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1 décembre 2016 4 01 /12 /décembre /2016 22:56
Le génie au dessus de la poisse identitaire - " Le pays qu'habitait Albert Einstein" - Etienne Klein

Je  referme "le pays qu'habitait Albert Einstein", d'Etienne Klein, une personnalité que j'apprécie beaucoup, m'apprête à en faire l'éloge, et je tombe avec amertume sur la polémique ouverte par l'"Express", qui révèle que l'essai est truffé de plagiats divers.

 

Etienne Klein répond et ne nie pas,ce qui est honorable, mais il plaide la maladresse et la précipitation, ses prises de notes emmêlant les citations et les compte-rendus de lectures et réflexions propres. Néanmoins, devant les exemples multiples,concernant d'ailleurs d'autres textes, et parfois flagrants, et au regard de sa culture scientifique et universitaire, il n'est pas très convaincant. Le plagiat semble parfois nécessairement conscient. Je suis donc déçu, privé partiellement de ma joie de lecteur. Je me sens floué. Etienne Klein n'est pas un charlatan, je le sais, il suffit de voir une de ses conférences et la manière dont il répond aux questions et parle sans notes. Mais je ne sais dans quelle impasse il s'est fourvoyé. Un automatisme de publication l'a mené à ces aberrations. Une sorte de bureaucratisation créative. C'est regrettable, d'autant plus que l'édition lui sera sans doute fermée pendant un moment. Du gâchis. Car c'est un passeur talentueux, un esprit polyvalent admirable, et un homme aux convictions trempées dans le meilleur de la tradition des Lumières.

 

Donc je parle de cet essai ici avec un manque de motivation, à vrai dire, et j'écris avec une plume trempée dans l'encre de l'amertume; car malgré le plaisir que sa lecture m'a procuré il ne mérite pas d'être défendu. Découvrir ou approfondir Einstein passera peut-être pour vous par les livres cités dans une bibliographie en fin de livre. Ce qui est d'ailleurs un étrange choix d'édition pour un plagiaire.

 

Etienne Klein, armé donc de ses emprunts, y retrace le parcours intellectuel de son admiration de toujours. En matérialiste, Klein part du corps pour comprendre son objet d'étude. Il voyage dans les lieux qu'a habités le découvreur de la relativité en Suisse, souvent en vélo, et ce n'est pas plat pays, ou en Allemagne, Belgique - en nous expliquant d'ailleurs en quoi la relativité est mal comprise, du fait de ce mauvais intitulé, presque contraire à la théorie-. Le livre, mi essai, mi réflexion d'un voyageur et d'un admirateur, est une excellente présentation pédagogique des découvertes d'Einstein, dont certaines viennent tout juste d'être validées empiriquement, notamment l'existence d'ondes gravitationnelles.

 

Ce n'est pas une biographie, ni un essai scientifique, même si la science y a sa place, mais une réflexion sur la manière de penser d'Albert Einstein, dont l'auteur concède qu'elle a, justement parce qu'on parle de génie, une dimension, quoi qu'il en soit, sidérante et impalpable. Contrairement à ce qu'on peut penser de loin, Einstein partait de questions très pratiques, presque enfantines. Mais il se les posait avec acharnement avec tous les outils disponibles à un adulte. Klein montre bien la dynamique de l'oeuvre scientifique, les sources qui ont mijoté dans l'esprit du découvreur. Il tente d'approcher au mieux la méthode de pensée de son modèle. Et il y parvient, nous livrant le portrait d'un homme attachant, génial, loufoque, sans cacher ses nuances aussi.

 

On ne sait pas les recettes du génie. Mais on peut en observer certaines caractéristiques. Le génie est toujours un peu à côté, occupé à sa vie intérieure, distrait et maladroit. Mais il n'est pas seul. Sans l'amitié, le génie ne peut pas s'exprimer. Comme un boxeur a besoin de bons camarades d'entrainement.

 

Autre trait du génie : une profonde conscience historique, Einstein connaissant parfaitement ses prédécesseurs, et Klein imagine un beau dialogue avec Galilée. Pour le génie l'Histoire n'a pas ce caractère irréel qu'elle peut revêtir parfois, c'est une aventure qu'il veut continuer, un chemin qu'il arpente. Klein ne développe pas cette particularité mais elle m'a sauté aux yeux.

 

Le génie lie et relie. Sans la lecture de Kant, Einstein n'aurait peut-être pas développé ses intuitions. Einstein a eu besoin d'allumettes philosophiques pour révolutionner la physique. Mais il a aussi eu recours à une multiplicité de sources scientifiques. Il n'était pas le meilleur mathématicien de son temps, mais il était capable de se servir des travaux des meilleurs. Le génie tient du chef d'orchestre. Et Einstein adorait la musique d'ailleurs, le violon qu'il pratiquait dans une formation.

 

Enfin, il y a l'éducation. En partant en Italie, puis en Suisse, Einstein, qui avait souffert de la stricte éducation allemande, n'aurait peut-être pas pu s'épanouir intellectuellement. La rencontre avec des pédagogues intelligents et soucieux d'éveiller la liberté de leur élèves est déterminante. En tout cas elle le fut pour lui.

 

Le génie est exposé à la difficulté d'intégration, par nature. Il excède le présent. Il le dépasse. Il n'y entre donc pas. Einstein, alors qu'il avait déjà publié une partie de ses articles révolutionnaires, était occupé à tester des épluche légumes dans un institut de brevetabilité... Le système institutionnel finira par s'adapter à Einstein et lui offrir une place, mais cela ne se fera pas sans difficulté. Et avec un peu de chance, notamment parce que certains grands collègues auront de la grandeur à admettre ses percées.

 

Le génie a un coût.

 

C'est un texte politique qui tombe à point dans la mesure où il s'agit d'évoquer un pays comme le dit le titre. Le pays d'un apatride de circonstances et en tout cas d'esprit. Un pays qui s'appelle l'universelle raison, si l'on veut. Un pays bien particulier. Intempestif. Un pays menacé.

 

Einstein c'est l'antipode de la vague identitaire qui nous mord la nuque. Un homme qui n'a jamais habité que le pays des idées, de la spéculation intellectuelle, de la recherche, et du partage.

 

Einstein haïssait le nationalisme, et les nationalistes le lui rendaient bien. Il trouva justement dans la science trouvait la possibilité d'un langage objectivé permettant de briser les frontières, de discuter, sans la barrière des langages, grâce aux mathématiques en particulier, avec les grands scientifiques du passé et du présent. L'époque d'Einstein est révolutionnaire comme peu l'ont été sur le plan de la recherche fondamentale. Einstein a renoncé deux fois à la nationalité allemande.

 

Il était tourné vers la création, et jamais vers le passé comme identité ou assignation. En défendant sa figure on montre qu'un autre chemin vers la grandeur est possible que celui des mythes fondateurs hystérisés qui semblent conduire ce monde à l'affrontement général.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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