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23 janvier 2017 1 23 /01 /janvier /2017 21:05
D’une hérésie individualiste – « Dandies, Baudelaire et Cie » - Roger Kempf

 

 

Je suis tombé sur un essai en poche sur les « dandies », de Roger Kempf, déjà ancien. Un dandysme approché à travers ses héros littéraires, dont Baudelaire au premier chef, Barbey d’Aurevilly, et avant eux Chateaubriand et Stendhal. C’est une figure intéressante et insaisissable, à la fois pathétique et éminemment sympathique (il a souvent du talent), que ce dandy, un peu oublié. Il surgit au temps héroïque de la bourgeoisie dominante, en réaction, dans la lignée du romantisme.

 

 

Nous vivons peut-être une époque de victoire à la Pyrrhus de la bourgeoisie, certains considérant qu’elle détruira, par son aveuglement festif, le monde avant même qu’elle ne s’autodétruise avec le système économique dont elle est la classe dominante. Avons-nous nos dandies ? Les hipsters ? Trop catégorisables sans doute et trop soumis aux manipulations du marché. Il n’y a pas de « législation » du dandysme dit Kempf. Le dandysme est une manière d’être. Il repose certes sur une sémiologie, mais tout est dans « la manière ». Les signes ne suffisent pas à être jugé dandy. Dans ce culte maniériste, on saisit tout ce que l’on oppose d’Etre à l’Avoir.

 

 

La figure surgit au 19eme siècle et se cherche des héritiers lointains, sans s’accrocher à quelque désir révolutionnaire (nous en sommes en panne aujourd’hui aussi. Le dandysme nous parle donc un peu de la manière dont nous pourrions réagir. Et il y a du dandysme dans certains mouvements culturels, comme le post punk par exemple, d’après l’espérance révolutionnaire). C’est une attitude réservée à des anciens aristocrates, à des bourgeois dégoûtés, par la culture, de leur condition, ou à des artistes, dont la condition flottante les conduit à se détacher du froid calcul utilitariste de ces temps. Il ne risque pas de s’agréger à quelque mouvement collectiviste. Puisque le dandy est, comme le dit l’auteur, une « insularité ». Baudelaire était dans la rue en 48, mais il scandait des slogans… individuels sur son beau-père… C’est dire combien ce dandy serait intempestif au temps des identités triomphantes. Evoquer l’intempestif est aussi une manière d’aborder l’époque.

 

 

Le dandysme est une forme d’aristocratie qui n’est pas forcément l’apanage des aristocrates, puisque l’aristocratie n’est plus dans l’ordre économique, en tant que telle. C’est une aristocratie imaginaire, qui se réfère à ce qui est de plus appréciable dans une certaine idée de l’aristocratie, et que le règne bourgeois a détruit. Les valeurs bourgeoises, voilà l’exécrable. Des anarchistes ces dandies ? On pourrait le penser. Mais non. Le dandy est un individu et n’a aucune cause, il reste dans la légalité et se contente d’insolence et de mépris. Il ne voit le monde qu’à travers les comportements qu’il juge et ne saurait se dévouer à quelque cause collective, condamnée d’avance. Comme s’il avait déjà renoncé par prophétie, anticipé les chutes des espérances. Il ne croit qu’aux gens. En cela il est post moderne en avance d’un siècle. Musset était dandy (Baudelaire le contestait), mais ne partageait pas le militantisme de Sand. Il y eut bien Eugène Sue, le feuilletoniste à succès immense des « mystères de paris » non évoqué dans l’essai, qui combina le militantisme socialiste jusqu’à en payer le prix de l’exil, et le dandysme. Jean Louis Bory, lui aussi dandy et pourtant marxiste à sa manière, a écrit une belle biographie à son sujet, introuvable, mais que je conseille.

 

 

Tout ce qui est bourgeois le dégoûte. L’argent pour lui-même, la vitesse, l’accumulation, le laborieux, l’utilitarisme. Les dandies exècrent les Etats-Unis de l’éthique du travail et de l’épargne mise en évidence par Max Weber. Ils détestent l’obésité bourgeoise. Mais ce sont ces valeurs là qu’ils haïssent, et non la société de classes en tant que telle. Elles sont aussi haïssables quand elles s’expriment dans le peuple. Ils y préfèrent le svelte (ils sculptent leur corps), l’économe, qui va de pair avec la dépense sans souci quand on le décide. Baudelaire écrit un pamphlet d’une violence terrible sur les belges et leur vulgarité selon lui. Ce qui est intéressant ainsi dans le dandysme, c’est la capacité des classes dominantes à écœurer leurs propres fils, ce qu’on retrouvera en mai 68 sous d’autres formes. 

 

 

A ce point de mon article, je me dis que le gendre de Marx, Paul Lafargue, avait un côté dandy dans « le droit à la paresse » (Nietzsche, dandy à sa manière, disait que tout homme obligé de consacrer plus que quelques heures au travail est condamné à être un esclave). Et aussi quand il décide stoïquement de mettre, avec sa femme, un terme à sa vie. Le dandy est romain. Il admire César et Alcibiade. Ils voient dans le romain le stoïcisme économe, digne, préoccupé de beauté (et de sa mise) plutôt que d’utilité, dispendieux à ses heures. Cette dignité borne leur insolence, qui n’est jamais spectaculaire, outrancière, mais donne dans l’humour noir, pince sans rire.

 

 

L’accumulation, c’est la vulgarité même. Et Baudelaire va jusqu’à détester la photographie, parce qu’elle promet le trop (en cela il ne s’est pas trompé).

 

 

Le dandysme c’est aussi la recherche éperdue de la distinction, de la différenciation. Le refus de l’assignation, du costume bourgeois certes, mais aussi de toutes les ressemblances. C’est le souci de se créer soi-même. Cet esprit Nietzschéen de haine du troupeau, de la massification. Dont on dira à tort qu’il est fasciste, puisque le fascisme repose, on le sait depuis Hannah Arendt, sur la massification. Le dandysme serait vacciné contre l’identitaire contemporain, qui le dégoûterait au plus haut point. A l’individualisme marchand il oppose un autre individualisme, tout aussi radical. L’indépendance à tout prix. D’où ses efforts de distanciation, symbolisés par le monocle et les gants. Le culte de l’impénétrable. La propension au célibat, et à ne pas donner descendance, qui va de pair, certes, avec une certaine misogynie car la femme du 19eme est assimilée à la mère.  Malgré ses tendances réactionnaires, assez méprisables, on ne peut que rêver de néo dandies au milieu de ces tribus stéréotypées qui bariolent notre époque et rassurent en fournissant le kit complet de l’identité. Le monde en serait plus intéressant.

 

 

Le dandysme est empêtré dans une contradiction. En méprisant le travail, il se prive des ressources qui permettent le loisir, la contemplation, le dévouement à l’esthétique et à la sculpture de soi. Nous avons tous connu des dandies au RMI dans nos cafés d’étudiant. Ils se trouvaient des costumes de goût aux fripes, parce qu’ils étaient encore jeunes et que l’élimé charmant leur convenait. Un jour ils ont disparu du café. Le désespoir lui, y reste assis. Et les mille manières d’y survivre.

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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