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12 décembre 2018 3 12 /12 /décembre /2018 01:56
Oui oui oui elle est la sorcière - "Sorcières, la puissance invaincue des femmes", Mona Chollet

En ouvrant l'essai de Mona Chollet, sur "Sorcières, la puissance invaincue des femmes'', j'ai craint de trouver un succédané du Maître livre de Silvia Federici sur l'élimination de la pseudo sorcellerie à l'âge classique, comme pièce maîtresse du déploiement de la rationalité capitaliste naissante. Et bien non, 'Caliban et la sorcière" de Federici, que je ne saurais trop recommander, est une source importante, d'une grande hauteur intellectuelle, de la journaliste du monde diplomatique, mais Mona Chollet nous convie au présent, à constater les traces de cette époque furieuse, encore présentes dans les représentations et la culture. Elle appelle, au contraire, à oser retourner le stigmate, et à joyeusement assumer les attributs des sorcières. C'est donc une lecture complémentaire, et non un reader's digest.

 

Le massacre des dites sorcières; dont l'ampleur fut énorme mais difficile à chiffrer, visa les femmes seules, célibataires, ou ayant dépassé âge de procréer (les cheveux blancs). Les femmes qui ne prenaient pas place dans le nouveau dispositif familial réclamant femme au foyer et homme à la manufacture, sous statut salarial.  Tout se tient dans cette phase d'accumulation primitive du capital. On nous dit que la richesse privée est le fruit du mérite. Historiquement elle est surtout le produit de l'esclavage, de la violence contre les paysans et leurs communs, de l'urbanisation forcée, et de tout ce qui résistait d'une manière ou d'une autre à l'ordre rationnel nouveau, dont la pensée machinique de Descartes est un fleuron. Les femmes furent alors disciplinées avec une violence inouïe, par le pouvoir politique, plus que par l'Eglise. Nous avons tendance, dans une vision progressiste, à voir l'âge classique comme une étape supérieure, humainement, à l'obscurantisme médiéval. La chasse aux sorcières, comme le commerce triangulaire, doivent nous conduire à une vision moins développementaliste, sans nul doute.

 

Aujourd'hui la pression sociale à l'égard des femmes indépendantes, seules, de celles qui ne veulent pas procréer (les "femmes à chats", tiens donc, quel retour du refoulé), les violences gynécologiques dont on commence à parler, les moqueries à l'encontre des "cougars", ou encore le jeunisme violent qui est imposé à la gent féminine, déclenchant des crises d'angoisse au premier cheveu blanc et  poussant à la chirurgie esthétique à trente cinq ans, est le lointain écho de ces tragédies.

 

On a beaucoup reparlé récemment de l'affaire Grégory. Mona Chollet ne la mentionne pas, mais les huit ans d'inculpation de la mère de l'enfant ont correspondu à un véritable procès en sorcellerie, explicite. Notamment de la part du juge Lambert, qui parlait du démon... (paix à son âme).

 

C'est pourquoi on a vu réapparaître la figure de la sorcière dans le mouvement féministe (en réalité cette figure resurgit depuis quelques décennies), pour se réapproprier cette figure d'insoumission, symbole d'un lien brisé de l'humanité avec la nature, par la technologie. La figure de la sorcière manifeste les noces du féminisme avec la contestation écologique. C'est la logique prométhéenne ultra rationnelle d'un Francis Bacon, dompteur de nature et grand amateur de chasse aux sorcières en même temps, qui est aujourd'hui critiquée, pour ses dégâts immenses. (Au passage, tenez, je crois me souvenir que l'on a prétendu que Bacon et Shakespeare ne faisaient qu'un. Le second, lui, aimait les sorcières).

 

Pour certaines, et Mme Chollet nous en donne des exemples, la référence à la sorcière va plus loin, jusqu'à des dimensions néo spirituelles, païennes; magiques, néo symbolistes, ou simplement esthétisantes et gloomy. Pourquoi pas, tant que tout cela ne tombe pas dans la dérive sectaire ? En tout cas les confrontations entre sorcières et évangélistes dans les rues américaines doivent valoir le détour.

 

Mona Chollet est une militante. Elle est sincère, et témoigne d'un esprit libertaire salubre, elle n'est jamais dans la normalisation à son tour, et témoigne fréquemment de positions équilibrées. Mais c'est  néanmoins une militante, et non une chercheuse en sciences sociales. Alors parfois elle verse dans la démonstration univoque, malgré son honnêteté, et une certaine auto dérision, même (sur sa maladresse ou son émotivité), s'emporte dans ses démonstrations, et oublie la colonne débit...

 

Il me semble qu'elle oublie quelquefois que les discours ont évolué, rééquilibré quelque peu le sort fait aux femmes et aux hommes dans les jugements, même si le patriarcat n'est pas tombé de son socle plusieurs fois millénaire. Elle mésestime par exemple la polysémie d'un mot maudit par les féministes comme "mademoiselle", qui se veut parfois simplement aimable, et non pas paternaliste. Elle sous estime parfois l'immense parcours de libération accompli, ce qui est une tendance militante difficilement contenue. Dramatiser attise et justifie la révolte pour aller plus loin. Le militantisme et la pensée froide ne font pas toujours bon ménage. Mona Chollet a aussi cette fâcheuse tendance à partager le monde entre "nous" les féministes et "eux" les machos ou complices, donnant raison à Carl Schmidt le cynique pour lequel la politique consiste à distinguer les amis des ennemis. Qui ne partage pas son analyse est sous influence patriarcale et porte l'héritage des allumeurs de bûchers. Tu exagères, ma Sœur.

