotypes.

 

 

Dans une France déboussolée, la haine identitaire devient un liant. Et qui propose un autre ciment hormis la psalmodie abstraite des « valeurs de la République » impalpables, cette évanescence menaçant tout l’édifice philosophique d’une Lumière qui incendia en son temps le monde ?

 

 

Devant ces courants dont on saisit la nature irrationnelle, combien pèsent les analyses ici brillantes d’un Laurent Mucchielli opposant sa déconstruction des statistiques sécuritaires, démontrant les biais qui surévaluent les délits commis par des étrangers, face à un « Français ou voyou, il faut choisir ! » lapidaire, et aux injonctions incitant, au plus haut niveau de l’Etat, à cesser de comprendre, car comprendre serait excuser ? Les auteurs rappellent que comprendre n’a rien de moral en soi, mais que c’est tenter de s’épargner l’aveuglement des futurs perdants de l’Histoire.

 

 

Face au tsunami identitaire, la bataille culturelle ne peut qu’être totale et multiforme. Sur le terrain de l’Histoire, oui. Mais nous avons besoin d’autres imaginaires et d’autres émotions, concurrents des olifants de croisade. Finalement, et c’est là où le livre cesse son incursion, l’identitaire n’a t-il pas une fonction culturelle évidente ? Atrophier l’émergence d’autres lectures des difficultés du monde, sans doute. Comment dans une société qui a profondément changé, donner corps à d’autres représentations, fondements,manières de donner sens aux existences ?

 

j BONNEMAISON
 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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