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7 décembre 2016 3 07 /12 /décembre /2016 15:38
Merci Marcel

Je suis né dans les années 70, je n’ai pas découvert le comique de l’absurde avec Ionesco, Beckett ou Chesterton et son « club des métiers bizarres », Jarry . Ils sont venus après, juste après les Monty Python. Mais comme beaucoup, dans ma génération, avec Marcel Gotlib, dont les œuvres m’étaient offertes pour me récompenser quand j’avais du affronter des moments pénibles sagement, et ceci très jeune. En particulier les albums de la rubrique à brac et les dingo dossiers.

 

Gotlib qui nous quitte, liait l’absurde à un humour intelligent, dense, généralisé, et cultivé. Gotlib a montré qu’on pouvait, et même qu’on gagnait, à être à la fois « intello » et franchement déconnant. Un décloisonnement qui a été fort heureusement bien compris.

 

Il nous a transmis le goût d’un humour comme joie large de l’esprit, bien qu’il savait aussi donner dans les autres registres, en particulier le scabreux – j’ai ri sur « Pervers pèpère" , mais plus tard, à l’âge potache de l’hypokhâgne-, mais aussi le poétique tendre, comme avec ces planches narrant le conte du « Matou Matheux » où un enfant s’endort pendant un devoir de maths, visité dans son songe par un chat qui de manière alambiquée symbolise son cheminement inconscient vers la résolution du problème. Ces dessins-là me sont inoubliables. Je n’avais malheureusement pas le secours d’un Matou Matheux mais j’avais saisi à quel processus de pensée Gotlib faisait référence .

 

Son humour plongeait dans les méandres de l’Histoire, des mythes anciens. Humour agitant les mythologies de son temps aussi – super-héros, personnages de cinéma -, toute la production de la société du spectacle soumise à la drôlerie. La religion n’y échappait pas non plus, mais sans nécessité de donner dans le bouffe curé sommaire.  La culture devenait un immense terrain de jeu potache. Nous y découvrîmes Isaac Newton -grande victime de Gotlib, ne cessant de se ramasser une pomme sur la tête en trouvant la gravitation-.  L’esprit de sérieux en prenait un sacré coup, mais en même temps la curiosité en était avivée pour tout, le monde devenant un immense terrain de rigolade.

 

L’exploration de l’Histoire cessait de se présenter dans l’habit de corvée de nos cours magistraux, mais prenait un tout autre visage, dionysiaque. Merci Marcel, car je suis certain que tu es un des responsables de mon appétence pour le savoir et la culture. Un roi n’était plus une date à retenir mais un type looké, franchement rigolo, et aller le voir de plus près valait le coup. Henri IV par exemple, franchement réussi.

 

Pour beaucoup d’entre nous Gotlib a été le vaccin – trop efficace ? – de l’esprit de sérieux. Le grand dispensateur d’acide, de recul, de prévenance contre les manipulations des attitudes formatées. Le formateur à la dérision, au regard comique sur à peu près tout, rien n’échappant à la critique du rire et à un certain grotesque dès que le sérieux menace. C’est difficile de se sentir lesté quand on a été formé par Gotlib. Tout interlocuteur qui joue son propre rôle en y croyant un peu trop nous apparaît dans son ridicule, nourris que nous sommes par les exagérations de Marcel. Mon regard restera toujours marqué par Gotlib. A la recherche de ce qui est risible. De cet onguent partout disponible. Grâce à son étude hilarante du cochon – qui a un groin pour pouvoir y brancher son rasoir électrique-, ma vision des animaux est par exemple essentiellement comique, et tout peut être librement déformé et détourné pour qu’enfin, on rigole.Comme « Bernie », j’aime les hyènes, et je le dois je pense à la présentation que le prof de sciences nat. de Gotlib en effectue.

 

Pourtant, Gotlib, qui un jour cessa de dessiner, dans les années 80, sans qu’on sache pourquoi tellement il ne se prenait pas au sérieux, ne cadre pas avec le temps de la dérision totalisante et étouffante . Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas paresseux. C’est précisément parce qu’il est ouvert, cultivé, et donc qu’il se passionne du monde sans le dissoudre, qu’il est drôle en déconnant finalement. Loin de la dérision nihiliste de notre époque, où l’on se force à rigoler avant d’avoir compris quoi que ce soit, Gotlib dispose d’ un point de vue qu’il a édifié, un style unique d’abord, baroque, luxuriant, liant réalisme et caricature. Un point de vue intellectuel sans le dire, qui tourne à la grande marre. C’est ce qui le sépare radicalement des amuseurs sinistres qui sèment la dérision sur le vide.

 

En lisant son autobiographie, en 1993, ‘J’existe, je me suis rencontré », trop méconnue, émouvante et évidemment drôle, j’ai appris son enfance dramatique, qui évoque celle de Barbara et d’Irène Nemirovski, cette dernière étant interrompue par la mort. Ils ne l’ont pas sublimée de de la même manière, c’est le moins qu’on puisse dire, même si dans l’intimité la chanteuse semblait une amie très drôle.  L’enfance d’un enfant juif traqué, caché à la campagne.

 

On comprend mieux ce qui a construit cet humour particulier qui semblait l’apaiser, à ce qu’on voit de ses interviews filmés. Le sens du monde lui était inévitable. Mais il fallait le déminer. L’humour a été ce viatique. Ne rien prendre au sérieux, car le sérieux est insupportable. Mais ne pas abandonner le monde pour autant, car justement le monde vous a abandonné. La figure du père assassiné par les hitlériens en particulier.

 

Alors on dessine un monde baroque, on y promène sa coccinelle, ça surgit de partout, les êtres y provoquent un feu d’artifice. La sagesse devient la rigolade. Si Super Dupont rappelle le Milicien d’antan, méchamment contemporain, qui traquait les petits enfants juifs comme Marcel, il vaut mieux se gausser de lui, plutôt que de le haïr et s’empoisonner deux fois plutôt qu’une. La vengeance ne se mange pas froid, mais en pouffant de rire au risque d’avaler ses spaghettis. Il n’y a pas de méchanceté véritable ou centrale dans Gotlib  même s’il n’épargne personne, pas même les enfants. C’est ce qui a du se décider en lui : il vaut mieux en rigoler, de toute façon. Il y est arrivé mieux que tout autre, et nous a permis d’en profiter un peu, nous qui n’avons pas forcément accès à cette plénitude de l’humour rayonnant.

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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