Le souvenir des enfants d'Izieu s'est télescopé dans mon esprit avec l'horreur subie par les enfants d'Alep à cette seconde. Les enfants n'ont jamais échappé à la barbarie déchaînée par les adultes "responsables". Le droit international, chemin faisant, en essayant de sanctuariser ce qui pouvait l'être, introduisant - peut-être naïvement, oui - de la civilité dans la guerre, a parmi d'autres réalisations , comme la création de la CPI ou auparavant la proscription de la torture et des armes chimiques, tenté de protéger l'enfance autant que possible.
C'est ainsi qu'ont émergé les droits de l'enfant comme une catégorie particulière, la première d'ailleurs, à contrebalancer la loi absolue du marché au 19 ème siècle, lorsque le travail infantile fut dénoncé. C'est ainsi que l'enfant, dans les textes de loi internationaux déclinés dans les législations locales, a des droits en tant qu'enfant. Qu'il échappe à cette condition de sans droit radical décrite par Hannah Arendt dans un monde où l'apatride, le migrant, ne sont pas de la Cité car ils ne sont pas reconnus par la Nation.
Parmi ces droits, transnationaux et inconditionnels, du mineur, il y a celui d'être protégé quoi qu'il en soit, et d'avoir accès à une éducation. L'enfant échappe, dans les esprits civilisés, aux luttes sociales des adultes.
Il bénéficie d'une trêve ininterrompue, en vertu de son innocence. L'enfance est un pays éternellement neutre.
Or quand Marine Le Pen, qu'on nous dit déjà qualifiée pour le second tour des présidentielles, "propose" la fin de la gratuité de l'école pour les enfants d'adulte en situation irrégulière, elle fracasse le principe même de sanctuarisation de l'enfance. Pis elle instrumentalise l'enfant, pour mener une politique, illusoire d'ailleurs, car on fuit aujourd'hui pour ne pas mourir, de contingentement brutal de l'immigration.
L'enfant n'est plus ici une fin mais un moyen. En plus d'être cyniquement pris en otage électoralement. Celui qui forme des enfants soldats, des jeunesses hitlériennes au génocide rwandais, ressemble à celui qui se comporte comme un soldat envers des enfants. Soldat politique aujourd'hui. Et quoi demain ?
Il a été déclaré solennellement par maints traités que tout enfant du monde avait le droit d'être préservé de la terrible violence des joutes politiques entre adultes, auxquelles il ne peut pas participer. Et qu'il a le droit à l'éducation, en tant que citoyen du monde, quel que soit l'endroit où il se trouve. Quoi qu'on pense de la politique d'immigration on doit considérer que ce n'est pas un enfant qui décide d'émigrer. Il suit. On peut déjà discuter, je le discute, le fait qu'être irrégulier soit un délit, mais il est insupportable d'en imputer la responsabilité à un enfant et de le punir de la ressource la plus précieuse à tout humain, au delà de la subsistance la plus primaire : l'éducation. A savoir le droit de comprendre simplement, le monde, afin d'y exister.
Le silence assourdissant qui a suivi cette "proposition" qui vise, sous le fragile vernis hypocrite du levier financier, à chasser les enfants d'adultes sans papier des écoles, ne peut que nous alerter sur la banalisation de la violence envers les enfants. Sur les glissements qui remettent en cause leur spécificité. On les sait déjà visés par le marché, cibles comme les autres du matraquage publicitaire. On les soumet par l'évaluation précoce et obsessionnelle à la compétitivité dès le plus jeune âge. On les réifie aussi malheureusement, en glissant du droit de l'enfant au droit à l'enfant dans les philosophies du droit d'inspiration consumériste.
La brutalité envers les enfants n'est-elle pas le signe le plus flagrant d'une tentation barbare qui agite une société en proie aux fantasmes identitaires les plus dangereux ?
L'enfant lie. L'enfant réconcilie, comme le montre le quotidien des structures d'accueil de la petite enfance par exemple. Et ce n'est pas un hasard si ceux qui veulent briser les liens s'attaquent aussi à lui.
Jérôme Bonnemaison