 

Mais elle ne se cache pas. Finalement, il vaut mieux une militante qui avance drapeau levé qu'un chercheur sinueux qui masque sa subjectivité derrière le paravent d'une science dont il oublie les rigueurs.

 

Là où je ne la suis pas, c'est quand elle justifie son refus de procréer par des motifs philosophiques, incluant la préoccupation écologique. Des bouches en moins à nourrir. Ce malthusianisme, qu'on retrouve chez les vegans, ne me plaît pas du tout.  Autant organiser un Massada géant de l'humanité et nous laisserons ainsi tranquille la planète. 

 

Plus largement, je ne suis pas trop dupe sur certaines fonctions de l'idéologie. Nous avons tous nos tourments. Ils nous tenaillent. Pour s'en soulager, nous pouvons avoir la tentation de les projeter sur le monde entier. Une tendance qui me paraît terrible chez Kant, avec son universalisation morale. J'ai connu par exemple une féministe qui était plutôt troisième sexe, et avait du souffrir du regard porté sur son identité. Elle avait ainsi transformé la question de l'imposition de genre en croisade, comme si cette question était centrale pour toute l'humanité et qu'il lui fallait incessamment se convaincre du bien fondé de sa propre identité en répétant des généralités idéologiques sur le sujet. Alors que pour beaucoup de gens, ce n'est pas vraiment un souci personnel.  Devenir qui nous sommes ne nécessite pas forcément de hurler dans les ravins du monde entier pour entendre l'écho.  Faire de ses démons intimes une question idéologique universelle ardente, c'est aussi pouvoir éviter un peu de s'adresser à eux en face. C'est compréhensible. Entraîner toute la société à nos basques permet de nous sentir moins seuls avec nos tourments.

 

Ainsi, ne pas vouloir enfanter est un droit et n'a rien d'immoral, l'idée d'un devoir d'enfanter est absurde, et je suis bien d'accord : la pression pesant sur les femmes à ce sujet, est insupportable. Cependant il est permis aussi de penser qu'un tel choix peut renvoyer à d'autres enjeux personnels, et que l'idéologie peut en constituer le masque, ou la résistance, l'écran. Enfanter, c'est se prolonger, c'est une immense responsabilité qui renvoie à des angoisses et à sa propre enfance. C'est aussi un rapport à son corps qui est engagé. Chacun vit sa vie et la consacre à ses passions propres, mais j'ai du mal à ne pas penser que le divan accueillerait bien des aveux que les proclamations idéologiques voilent de pudeur. 

 

Mona Chollet est un drôle de personnage. Manifestement d'une force de travail terrible, très rigoureuse, passionnée. Son évocation de la littérature qui évoque les exemples de chasse aux sorcières moderne, ou au contraire les modèles d'émancipation possibles, est passionnante et menée tous azimuts. En même temps elle n'hésite pas à l'introspection, au beau milieu de ces références.

 

Elle peut frôler le dogmatisme ou aller trop vite parfois, mais aussi avouer ses hésitations. Comme sur la question d'un lien essentiel entre les femmes et la nature, qui aurait été perdu avec la répression des "sorcières". Si cette répression des avorteuses (il fallait repeupler l'Europe décimée par la peste, puis les guerres de religion), des femmes utilisant les savoirs ancestraux de guérison, fut désastreuse, et plaça les femmes pour longtemps à un rang subalterne dans l'ordre sanitaire, ce qui est encore largement le cas (même si nous avons beaucoup de femmes médecins),  Mona Chollet ne veut pas tomber dans l'essentialisme et placer les femmes du côté de la nature, alors que les hommes seraient du côté de la culture. Elle ne se laisse donc pas séduire facilement par l'image enthousiasmante de la femme indomptée qui court avec les loups pendant que l'homme lit des livres. Elle s'interroge, malgré la force de ses convictions féministes. Elle est infiniment sympathique, même si parfois j'ai eu envie de lui dire, "tu charries Monna, la vie des hommes n'est pas non plus ce chemin garni de fleurs".

 

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commentaires

L
Et oui ! Il est difficile de ne pas s'emporter quand l'homme ou la femme devient passionné-e.<br /> <br /> Trouver l'équilibre que mes amis de "le vers noir" ont bien écrit et chanté dans ce titre… bien léché. qu'est "A quatre pattes est l'Eternel… féminin".<br /> <br /> <br /> L'avant dernière strophe dit ceci :<br /> <br /> "Il serait bien dommage que par esprit de consensus<br /> <br /> Vous restiez prisonnières des mâles entourées des phallus<br /> <br /> Il serait bien dommage aussi que par esprit de résistance<br /> <br /> Vous détestiez les hommes pour c'qu'ils ont et non pour c'qu'ils pensent"<br /> <br /> Bonne fin d'année !
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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