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12 janvier 2018 5 12 /01 /janvier /2018 21:02
Pause poétique, ô Saisons, ô châteaux (Rimbaud)

Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?

Ô saisons, ô châteaux,

J'ai fait la magique étude

Du Bonheur, que nul n'élude.

Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.

Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.

Ce Charme ! il prit âme et corps.
Et dispersa tous efforts.

Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !

Ô saisons, ô châteaux !

Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.

Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !

- Ô Saisons, ô Châteaux !

 

Pour m'extraire des polémiques vaines sur le puritanisme du temps, qui embolisent l'actualité, je vais reprendre un peu Rimbaud. Ca ou autre chose.

 

J'aime Rimbaud depuis cet été 1991 où j'ai lu attentivement "Une saison en enfer" et "Les illuminations", n'y comprenant rien, sauf que c'était une révolution dans la langue.

 

Aimer un poète prend toute une vie. On y revient, on y revient, on y dépose. Les poésies finissent par déteindre sur votre vie psychique. Il en est ainsi avec "Ô saisons, Ô cchâteaux", qui résonne en moi bien souvent, en fonction de l'humeur. Et ensuite je me demande pourquoi ce sont ces mots qui ont émergé.

 

C'est un poème incroyablement triste, qui est triste comme le sont des poèmes de Villon. Et pourtant il ne se veut pas forcément triste, puisqu'il célèbre aussi un amour. Explicitement, mais aussi par l'hommage à la forme de la poésie de l'Aimé Paul.

 

D'abord ce titre, ce refrain, de poésie trouvère. La rengaine. Charmeuse. Rimbaud était, sans nul doute, un charmeur. Que sont les saisons et les châteaux ? Je me les signifie simplement. Au temps des aristocrates rentiers, on chassait la mélancolie en guettant le temps nouveau qui allait arriver, le simple retour du printemps, ou celui de partir en croisade comme le fit Rimbaud, ou de changer de château. Rien n'y faisait. On y transportait son âme avec soi. Il en est de même aujourd'hui. Ce fol adolescent avait ici les phrases d'un Sage. Le mouvement n'est que chimère, et on peut bien implorer, vainement, l'Espace et le Temps. L'espérance de l'échéance n'est que chimère. Et pourtant il se perdra lui aussi de château en château. Et déjà, jeune, le nord, Paris, Londres. C'est l'âme qui est faillible. Et l'âme, on n'y change rien. On fait avec.

 

Rimbaud a cette manière de radicalité, dans les deux premiers vers, qui déjà constituent un bloc. En deux vers nous avons son parcours. On peut déjà se perdre dans la polysémie. Nul n'élude la magique étude, ou nul n'élude la recherche du bonheur. A vous de choisir. Pour la seconde fois Rimbaud fait preuve de sagesse, c'est rare. Le bonheur c'est le chemin.

 

Et de suite le bonheur c'est l'érotisme. Le coq dressé. Quelle pudeur Arthur.

 

Mais c'est fugace. C'est tout le drame de Rimbaud. Il a tout vu, jeune. Et puis ensuite il n'avait pu qu'à s'épuiser dans le désert. Pour rien. Sans cause. Le départ est déjà là, dès ces textes. Le départ n'est pas un coup de folie.

 

Le regroupement de deux vers, puis deux vers, puis deux vers, donne au poème un aspect lapidaire qui renforce la tristesse de l'ensemble. A force de le lire on s'en pénètre absolument.

Il y a, qui scande, la rengaine de la complainte.

 

Rencontrer l'amour c'est espérer être entendu et compris. Mais non. Même l'amour ne brise pas l'aporie. Mais la polysémie indique que c'est cet être aimé qui inspire, aussi, la parole poétique. Elle vole. Elle s'évapore mais elle plane sur les hauteurs.

 

L'amertume est là.
Le narcissisme conduit à entraîner l'autre, l'aimé, insuffisant, dans la chute. La pulsion de mort réclame aussi de l'autre. Aide moi à aller mal, maintenant.

 

En effet, quelle âme est sans défaut ? Pas celle du génie. Un sale Monsieur. C'est beau et c'est immoral (et je ne peux pas m'empêcher décidément d'en revenir à l'actualité)

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commentaires

G
Le bonheur est notre être. Nous en cherchons le secret. Il est là. La poésie doit fuir le bonheur pour pouvoir le chercher.<br /> Le temps du malheur est celui de la poésie ?
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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