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7 août 2017 1 07 /08 /août /2017 22:12
Nécessité scandaleuse du hasard - "L'homme-dé", Luke Rhinehart

Il y a le club très sélect des livres qui sont source unique de communautés durables. La Bible, le Coran, l’Épopée de Gilgamesh.... Même le Manifeste du Parti Communiste ne peut pas y prétendre, une partie de la première Internationale ne s'y référant pas vraiment.  Et  bien "l'Homme -Dé" , paru il y a 45 ans est de ces livres rares. Il existe des hommes dés et ils le doivent à la lecture de ce roman. On dit que Richard Branson, patron de Virgin, figure typique du "nouvel esprit du capitalisme", en est un. 

 

Peu de livres sont aussi déjantés que "L' Homme - Dé" signé Luke Rhinehart, pseudonyme de Georges Powers Cockcroft. A côté de cela, les livres de Donald Westlake c'est du Paul Claudel. Mais c'est un livre tenu, cohérent de bout en bout, qui soutient avec conviction son développement. On peut donc délirer dans l'ordre !

 

Le livre se présente comme l'autobiographie d'un psychiatre freudien passablement dépressif, Luke Rhinehart, new-yorkais baignant dans un milieu de théoriciens huppés, qui expérimente un peu par hasard une décision aux dés en fin de soirée, et s'en trouve si stimulé qu'il réorganise toute sa vie autour de cette procédure. Il approfondit sa pratique puis multiplie les adeptes, fracasse totalement sa carrière, sème le désastre autour de lui en général, et crée un vaste mouvement chaotique et considéré comme scandaleux, antisocial.

 

Il y a de quoi, franchement. Au départ les expériences personnelles de l'homme- Dé suscitent la stupeur dans son entourage, et puis elles attirent l'intérêt et on voit de plus en plus de psychiatres basculer.

 

Ce qui est drôle, entre autres, est que les adeptes de la vie Dé ne prétendent pas avoir trouvé le talisman du bonheur ou de la guérison. Ils sont tout à fait prêts à dire que ce mode de vie qui délivre tout de même de l'angoisse de choisir, qui finit par s'apprendre dans des centres spécialisés, peu s'avérer tout aussi décevant qu'une "vie normale" et suscite beaucoup de dégâts. Mais la vie "normale" leur paraît de toute manière mener à l'échec. Alors autant s'en remettre au Hasard.

 

C'est un livre fréquemment hilarant, tout aussi fréquemment excessif (le Dé va conduire à un meurtre tout à fait assumé), qui mêle intelligence, références culturelles assez maîtrisées pour permettre de jongler, et scabreux, dans le plus pur style potache. Un Woody Allen, même jeune (au temps de son affrontement du kangourou sur le ring) sous cocaïne. Mais le pire est que ce Monsieur Powers C. a l'air d'un tout gentil monsieur. C'est aussi un livre lubrique, salace, pornographique, porno scabreux. Et je n'insiste pas assez sur ce point car ça n'arrête pas. Je me demande même si ce livre n'est pas simplement  un habile prétexte pour écrire des scènes pornos et parler de sexe tout le temps.  A vrai dire je ne me le demande pas.

 

Mais déconner plein tube, avec des références culturelles et des mots d'esprit pour épater en toute fluidité, ça ne suffirait pas à vous tenir 500 pages et à rester sur les étals des librairies depuis des décennies. Ce qui est frappant dans cette folie de livre c'est que tout ce délire repose sur des questions sérieuses et sur un schéma cohérent. Et c'est ce qui d'ailleurs sauve le personnage principal de la camisole, purement et simplement. Le pire est que lui aussi aborde des questions sérieuses. Sa conduite scandaleuse, détonnante, désarçonnante, se justifie toujours d'arguments qui ne peuvent que susciter un écho chez ses confrères.

 

Il est amusant de voir qu'un même "Esprit du temps" accouche du très aride "'anti oedipe" de Deleuze et Guattari (cependant en y songeant tout aussi délirant dans son genre, et assumant d'ailleurs la notion de délire) et de l'Homme- Dé, ce torrent d'insanités drolatiques, qu' on hésite à classer dans les délires carabins ou les romans de grand talent. Comme on hésite à considérer le personnage principal comme un psychologue révolutionnaire ou un détraqué à endormir très vite à coups de puissants neuroleptiques.

