Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Ô saisons, ô châteaux,
J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps.
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !
Ô saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.
Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !
- Ô Saisons, ô Châteaux !
Pour m'extraire des polémiques vaines sur le puritanisme du temps, qui embolisent l'actualité, je vais reprendre un peu Rimbaud. Ca ou autre chose.
J'aime Rimbaud depuis cet été 1991 où j'ai lu attentivement "Une saison en enfer" et "Les illuminations", n'y comprenant rien, sauf que c'était une révolution dans la langue.
Aimer un poète prend toute une vie. On y revient, on y revient, on y dépose. Les poésies finissent par déteindre sur votre vie psychique. Il en est ainsi avec "Ô saisons, Ô cchâteaux", qui résonne en moi bien souvent, en fonction de l'humeur. Et ensuite je me demande pourquoi ce sont ces mots qui ont émergé.
C'est un poème incroyablement triste, qui est triste comme le sont des poèmes de Villon. Et pourtant il ne se veut pas forcément triste, puisqu'il célèbre aussi un amour. Explicitement, mais aussi par l'hommage à la forme de la poésie de l'Aimé Paul.
D'abord ce titre, ce refrain, de poésie trouvère. La rengaine. Charmeuse. Rimbaud était, sans nul doute, un charmeur. Que sont les saisons et les châteaux ? Je me les signifie simplement. Au temps des aristocrates rentiers, on chassait la mélancolie en guettant le temps nouveau qui allait arriver, le simple retour du printemps, ou celui de partir en croisade comme le fit Rimbaud, ou de changer de château. Rien n'y faisait. On y transportait son âme avec soi. Il en est de même aujourd'hui. Ce fol adolescent avait ici les phrases d'un Sage. Le mouvement n'est que chimère, et on peut bien implorer, vainement, l'Espace et le Temps. L'espérance de l'échéance n'est que chimère. Et pourtant il se perdra lui aussi de château en château. Et déjà, jeune, le nord, Paris, Londres. C'est l'âme qui est faillible. Et l'âme, on n'y change rien. On fait avec.
Rimbaud a cette manière de radicalité, dans les deux premiers vers, qui déjà constituent un bloc. En deux vers nous avons son parcours. On peut déjà se perdre dans la polysémie. Nul n'élude la magique étude, ou nul n'élude la recherche du bonheur. A vous de choisir. Pour la seconde fois Rimbaud fait preuve de sagesse, c'est rare. Le bonheur c'est le chemin.
Et de suite le bonheur c'est l'érotisme. Le coq dressé. Quelle pudeur Arthur.
Mais c'est fugace. C'est tout le drame de Rimbaud. Il a tout vu, jeune. Et puis ensuite il n'avait pu qu'à s'épuiser dans le désert. Pour rien. Sans cause. Le départ est déjà là, dès ces textes. Le départ n'est pas un coup de folie.
Le regroupement de deux vers, puis deux vers, puis deux vers, donne au poème un aspect lapidaire qui renforce la tristesse de l'ensemble. A force de le lire on s'en pénètre absolument.
Il y a, qui scande, la rengaine de la complainte.
Rencontrer l'amour c'est espérer être entendu et compris. Mais non. Même l'amour ne brise pas l'aporie. Mais la polysémie indique que c'est cet être aimé qui inspire, aussi, la parole poétique. Elle vole. Elle s'évapore mais elle plane sur les hauteurs.
L'amertume est là.
Le narcissisme conduit à entraîner l'autre, l'aimé, insuffisant, dans la chute. La pulsion de mort réclame aussi de l'autre. Aide moi à aller mal, maintenant.
En effet, quelle âme est sans défaut ? Pas celle du génie. Un sale Monsieur. C'est beau et c'est immoral (et je ne peux pas m'empêcher décidément d'en revenir à l'actualité)