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4 mars 2019 1 04 /03 /mars /2019 00:26
Deux fois illuminé - Joe Di Maggio - Jérôme Charyn

La tragédie affectionne la gloire et la chute, la chute parce que la gloire, la gloire et donc la chute. C'est pourquoi ceux qui l'aiment délaissent parfois Lady Mc Beth ou Médée et s'intéressent parfois aux étoiles du sport ou des arts populaires. Jérôme Charyn, dans son beau dernier livre, nous dit son amour lucide pour "Joe Di Maggio", le mythe du base ball américain du milieu du siècle (jusqu'à être cité nostalgiquement dans la chanson Mrs Robinson de Simon and Garfunkel), et aussi pour quelques mois, mais beaucoup plus en réalité en son for intérieur : "Mr Marylin Monroe". Shakespearien. Un grand type gominé au nez de Pinocchio, toujours habillé en pyjama de base-ball rayé, ou avec la même chemise de cadre moyen blanche assortie d'une cravate unie, qui collectionnait les "goodies" et gagna sa vie longtemps en signant des balles et des gants, peut être tragique.

 

Et pas besoin d'y connaître quoi que ce soit au base-ball pour s'y plonger et s'y émouvoir (même si on ne comprendra pas deux trois éléments, mais ça importe peu). C'est une biographie, émue, pas du tout à l'eau de rose, justement poivrée d'une certaine épice Ellroyienne dans sa manière de ne rien cacher des mœurs (le cul, le droit de cuissage au cinéma, dont Marylin a subi toutes les formes, la cruauté des grands studios, le continuum entre sport et mafia), une plongée dans l'épaisseur humaine d'un sport, où les héros sont beaux et fragiles, et ne ressemblent pas à ceux d'Homère, tout en étant en réalité aussi intéressants (notamment dans la manière dont ils peuvent tout de même résister à la pression, à l'apparition d'un concurrent), mais avant tout un portrait littéraire nostalgique, qui n'a rien d'une hagiographie même s'il dit sa fascination.

 

Une œuvre très personnelle mais où il arrive à Charyn de dire "nous", car il sait que son livre est un écho à un sentiment populaire partagé. C'est un livre incisif, d'un style lyrique qui correspond à la sentimentalité qui le fonde. La littérature est belle et "populaire", non pas quand elle flatte le "populaire", qu'elle l'achète par des procédés de manipulation, qu'elle adapte l'offre à la demande, qu'elle se moque du peuple, en réalité. La littérature est belle et populaire quand elle forge l'art au grand vent des époques. Dans l'esprit du Temps. C'est le cas chez Charyn. Et c'est souvent disons-le la force de la littérature américaine, le romancier américain ne se séparant pas, en tout cas longtemps, des grands courants qui agitaient le peuple. Charyn est un fondu de base-ball, comme l'était Hemingway, un ami de Di Maggio. Il parvient à voir dans le base-ball les élans et la chute, ce qui s'élève au niveau de l'art, à force de travail sur le don. Le détail qui sépare le Dieu du demi Dieu. Il n'y a pas de matière vulgaire, il n'y a que des regards vulgaires.

 

Le base-ball était et reste une religion aux Etats-Unis. Le grand italien venu de Frisco pour devenir l'image éternelle des yankees de NY était un de ces Dieux. Il jouait devant 70 000 personnes. Pendant longtemps le base ball ne payait bien que quelques stars, et on en apprend aussi beaucoup sur la manière dont ils étaient traités, leur déchéance après la fin de carrière, leur usure, des drames à la "Raging bull". Joe a connu ses drames, ses humiliations sur et en dehors du terrain, le sentiment d'être au dessus des nuages mais aussi d'être fini assez jeune, mais il a tenu bon, comme une teigne, il est mort en 1999. Un aspect touchant de cette histoire, qui s'élargit à celle de ce sport, est aussi la ségrégation, et les parcours de joueurs noirs qui ne pouvaient pas se mesurer aux meilleurs blancs, jusqu'à ce que la seconde guerre oblige à percer la gangue.

