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26 mars 2017 7 26 /03 /mars /2017 22:43
A l'ombre douce des songes - " Traversée des ombres" - Jean-Bertrand Pontalis

Pour l'écrivain et psychanalyste Jean Bertrand Pontalis, écrire, se constituer durablement comme individu, l'un et l'autre, l'un avec l'autre, était se placer et cheminer sous l'ombre des songes, le songe des ombres.  

 

C'est ce qui ressort de ce recueil, tardif dans sa vie, de textes intitulé "La traversée des ombres". Une rêverie littéraire inaugurée, comme une séance de psychanalyse s'accroche à un mot, par la fascination pour l'étrange étrangeté d'une expression :

 

"Ombres portées".

 

Cette rêverie littéraire, relancée par la simple présence d'un arbre parfois, évoque une ambivalence de l'ombre. Est-ce elle qui porte ou la porte t-on ?

 

Ce sont parfois nos fantômes, les ombres, qui paradoxalement nous donnent une consistance. Un homme sans ombre est un homme sans vie. L'ombre, c'est ce qui nous nourrit ou nous accable. C'est, pour Pontalis, l'inconscient avant tout.

 

A quel point sommes-nous portés par les ombres ? 

 

" Combien de fois me suis-je surpris à parler avec la même intonation que mes maîtres (... ) Dans ma soumission à eux ou dans ma rébellion, ils sont là, mes anciens, mes disparus. Je m'adresse à eux,les réunis, les sépare, je suis parlé par eux ".

 

Le recueil de textes de Pontalis associe. Comme une séance. L'ombre conduit au deuil. Si le deuil fait de nous "l'ombre de nous-même", la mélancolie, elle, est le règne absolu de l'ombre. L'endeuillé sait ce qu'il a perdu, le mélancolique n'en a même pas idée.

 

Nos fantômes, l'armée des ombres, nous les rencontrons dans les rêves souvent. "La traversée des ombres" est avant tout une célébration, encore, du rêve, de son caractère protecteur, qui unifie le sujet.

 

"Le rêve ignore le néant".

 

Nous rêvons parfois de "nos morts". Pontalis remarque d'ailleurs que vivants ils n'étaient jamais qualifiés comme les nôtres. Ils ne nous appartiennent que morts, les autres. Et de nous narrer des cas touchants et dangereux d'amis ou de patients qui ont transformé leurs vies en mausolées.

 

Les rêves, matière privilégiée de l'analyse. Freud les a sortis du romantisme, il en a fait des rébus. Pour Pontalis, il est essentiel de creuser le filon de la parenté entre pensée et rêve, trop opposés.

 

Il est possible que le rêve soit proche de la forme originelle de la pensée. Que sa subsistance soit une trace de l'apparition du psychisme à travers l'humanisation.

 

Peut-être, et Freud l'a a peine évoqué, l'inconscient a t-il été la première forme de pensée.

Peut-être la pensée, à l'origine, a été une simple impression d'objets.

 

Et Pontalis de se réclamer de Merleau Ponty qui opposait à Sartre l'idée d'une pensée qui ne se séparerait pas radicalement de la perception.

 

Et puis il y a ceux qui refusent l'ombre.

D'abord Pontalis évoque Platon, celui du mythe de la caverne. Lycéen on applaudit à celui qui sort les hommes brutalement de la caverne. Plus tard dit Pontalis on s'interroge sur la violence du geste et ses conséquences. Et puis Pontalis nous parle longuement du peintre Mondrian et de l'évolution de son oeuvre vers le dépouillement. Sa peinture lui apparaît, comme toute une littérature des métamorphoses, révéler un refus des séparations qui caractérisent la vie. Telle que la séparation du jour et de la nuit.  Telle la séparation sexuée. Telle la séparation entre l'homme et l'animal (sans cesse remise en cause chez Ovide). L'abstraction picturale ne laisse pas la part de l'ombre. 

 

Le refus de la condition humaine.

C'est une attitude que Pontalis reconnait en de multiples figures, dont celle, si émouvante et troublante, du Bartlby de Melville qu'il analyse longuement.

 

Vivre, penser, c'est traverser les ombres. La psychanalyse est un réverbère qui porte un halo de lumière sur l'obscurité qui reste l'obscurité. Tant mieux.  La philosophie qui d'abord attira le jeune Pontalis prétendait faire la lumière sur tout, par le concept, qui classe, range, comme Mondrian, éliminant les ombres.  En vieillissant Pontalis a préféré vivre au coeur du vivant, du sexué, de l'incarné. Là où il y a des ombres. Là où j'ajoute, on n'a pas peur de son ombre.

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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