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3 février 2017 5 03 /02 /février /2017 21:42
  Survivre, disent-ils -" De rêves et de papiers - 547 jours avec les mineurs étrangers isolés", Rozenn Le Berre

Ce n'est presque pas un récit, pas du tout un essai, c'est un document d'abord et avant tout, tellement Rozenn Le Berre choisit, semble t-il de prime abord, de s'effacer pour donner la parole aux ombres des ombres de nos rues contemporaines : les mineurs étrangers isolés en France, et aux autres survivants du chaos géopolitique qu'elle a accueillis pendant un an et demi au sein du dispositif spécialisé, "front line", de la protection de l'enfance.

 

Un effacement personnel qui n'est qu'illusoire, car un des mérites de ce livre est justement de ne pas s'abriter derrière le témoignage brut, et de soulever, avec délicatesse, des mots simples, sans jargon, les interrogations sincères que tout travailleur social exposé à ces situations peut légitimement, et a le devoir parfois, de ressentir.

 

Ces interrogations sont indispensables s'il ne veut pas tomber, ni dans "la banalité du mal", ni dans une position intenable militante qui n'est pas sa place. Non pas que les militants du droit des étrangers ne soient pas légitimes, c'est une autre question que leur rôle et leurs positions. Mais notre société a aussi besoin de travailleurs sociaux qui agissent dans "la main gauche de l'Etat", et concrétisent les droits incorporés dans les législations (pour citer un auteur cher à la jeune Rozenn le Berre). Ce n'est pas une position aisée, nous le comprenons bien en lisant " De rêve et de papiers" de Rozenn Le Berre

 

Paradoxalement, le travailleur social se retrouve dans une position double de toute puissance et de totale impuissance. Il ne peut pas grand chose pour beaucoup de ces immigrés, comme ces jeunes non hébergeables qui ne peuvent même pas appeler le 115 car mineurs. Et en même temps, s'il est de mauvaise humeur un jour, ils peut rédiger un rapport à charge qui scellera le sort d'un individu. 

 

Rozenn le Berre a été chargée d'accueillir des mineurs étrangers isolés, de les informer sur leurs droits et les procédures, de réaliser l'enquête nécessaire au Département, responsable de la Protection de l'Enfance, en lien avec le Tribunal, pour pouvoir ou pas déclarer mineur l'individu en question et le mettre ou pas sous protection des pouvoirs publics jusqu'à sa majorité.  L'envoyer à l'école, où souvent il est très appliqué et très discipliné, car porteur de l'espoir d'une famille qui a investi pour son émancipation, et se souvenant des sacrifices consentis. Ou le renvoyer à la rue ou en Centre de Rétention.

 

Elle livre les souvenirs terribles la plupart du temps, de ces rencontres, toujours édifiantes. Et elle structure ce récit autour d'une colonne structurante : un récit plus fictif, agrégeant une sorte de parcours idéal typique de tout ce que l'on peut vivre de plus éprouvant pour arriver en France et rentrer dans le dispositif de protection. C'est le parcours de Souley, jeune malien imaginaire, collage cohérent de morceaux de vie puisés dans les dizaines de rapports que Mme le Berre a réalisés pendant son contrat.

 

Elle l'a interrompu de peur de tomber dans une sorte de mécanique à la dérive, qu'elle définit dans le cas d'espèce comme une "présomption de majorité", c'est-à dire une paranoïa embryonnaire à l'égard des témoignages qu'elle est chargée de recueillir et d'analyser, avec l'aide de "google traduction" (autrefois dans le social on usait d'interprètes, rares, et c'était infernal de travailler sans cela. Au moins les GAFA auront soulagé les bureaux du social de ce poids, un petit peu).

 

Les souvenirs ici présentés nous plongent dans l'horreur de l'exploitation des migrants, par les passeurs, et autres "ordures" qui jonchent le parcours infernal d'un exilé. Le viol est fréquent. Les tabassages aussi. La prostitution  durable est parfois la clé du marchandage. On ne peut que s'étonner de la résilience, du stoïcisme, de ces survivants qui arrivent jusqu'à nous. Quand on est exposé réellement à la survie, on trouve souvent les ressources, manifestement. Mais pas sans dégâts, même si ces "usagers" ont une immense pudeur et parlent systématiquement de leurs blessures avec euphémisme. Traverser la mer, c'était "dur, un peu" quoi...