 

Mais revenons à Joe, dit "La châtaigne", le "yankee clipper", pour la violence unique de son coup de batte qui fit gagner des volées de titres à NY, en balançant les balles par dessus les tribunes. Un type qui n'existait que pour son sport, et ne savait que s'exprimer par ce sport. Un charisme total, mais concentré sur le losange de base-ball, capable de faire gagner son équipe par sa seule présence, même les jours de guigne ou de méforme.

 

C'est quand usé jusqu'à la corde par les blessures, et devenu un homme publicité, que Joe voit arriver sur lui une tornade. Marylin Monroe, qui folâtre, mais se marie avec lui pour "faire un coup", alors qu'elle est en bisbille avec les studios.  Il la persuade de se marier. Ca ne durera que quelques mois. Joe ne s'en remettra jamais. Ils n'avaient pas grand chose à se dire, même s'ils partaient de rien tous deux. Mais ils ne voulaient pas aller au même endroit. L'horizon de Joe c'était le foyer américain modèle. L'horizon de Marylin.... C'était la fusion avec l'univers tout entier, au moins avec l'amour, et l'enfantement. Et puis, l'Esprit, être reconnue aussi pour son esprit, véritable. Et l'amour pour Arthur Miller participe de cette envie là.

 

Marylin rendit fou, très vite, le "cogneur" et ramassa d'ailleurs quelques beignes. Elle lui vola la vedette partout, lui qui était la star de l'Amérique (notamment auprès des troupes en Corée), et cet homme jaloux fut mis au supplice par une femme avide d'hommes, et prête à passer, dans les années 50, en robe sous une soufflerie en pleine rue, et de voir la photo en affiche dans toutes les grandes villes du monde. Joe pouvait supporter les blessures handicapantes et continuer à jouer pour les yankees alors qu'il boitait, mais pas ça. Drôle de Marylin, qui resta proche du fils du premier mariage de Joe, l'appelait souvent. Elle n'a jamais vraiment rompu les ponts avec "Joaltin' Jo" et il fut question de se remarier, avant cette journée d'abus de médicaments, qui reste encore brumeuse.

 

Joe, bien pâlichon en dehors du terrain, au regard des matamores qui séduisirent le sex symbol du XXème siècle, fut le seul homme à rester loyal à Marylin, jusqu'à la déchéance, quand il passait son temps à la faire suivre, à lui-même l'épier, à multiplier les liaisons avec des miss america blondes ou mêmes des sosies officielles de Marylin... Pour soigner son addiction. Par sa curiosité, il s'infligeait la liste dense de ses amants, et de leurs incorrections (Les deux Kennedy, Sinatra, se comportèrent comme des salauds, et Miller ne fut pas très glorieux). Mais on voit ce que sont les hommes quand c'est difficile. Et Joe touche à la grandeur quand il va chercher celle qu'il aimera toujours, envers et contre tout, et bien après sa mort, à qui il aurait tout pardonné, pour la tirer de son hôpital psychiatrique, malgré tout, longtemps après la rupture, pour la protéger. Encore digne quand il s'occupe de ses obsèques, et refuse de faire le moindre sou, lui l'avare, en racontant quoi que ce soit sur elle. Un ange était passé dans la vie de cet homme, un génie de son sport, mais un homme à l'étroit, renfermé, taiseux, sans aucun centre d'intérêt. Elle l'a illuminé puis elle est partie. 

Ce type insignifiant, en dehors de l'aire où il régna comme un Dieu sans comparaison encore aujourd'hui, fut capable de beauté. Irradié qu'il fut par cette femme après l'avoir été par les lumières des stades pendant une quinzaine d'années. 

Il fut capable d'aimer en dépit de tout. Dans un monde où tout était instrumental. Et où Marylin était un "actif" de studio, un faire-valoir pour superstar, avant d'être l'icône dont Warhol comprit la signification dans le nouveau contexte de l'art.

 

"Where have you been, Joe Di Maggio ?"... Et bien dans une très belle œuvre littéraire de Monsieur Charyn. Belle revanche pour un taiseux.

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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