 

Ce roman totalement amoral a pour contexte le sentiment d'échec de la psychanalyse, l'apparition de nouveaux types de patients résistant à la cure, le constat qu'il ne suffit pas de déverrouiller des surmoi trop épais pour que l'on se sente mieux. La psychanalyse apparaît même comme une instance répressive dans ces années 70. Un flic de plus qui vous remet à votre place. Tout cela est au coeur du roman même, qui n"élude pas les querelles théoriques, déroulées au gré des absurdités et des abus perpétrés par les personnages expérimentant la Dé Vie. La guérison par le Dé cherche donc à abolir la personnalité, d'une certaine manière, alors que la psychiatrie cherche tout le contraire. Entre les deux écoles, il ne peut pas y avoir de paix. L'Homme Dé va donc se heurter de front à l'institution dont il est issu.

 

Que dit l'Homme- Dé qui très vite après avoir expérimenté sa méthode la théorise ? Que c'est une lourde erreur de vouloir consolider le Moi. De vouloir le défendre. Que cette voie est violente car elle réprime les Moi secondaires, potentiels. Que cet effort pour assurer une identité, la continuité d'un moi, est un chemin vers le malheur.  Il faut permettre à toutes les possibilités de s'exprimer. Cela va très loin. Ainsi un violeur doit pouvoir choisir l'option du viol comme possibilité de résultat de consultation du Dé. Ce n'est qu'en voyant le viol comme une possibilité parmi d'autres en lui, choisie par le hasard, qu'il pourra se débarrasser de l'imperium de la pulsion.

 

Alors ? Alors il ne s'agit plus de s'en remettre à Dieu. Ce n'est plus une question. Mais on peut le remplacer par... Le Hasard. D'où l'intérêt du Dé. Le Dé est un moyen de détruire le Moi, ou plutôt de lui substituer une discontinuité hasardeuse de tous les Moi potentiels nichés au creux de la psyché d'un sujet. La vie Dé ressemble à une religion, elle en adopte le langage invocateur et lyrique.

 

Il y a donc des règles fondamentales. D'abord le Dé ne dit pas n'importe quoi. C'est le Sujet qui choisit les options. Leur probabilité de succès aussi. La Dé vie oblige donc à s'interroger sur ses désirs. Normalement l'Homme Dé ne peut pas choisir une option qu'il récuse vraiment.  Autre règle : l'obligation, évidemment, d'appliquer la décision du Dé. Sinon tout l'édifice s'écroule. 

Sinon, rien n'est interdit. Et Luke R va on ne peut plus loin.Le dé le mène à l'abandon de sa famille, à permettre à une trentaine de malades mentaux d'utiliser une représentation de Hair pour s'échapper de l'hôpital, convertir ses jeunes enfants aux dés. 

 

Bien évidemment, ce qui s'avance derrière cet édifice déglingué et amoral, c'est une critique en creux extrêmement acide et sarcastique de la société occidentale, y compris de la psychiatrie. De la tristesse des perspectives qu'elle offre, de l'absurdité de ses conventions, de la fausseté des rôles sociaux (une scène de conseil d'administration d'Hôpital est magnifique à cet égard), de son puritanisme et de son hypocrisie sociale et raciale. Les décisions du Dé viennent exploser tous les rituels sociaux et révéler l'envers du décor.. L'option du meurtre, choisie par le Dé, est explicitement rattachée à la culture de la violence américaine, qui la rend inévitable. Même les babas cools et leur fausse libération tout de suite réinvestie en pouvoir (les stages de "libération" personnelles) en prennent pour leur grade, car les hommes-dés viennent les subvertir. A cette société fausse et sinistre, violente, prévisible, parcourue de dominations niées, il faut même préférer le chaos des dés.

 

C'est parfois lourdingue, indigeste car répétitif dans le scabreux potache, et à le lire aujourd'hui l'aspect porno scandaleux paraît un peu galvaudé. 

 

Mais enfin on rigole beaucoup et on n'est pas mécontent d'imaginer les censeurs de l'époque Nixon en train de déchiffrer cela et d'écrire leur rapport de prohibition.

 

 

 

 

 

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L
Sur les conseils d'un ami, j'ai acheté ce livre. Je ne peux pas dire que j'ai aimé, mais je ne peux pas dire non plus que je n'ai pas aimé.<br /> Ce livre m'a dérangée, mise mal à l'aise, fascinée.<br /> Je l'ai donc rangé parmi les livres marquants, de ceux que l'on n'oublie pas et qui ont un impact longtemps après leur lecture.
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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