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17 mai 2017 3 17 /05 /mai /2017 23:08
Un pas de côté, toujours - " Lou Andréas Salomé, l'alliée de la vie" - Stéphane Michaud

Lou Andreas Salomé est une figure qui n'est point oubliée. Mais alors qu'elle fut d'abord connue, de son vivant, comme femme de lettres, internationalement, elle l'est plus aujourd'hui par des aspects biographiques. Ce qui fascine chez elle est sa liberté, précoce, ses amours avec des génies, les correspondances où elle brille avec des  personnages considérables de son temps, et le lien qu'elle opère entre les deux grands révolutionnaires de la pensée à l'orée du XXème siècle, Nietzsche et Freud, dont elle fut extrêmement proche. Ce lien humain, entre les deux penseurs du soupçon, ne manquera pas d'interroger. Comme si Lou avait elle-même perçu un lien que Freud ne soulignera jamais. 

 

C'est ainsi par exemple qu'Irvin Yalom, psychanalyste et écrivain, a fait de Mme Salomé un personnage clé de son roman " Et Nietzsche a pleuré", où il imagine une psychanalyse du philosophe, qui se retourne en psychanalyse du thérapeute au contact de la pensée du Gai savoir.

 

L'oeuvre de romancière, de critique et d'essayiste  de L.A.S  est un peu oubliée, en tout cas en France. J'ai lu comme d'autres son livre sur Nietzsche, un peu indigeste à mon sens, et qui présente sa pensée comme un système, ce qui me laisse dubitatif, que l'on trouve fréquemment chez les bouquinistes, mais je n'ai jamais croisé une autre de ses œuvres sur un étal.

 

La biographie de Stéphane Michaud, "Lou Andreas Salomé, alliée de la vie" nous offre une vision globale du personnage, unanimement reconnu comme rayonnant, excepté par la malsaine Elizabeth Nietzsche. Étonnant à plus d'un titre.  

 

C'est une biographie solide, chronologique, qui suit notamment les journaux que tenait cette dame qui meurt en 1937 sans avoir cédé aux appels des nazis, qui ont réalisé une O.P.A sur la psychanalyse allemande qu'ils dénaturent très vite, avec la complicité de Jung.

 

On sait qu'il y a deux polarités possibles pour une biographie. Tirer vers le portrait, donner du sens à une vie, la synthétiser et mettre en avant des points saillants qui vont aider à caractériser un personnage. Ce choix est plaisant pour le lecteur, mais il laisse un goût amer de transcendance. Comme si nous étions ici-bas pour commettre un destin analysable a posteriori. Ces biographies sont parfois comme téléologiques. Elles ne laissent pas de place à l'obscurité, ou tout simplement au déchet, au vide, qu'une vie peut comporter.

 

Et puis il y a les biographies exhaustives, qui semblent partir du principe qu'une vie est une vie, qu'elle n'a pas besoin de revêtir un sens bien net. Elles ont pour défaut de verser dans l'anecdotique voire le fétichisme et l'archivisme borné. Stéphane Michaud penche relativement de ce côté là, mentionnant ce qui se passe, parfois, de saison en saison. 

 

Lou Andreas Salomé ne sera pas toujours riche. Elle aura à subir la pauvreté dans sa vie, notamment quand elle vivra comme analyste. Mais elle connaît une belle enfance, qui la dotera manifestement d'une confiance inébranlable et d'un don pour le bonheur. Elle n'est pas et ne sera pas une mélancolique, ce qui est rare, n'est-ce pas, pour un intellectuel. Née à deux décennies du vingtième siècle, elle est la fille protégée d'une famille dont le pater familias est conseiller du Tsar. Elle est couvée par ses grands frères. Elle conçoit une très grande admiration pour son père. Elle aura d'autres pères choisis. Le premier est un théologien protestant libéral, qui l'ouvre à la pensée des lumières, et qu'elle considère comme son premier amour. Elle part à Zurich à 19 ans, pour effectuer ses études universitaires, pionnière, puis à Berlin. Rapidement, elle s'éprend de philosophie, et fréquente des cercles intellectuels dans les capitales européennes où elle voyage pour traiter ses problèmes de santé. Elle commencera à faire admirer ses qualités intellectuelles et de plume par la critique littéraire dans les revues.

 

C'est en Italie que se constituera ce trinôme mythique qu'elle forme, très jeune, avec Paul Rée et Nietzsche, les deux amis philosophes. Elle leur en fera baver, les refusera en mariage tous deux. Elle appelera Rée, sa "dame d'honneur". Très jeune, Lou sait qu'elle n'obéira jamais à un homme, et que l'amour aura mille visages. Jeune elle donne manifestement dans le platonisme, en refusant les rapports charnels, mais ça ne durera pas toujours. Pour beaucoup d'hommes, la relation avec Lou sera marquante à jamais. Ce fut le cas pour Nietzsche qui eut l'espoir de former enfin une disciple digne et sera tourneboulé par cette séquence. Evidemment, elle sera aussi toute sa vie inspirée par la pensée de son fugace ami passionné. Elle en gardera l'idée vitaliste, et l'habitude de l'acceptation. Elle ira toujours au devant des malheurs en les acceptant. C'est ainsi que lorsque son père spirituel, après les années 1910, Freud, annoncera son cancer, elle sera là pour le soutenir et aider Anna Freud pour laquelle elle a énormément compté.

