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30 avril 2019 2 30 /04 /avril /2019 00:28
Heidegger, un infâme nazi (disons-le une fois pour toutes) Partie 1

« Flamme, annonce-nous, éclaire-nous, montre-nous le chemin où il n’y a plus de retour »

Martin Heidegger, discours lors d’un autodafé, 1933.

 

 Promenez-vous dans une librairie au rayon philo. Vous y verrez des livres qui confirment la complicité nazie de Heidegger, ou le défendent, plus rarement – sa défense est passée par plusieurs subterfuges :

-séparer le « politique » du philosophique, comme pour imperméabiliser sa pensée éthérée de l’« Être » par rapport à ses soutiens prétendument carriéristes ou inconséquents au nazisme.

-Ou encore le qualifier de lâche et d’ambitieux (certes) – pourquoi pas de nigaud ?... C’est l’explication qu’il sert à Hannah Arendt quand il la revoit après-guerre, où il lui explique, tel un petit garçon pris les doigts dans la confiture, n’être pas doué en politique. Pauvre homme.

-Le travail de censure des fans de Martin H., par la traduction ou carrément le « chuintage » de passages.

Il n’empêche que beaucoup de professeurs ont été et sont heideggériens, que ce « philosophe nazi » (et non grand philosophe et nazi ordinaire comme le dit Alain Badiou) a une forte influence sur la pensée, particulièrement en France (par exemple la notion de « déconstruction » lui est empruntée par Derrida, très influent aux Etats-Unis), qu’il n’est pas abordé comme un penseur nazi, même si plus personne ne met en doute sa compromission réelle avec le système nazi, ce qui est devenu tâche impossible, encore plus depuis la parution des « Cahiers noirs » où il se déchaîne.

C’est un mystère pour moi de voir qu’un homme comme René Char, résistant émérite, par exemple, a été ami avec ce type après-guerre, ce qui démontre sa grande perversité et sa souplesse reptilienne. Il m’arrive d’entendre parler d’Heidegger, à l’occasion, par exemple dans une émission sur la psychanalyse (un courant très minoritaire s’inspira de lui), et on ne rappelle pas la familiarité de sa philosophie avec le totalitarisme à croix gammée. Elle n’a rien d’un dérapage, d’un égarement. Il est plus que temps d’en finir avec le mythe Heidegger et de dire franchement de quoi il s’agit : d’un habillage discursif opaque permettant au nazisme de travailler la philosophie de l’intérieur. Quand Hitler accède au pouvoir, Heidegger dit clairement sa pensée : « nous nous sommes éloignés de l’idolâtrie d’une pensée privée de sol et de puissance ». D’une pensée contaminée par les juifs errants, donc… « Nous voyons la fin de la philosophie qui la sert » (la pensée des lumières, universaliste, et son héritage socialiste, à briser). Il s’agira donc de « ne pas se fermer à la Terreur de ce qui se déchaîne ». Il sera servi.

Pour un philosophe inquiet de la technique, ne pas avoir vu que le nazisme allait emporter – c’était son programme explicite – le monde dans la guerre, et donc provoquer un nouveau bond technique (dont l’arme atomique), c’est fort dommage. D’autant plus qu’il se permettra, après-guerre, de parler de l’atome comme un symptôme, encore une fois, de l’« oubli de l’être ».

 

Bourdieu : le portrait d’Heidegger en petit bourgeois nazi, suradapté à son milieu

 

 Pourtant, dès 1975, un sociologue, par n’importe lequel, Pierre Bourdieu, plutôt que de se livrer à des polémiques d’archiviste, analysa les textes de ce Recteur d’université nommé en célébrant Hitler alors que nombre de ses disciples et collègues avaient été obligés de s’exiler. Bourdieu démontre en quoi la pensée de l’auteur de « Être et temps », inclinait vers le nazisme, dissimulée derrière des brumes ésotériques fascinantes pour certains professeurs de philosophie (comme si l’obscur cachait nécessairement la vérité, ou « distinguait » une élite, pour reprendre une catégorie bourdieusienne). Adorno, un philosophe pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, avait auparavant approfondi l’analyse du langage heideggérien comme moyen de manipulation. Il le décrit comme « Jargon de l’authenticité », mélange de vocabulaire populeux, censé exprimer l’esprit de la profonde Allemagne, et de registres verbeux censés seulement ouverts aux philosophes lecteurs de grec ancien. Une forme très particulière du charlatanisme nazi.

