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26 février 2018 1 26 /02 /février /2018 12:33
La science au secours de Spinoza - "L'ordre étrange des choses - la vie, les sentiments, la fabrique de la culture", Antonio Damasio

 

" Le fait de découvrir que les cultures trouvent leurs racines dans les biologies non humaines n'entame en rien le caractère exceptionnel de l'humanité"

Antonio Damasio

Dans la grande controverse entre idéalisme et matérialisme, entre Descartes et Spinoza, entre d'un côté une pensée dualiste du corps et de l'esprit et de l'autre une vision unifiée de ces deux manifestations d'un même phénomène : la force du vivant, Antonio Damasio, s'efforçant de tenir les deux glaives de la biologie et de la métaphysique, défend, fort de ses compétences de chercheur en neurobiologie, la tradition spinoziste.

 

Le corps prime, parce que le vivant prime. Le vivant cherche sa voie, il persévère, et ainsi il crée les forces de l'esprit. L'esprit n'est pas une substance introduite on ne sait comment, dans les êtres, de l'extérieur, par une Sainte Ampoule. On peut donc en déduire, si l'on dépasse le livre, que sans doute il ne survit pas au corps. Raison pour laquelle les religieux ont tellement haï les scientifiques.

 

Damasio semble comme ébloui par la clarté des conceptions d'un philosophe qui n'avait pas les produits de la science moderne à sa disposition. Ce dernier livre, " L'ordre étrange des choses", n'est pas explicitement relié à la controverse philosophique, mais elle est toujours là en filigrane. Et de temps en temps, une citation de l'"Ethique", vient rendre plus claire une affirmation scientifique.  C'est toujours le grand match qui se déroule. Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Tout le reste relève de péripéties de championnat.

 

Dans la grande aventure de l'humanisation, Damasio réhabilte les sentiments, comme Spinoza réhabilitait les "affects". La raison n'est pas une faculté innée, tombée là (d'ailleurs, où ? puisque comme Damasio le dit, notre appareil digestif a sans doute été notre premier cerveau), et supérieure aux affects, mais la faculté de raisonner est le produit des affects. Elle se situe dans un long continuum dont on peut comprendre l'émergence dès les bactéries.

Si on invente la machine à remonter le temps, Damasio devra prendre garde à ne pas trop se promener après le concile de Trente où bien il aura chaud aux voûtes plantaires. Darwin nous parlait des singes, lui nous cause des bactéries. Si l'Homme est à l'image de Dieu, et qu'il vient d'une bactérie, alors la pompe religieuse à du souci à se faire.

 

Il reste que le temps a passé mais que nos représentations séparatistes, dualistes, de l'esprit et du corps, du corps et de la culture, n'ont pas tellement évolué, comme en témoigne l'inertie de notre langage, alors que la science, elle, les remet profondément en cause. Donnant raison à l'apostat Spinoza. 

 

La clé de voûte de la continuité du vivant est l'homéostasie. Ce mécanisme que Spinoza appelait incessante volonté de "pérpétuer dans son être", ou dans son essence, l'existence était déjà chez lui l'essence, des siècles avant Sartre.

Pour continuer, la vie a besoin de se réguler, par exemple de se situer entre deux niveaux de tension, et la vie va chercher des outils qui lui permettent cette régulation. Tout en découle. La création des objets culturels, le meilleur exemple en est la médecine, est aussi une manifestation de l'homéostasie.  Elle était là, cette homéostasie, cette tendance à stabiliser la vie entre des limites qui la menacent, dès la bactérie, qui déjà par homéostasie mettait en place des comportements sociaux non réfléchis, des alliances, elle est en nous encore. Elle n'a pas encore été portée à un niveau macro social, comme nous le savons, malheureusement.

 

Dans ce schéma, les sentiments, sans lesquels l'Etre n'est même pas imaginable à l'humain, ont joué un rôle majeur, menant au développement intellectuel. La source en est le système nerveux. Ces systèmes d'abord simples (des filets nerveux), puis se complexifiant, ont aidé l'homéostasie en fournissant à l'organisme des images ("la monnaie universelle de l'esprit"), des cartographies de l'environnement, et de la vie interne.

 

Le livre déplie ainsi très pédagogiquement, mais précisément, avec des hypothèses, aussi, sans masquer ce qui nous reste encore opaque, ce qui est un long continuum, et "notre vie mentale" apparaît comme "un produit dérivé d'un système nerveux".

 

Il convient donc de bien considérer l'assemblage solide entre les affects et la raison, car les sentiments sont des "expériences mentales", conscientes. Mais la différence entre les affects et le pur raisonnement abstrait est que le sentiment se réfère directement à un état du vivant, au corps, à une "valence" (sensation de malaise ou de bienfait).

On rejoint bien Spinoza et ses affects classés selon leur capacité à soutenir la vie ou à l'amoindrir. Le sentiment est un "rapport instantané sur l'état de la vie". Les sentiments ont fourni à l'homéostasie des informations d'une grande importance, et c'est pourquoi l'évolution les a conservés.

 

La conscience, la création, l'utilisation des images pour créer et se remémorer, surgissent au bout de cette aventure homéostatique qui nous lie à la première bactérie surgie d'une soupe primitive il y a des milliards d'années.

 

"On ne sait ce que peut un corps" disait Spinoza, une phrase qui depuis longtemps me donne à réfléchir. Lisant Damasio, je me dis qu' il évoquait aussi sans doute sa stupeur devant l'incroyable fertilité de la force de vie, de tout ce qu'elle a su susciter, de la philosophie à la science. Tout cela, pour continuer, ne pas se contenter de la survie d'ailleurs, mais afin d'affirmer sa puissance d'être.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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