 

Beaucoup parmi ces afghans, ces syriens, ces éthiopiens, ces marocains, ont été surexploités pendant le parcours, humiliés, ont subi des contraintes physiques innommables et un stress inimaginable.  Les policiers n'ont pas toujours été tendres non plus avec eux, dans chacun des pays croisés (même s'il y a aussi ceux qui leur souhaitent bonne chance). Rozenn le Berre restitue ces tranches de vie de gens qui veulent juste survivre, sans manichéisme ni pathos recherché (il n'y en a pas besoin), forte d'un humanisme simple et d'une empathie sans prétention, ne renvoyant jamais les dilemmes éthiques qu'elle subit en tant que travailleuse sociale, ou simple citoyenne, sur le dos des autres.  C'est une démarche éthique très appréciable pour le lecteur.

 

Si l'auteur, qui souvent ne fait que croiser ces jeunes qui une fois emmenés chez elle, repartent, le policier disparu, vers la gare qui les mène plus près de l'Angleterre, souligne à travers maints exemples qui parlent d'eux-mêmes les absurdités nichées au sein de nos politiques migratoires.

 

Et il y en a , comme le fait d'inciter les majeurs à venir se présenter comme mineurs, en instituant un couperet radical pour les majeurs non assimilables à des réfugiés "politiques" (alors que le politique, l'économique, ne sont plus dissociables dans le chaos), ou comme l'incitation de facto à commettre des délits pour être plus aisément hébergé, dans certains cas. Le délai administratif pour être reconnu mineur plonge tous ceux qui ne peuvent pas avoir une place d'urgence dans la rue. Et les tests osseux, demandés en cas de doute, n'ont pas grande fiabilité, ce que tout le monde sait. L'auteure nous décrit tous les,trucs et les contre mesures déployés par les exilés et les services français du social, de la police, pour d'un côté s'en sortir à tout prix, et de l'autre respecter la loi en essayant de faire prévaloir une certaine équité les pieds dans la boue.

 

Mais elle ne dit pas posséder de baguette magique non plus pour surmonter à court terme les défis soulevés par l'accélération des flux migratoires dont elle offre d'ailleurs un tableau saisissant. Elle ne caricature rien, ne cache rien non plus. Ni sa culpabilité occasionnelle, quand elle a manqué d'attention, ni sa fierté d'avoir permis, parfois en trichouillant à la marge, un peu moins de souffrance, tout en travaillant dans l'esprit de la Loi. Il n'empêche que quoi qu'on pense, ce sont des êtres humains qui se cachent derrière ces "flux" et qu'on doit absolument en préserver la conscience, ce que le livre de Rozenn Le Berre se donne comme mission de rappeler.

 

Si on peut tirer une leçon de cette lecture, portée par un talent de conteuse, un style léger comme l'air qui donne plus de réalité, je trouve, aux faits, l'auteure, bien modeste, se garde de la livrer. Elle nous laisse plutôt à la méditation du réel. Ce que pour ma part je retiens, c'est que l'imagination de ceux qui veulent s'en sortir est sans limites. Les frontières d'un monde globalisé sont fragiles et ceux qui promettent de les fermer sont des vendeurs de lubies. Sans doute la raison nous conduirait-elle à repenser de fond en comble nos représentations en matière de circulation et de séjour. Pour organiser des mobilités, inévitables, sans obliger les gens à se cacher et à se fixer pour ne pas avoir à retenter l'aventure.

 

L'exil n'est pas un plaisir ni un voyage d'agrément, c'est le moins que l'on puisse dire. Aujourd'hui les Etats échouent sur tous les plans. Ils ne tiennent pas les promesses électorales d'étanchéité, ils ne respectent pas leurs affirmations universalistes et humanistes. Sera t-il un jour temps de reposer avec courage ces questions, plutôt que de s'enferrer dans l'ignorance des souffrances et l'impuissance coûteuse ?

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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