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21 février 2018 3 21 /02 /février /2018 15:07
Comme elle a voulu - "Susan Sontag" - biographie - Béatrice Mousli

 

Béatrice Mousli a donc le mérite de réaliser la première (et consistante) biographie française de Susan Sontag. Une biographie pourtant à l’anglo saxonne (Mme Mousli enseigne aux Etats-Unis), exhaustive, dense, chronologique. Peu analytique. Sans doute a-t-elle voulu établir la biographie de référence. Mais à mon sens c’est une erreur d’avoir choisi cette option (ceci n’enlève rien à mon plaisir d’avoir lu cette biographie, je précise). Car la vie de Susan Sontag, en elle-même, en tant que « monade » d’une certaine façon, n’est guère passionnante, enfin ce n’est pas celle d’Hemingway ou de Malraux. Elle n’est pas un personnage de roman, même si elle vit pour la littérature. C’est un personnage exceptionnel mais peu épique, si l’on excepte sa réalisation d’une pièce de théâtre dans Sarajevo assiégée.  Mais elle fait partie d’une génération exceptionnelle, et révolutionnaire. Et elle y a compté, comme symbole et étincelle. Aussi l’auteure, tout occupée à nous donner des détails personnels, a peut-être manqué ce qui aurait pu élever le projet : inclure la vie de Sontag dans celle d’une génération. Celle de la gauche américaine du baby-boom et de la contreculture qui arrive à maturité avec les années soixante. En suivant de trop près Sontag, sans élargir le plan, on rate cette perspective, même si on la frôle, et c’est peut-être bien dommage. J’aurais aimé voir Susan Sontag dans des interactions plus révélatrices. Quand elle lutte contre la guerre au Vietnam par exemple. Une biographie est l’occasion d’un point de vue sur une époque, et cela la biographie de Béatrice Mousli, trop dépendante de son objet précis, le manque à mon sens. Mais peut-être, après tout, en se conçentrant sur l’objet, le reflet du monde est-il aussi perceptible.

 

J’ai lu cette biographie car évidemment Susan Sontag me plaît et m’inspire, de par sa manière d’échapper à un certain nombre de classifications, par son appétit intellectuel sans frontière, elle qui fut critique, essayiste, nouvelliste, romancière. J’ai lu trois livres d’elles, un roman, un essai (sur la photographie), et un livre d'entretiens, j’ai croisé sa pensée dans d’autres livres, et je la retrouve telle que je l’imaginais dans cette biographie. Il est incroyablement scandaleux que son essai sans doute le plus marquant pour les américains n’a pas été traduit, encore, en France, pays qui était sa seconde patrie. Pour lire « Against interpretation », où elle s’oppose à une vision trop herméneutique de la critique, qui a pour fonction selon elle de stimuler l’appétit des sens du futur lecteur, il faut lire l’anglais. C'est l'occasion de dire que l'édition "non fiction" comme on dit de nos jours semble en crise en France, et notamment dans le domaine international.

 

C’est une femme qui ne fait pas grand-chose pour se rendre sympathique, et qui a décidé, quel qu’en soit le prix, de vivre de la pensée, de tout engager dans le cycle de la pensée. En lisant, en écrivant, en voyant et tournant des films, en montant des pièces. Et en défendant ses idées quand elles étaient en cause dans le monde. Un point c’est tout. Susan Sontag , qui certes contourne les institutions (mais pas toutes, elle se consacrera beaucoup à animer le « Pen club », réseau international des écrivains, et notamment pour soutenir Salman Rushdie), est loin d’être une auto didacte puisque sa base intellectuelle a été confortée à l’université en amérique, en angleterre, en France.

 

Elle a tout de cette « bobo » et de cette intellectuelle de gauche qui est devenue presque la figure de sorcière de notre époque néoconservatrice (ceci étant même les populistes de gauche détestent les dits « bobos ». Une telle unanimité contre soi veut sans doute dire qu’on a de l’intérêt). Comme les « bobos » d’ailleurs, mot dont la première syllabe est souvent fantasmée par leurs détracteurs, elle a vécu très longtemps relativement pauvre, sa notoriété relative dans les milieux cultivés ne la nourrissant pas, et ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’en vivant avec Annie Leibowiz, la photographe, elle a vécu plus dans l’aisance. Sinon, peu encline à la vie universitaire, elle ne finira pas sa thèse, elle qui sera ensuite Docteur honoraire de multiples universités, écrivant des œuvres exigeantes sans préoccupation commerciale, refusant de multiples sollicitations, elle sera à la fois qualifiée d’hautaine tout en connaissant les difficultés d’une vie sans matelas financier quelconque.