 

Elle s'attachera à des myriades d'hommes mais jamais bien longtemps. Les ruptures ne sont pas si souvent définitives non plus. D'après le biographe son narcissisme, qui n'est pas contradictoire avec sa générosité, n'admet pas l'exclusivité ni vraiment une trop grande promiscuité, et surtout aucun droit sur elle.  Pourtant elle se mariera, jeune, restera mariée avec Andreas, un orientaliste. En lui faisant admettre de ne jamais avoir d'enfants, et sa vie libre de mener tous les amours qu'elle souhaite et de vaquer à sa vie de voyages presque permanents, jusqu'à ce que la vieillesse ou la guerre la fixent à Gottingen. 

 

il y a cette relation, que seule la mort éteindra malgré la séparation, avec Rainer Maria Rilke. Il verbalisera plus qu'à son tour l'influence décisive de Lou sur son développement artistique. Elle partira, au tournant du siècle, redécouvrir la Russie avec lui. Une autre Russie, profonde, populaire, celle de Tolstoï, qu'elle fréquentera avec Rilke. Mais cet autre immense poète de la modernité, après Mallarmé, voudra fusionner avec elle, qu'il voit comme une nouvelle mère en même temps que comme une amante (il assumera la part charnelle de la relation passionnée dans sa poésie). Ce grand angoissé voudra comme s'"abolir" en elle. Et cela ce n'est pas possible avec Lou. Les retrouvailles avec la Russie la convaincront, malgré l'expérience partagée, de rompre. Elle comprend que son infini à elle est ailleurs qu'avec un homme.

 

Cette femme étonnante est toujours à un pas de côté. Elle, si libre est détestée des féministes, pourtant elle en fréquente, et pas des moindres, parce qu'elle célèbre la maternité féminine - elle qui ne veut pas d'enfant- mais qui adore l'enfance et écrira des livres pour enfants. Sa maternité féminine est globale, spirituelle. Le narcissisme de Salomé est un fantasme de fusion avec la nature, où l'érotisme peut avoir sa place, comme une étape seulement, et non comme le but de la quête. La poésie, et plus tard la découverte de l'inconscient, de ce que la psychanalyse a d'universel, sont pour elle des moyens de cette quête de la totalité.

 

Quand elle entrera, après s'être rendue à un congrès avec un amant, dans le cercle le plus rapproché de Freud, elle campera encore un rôle unique. Femme, analyste, mais non médecin. Non juive. Femme de lettres versée dans la pratique analytique plus que dans la théorie (elle n'a pas eu d'apport majeur dans l'histoire théorique du mouvement, mais beaucoup auprès du Maître dans une chaleureuse relation fondée sur la joie, la confiance et la loyauté). Freud on le sait entretiendra des relations avec des hommes de lettres, qui l'admireront, comme Zweig ou Romain Rolland. Mais Lou elle, est unique, en ce qu'elle est du "sérail" psychanalytique, et en même temps l'artiste de la bande. D'une fidélité à toute épreuve, tout au long des scissions qui émaillent l'histoire du mouvement, à Sigmund Freud, en qui elle voit un nouveau père, Anna l'acceptant comme sa grande soeur spirituelle.

 

Et puis il y a ce désintérêt total pour la politique, malgré sa relation, un moment, avec Ledebour, le député de l'aile gauche socialiste allemande. Russe, allemande, à une époque où tout y est politique, elle s'en fiche éperdument. Elle est évidemment, cosmopolite au possible, hostile à toute pulsion nationaliste. Comme un Zweig ou un Einstein pouvaient l'être. Elle signera un jour une pétition pour dépénaliser l'homosexualité, mais c'est toute son action citoyenne. C'est l'être humain qui l'intéresse. D'abord par l'approche romanesque, par les essais, puis par la psychanalyse qui l'absorbera (même si on ne sait rien de sa propre analyse, certainement conduite par Freud). Elle est internationaliste de relations, parce qu'elle a des amis partout. Mais elle n'a pas recours à l'idéalisme politique, jamais. Quand on voit le bilan du siècle, on ne peut que reconnaître sa lucidité.

 

Je sais ce que j'aime chez Lou Andréas Salomé. Elle, issue d'une lignée de commerçants allemands, établis en Russie, aura vécu comme l'anti bourgeoise par excellence.  L'accumulation n'apparaît pas un moindre instant, ni le sentiment de propriété. Ni l'obsession de paraître. Et en même temps comme l'anti identitaire par excellence. Intraitable, incasable. Libre. A une époque où l'on peut se sentir comme écrasé dans la tenaille du marché débridé et de l'obsession chauvine, on peut respirer au souvenir de tels personnages.

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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