Elle a tout pour agacer. Elle est juive, le dit, mais pas religieuse, et elle n’est pas manichéenne sur la question d’Israel, tout en défendant clairement les droits des palestiniens. Elle est américaine, californienne puis new yorkaise typique, mais aime passionnément l’Europe dont elle s’est fait, avant la « french theory » la passeuse culturelle aux Etats-Unis, ce qui ne manque pas de faire grincer des dents. Elle se méfie de la photographie à l’heure où celle-ci est célébrée comme un art.

Elle est bisexuelle (enfin, plutôt tournée vers les femmes), mais ne le clame pas ni ne le cache, ne donnant pas aux identitaires le porte-drapeau qu’ils voudraient (déjà). Elle est intellectualiste et l’assume intégralement. Et en plus on ne peut pas lui reprocher de se planquer derrière de belles idées, au vu de ce qu’elle a fait à Sarajevo, pas pour un simple aller-retour mais dans la durée. Elle va même à rebours, avec ses livres sur le cancer et le sida, de la psychologisation à la mode en rappelant qu’une maladie est avant tout une maladie et non une quelconque métaphore. Personne ne peut préempter Sontag.

 

Susan Sontag ne "lâchait pas prise" comme nous le conseillent les manuels de développement personnel et de sagesse portative. Oh que non. Elle était déprimée, régulièrement, et tomba malade deux fois d'un cancer, le second l'emportant. Elle a choisi la pensée plutôt qu'un certain bonheur. Ou bien sa part de bonheur de toute manière passait par cette voie.

Elle lit jusqu’à dix livres par semaine, mais elle ne pourrait pas vous aider à justifier votre peur de voyager en disant que lire c’est le don d’ubiquité. Parce qu’elle passe son temps à voyager, en réalité.

Elle est un peu peine à jouir, Sontag.  Par exemple sa vie démontre que la première chose à faire, quand on prétend parler, c’est prendre le temps d’étudier l’immense patrimoine de pensée disponible, en n’oubliant pas qu’on n’est pas tout seul sur terre, idée presque obscène au temps des « you tubers » et où l'on réforme le bac sur le principe de réduction des épreuves écrites, donnant à la forme une priorité évidente sur le fond (au bluff sur la consistance, à mon sens).  Sontag, jeune, s’était concocté un programme de lectures. Elle avant conscience de la nécessité de maîtriser les grands courants de la pensée occidentale, de connaitre les grandes œuvres de l’esprit, avant de dire son mot. Elle est morte en 2004, au moment de l'émergence de Facebook. Bon choix.

D’ailleurs, la dynamique de l’œuvre de Sontag est en elle-même intéressante. Elle a du mal à oser se frotter à la fiction (aujourd’hui tout ancien Ministre s’essaie au roman). Elle qu’on dit hautaine, car on confond hauteur de vue et attente des hauteurs avec le pédantisme, n’ose au départ que des incursions dans la pensée critique, puis dans la nouvelle, puis dans le roman expérimental. Il lui faudra du temps pour se donner le droit de tenter la grande fiction. Susan Sontag n’a pas été immensément prolifique, car elle a continué toujours, à lire, à regarder, à contempler. Toujours sa priorité. Se nourrir des œuvres d’autrui. Le contraire d'un narcissisme vulgaire qui lui a été accolé.

Même sa manière d’être mère est déconcertante. Elle délaisse clairement son fils pendant les premières années (après s’être mariée avec un universitaire, qu’elle connaissait depuis un jour, et avec qui en plus elle restera assez longtemps !). Mais la relation avec ce fils s’enrichira jusqu’à en faire de grands complices intellectuels et politiques. Susan Sontag déjoue, donc. C’est une manière d’illustrer la possibilité de la liberté.

 

Susan Sontag a été admirée, utilisée assez tôt comme icône, mais aussi très critiquée. Il est intéressant de voir que même chez les intellectuels progressistes qui écrivaient à son sujet de son vivant, et qui ne manquaient pas de l’attaquer sur le fond et la forme de ses écrits, il y avait un passage obligé sur sa manière de s’habiller, de se tenir, d’être sur les photos. C’est encore le cas aujourd’hui. Quand une femme fait le choix de la pensée, de l’action, on essaie toujours, même par la bande, de la ramener à des critères qu’elle a tout à fait le droit de répudier. Susan Sontag était grande et belle ? Et alors ? Susan Sontag est d’une génération qui a essuyé les plâtres, sans trop en souffrir. Ce qui lui importait était trop grand pour être atteint par de telles escarmouches. La meilleure réponse aux médiocres qui incapables de porter le fer sur le fond ressassent des vieilles méthodes éculées pour discréditer, c’est l’œuvre. Ceux qui ont éreinté Susan Sontag ont pour la plupart disparu dans les gouffres de la petite histoire. Alors que l’œuvre de leur cible agaçante éclaire encore les jeunes générations qui cherchent l’exigence de pensée.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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