Bourdieu parle bien – c’est son titre - de « l’ontologie politique de Martin Heidegger ». Par ontologie, il faut entendre réflexion sur la nature humaine au sens le plus épuré, sur l’Etre même, mais on ne peut pas séparer l’ontologie de sa dimension politique, puisque l’homme… Est un animal politique. Donc, couper Heidegger en deux, le Maître et l’adhérent du parti hitlérien n’a pas de sens. La pensée de MH est « politique de bout en bout ».

Selon Bourdieu, MH masquait (à peine) son nazisme sous une montagne de rhétorique de son cru, donnant une noblesse philosophique à des convictions de brute fasciste, qu’il put ensuite assumer. Tout un courant « de gauche » se laissera même duper, voyant dans la dénonciation de l’aliénation technique effectuée par MH une parenté avec Marx (or chez Marx l’aliénation procède des rapports de production, chez Heidegger, les classes n’ont pas à être abolies, mais doivent s’unir pour assumer le destin de la race). Pourquoi Heidegger procède ainsi ? Parce qu’il partage ces idées racistes-nationalistes, celles des corps-francs qui assassinent Rosa Luxembourg, fomentent des putschs. Mais en même temps il ne veut pas être marginalisé dans « le champ » propre de la philosophie, où il est devenu « quelqu’un ».  « On ne peut attendre du philosophe qu’il parle crûment le langage cru du politique » écrit Bourdieu, et Heidegger s’y conforme en inventant un langage abscons. Il s’inspire de Junger, de Spengler, de Mein Kampf, mais retraduit les impulsions en langage ésotérique, propre à assurer son prestige dans le monde universitaire.

J’ai trouvé Bourdieu brillant quand il décrit le contexte dans lequel s’affirme la pensée de MH, marqué par l’angoisse d’un déracinement, sous la République de Weimar. C’est le moment où des jeunes, pas forcément des préfascistes d’ailleurs, partent à la montagne, aspirent à retrouver la nature, et comme en France, se mettent à critiquer « la raison » (après tout c’est bien le propos du surréalisme, d’extrême gauche, en France, avec une toute autre orientation). La raison avait en effet mené à la boucherie. Parmi ces courants, Bourdieu parle d’un certain esprit « Volkisch », qu’on pourrait traduire, imparfaitement, comme « populiste », mais avec une empreinte plus romantique, plus mystique et nostalgique. On retrouve nombre de ces thématiques chez Spengler : la modernité haïe, le machinisme considéré comme déchéance, la mythification de la vie à la campagne, la valorisation de l’animalité (et du coup la négation de la spécificité humaine)… Un certain discours écologique. C’est ainsi un courant conservateur révolutionnaire qui naît, tenté par « une fuite en avant ». Une vision qui puise dans un retour aux sources mythologiques allemandes afin de nourrir une volonté de puissance d’un délire paradoxalement futuriste, comme le sera le nazisme. Hitler se décrira comme le révolutionnaire le plus conservateur du monde.

En tant que philosophe et professeur universitaire, MH voit se développer avec amertume un surplus d’intellectuels, dans cette Allemagne, qui menace l’élite dont il se réclame, et d’un autre côté il s’inquiète de ce que la technique, la science, laisseront de sa discipline. La science… Quelle impureté. En tant qu’assistant de Husserl, le novateur, il dispose de la possibilité d’incarner une pensée à la fois conservatrice et révolutionnaire et de l’imposer dans l’université.  Ce petit bourgeois d’origine, qui cultive son côté terroir, marqué d’après les témoins par un esprit de sérieux et un manque d’humour (et dire qu’on ose l’affilier à Nietzsche) voue une morgue tenace aux aristocrates universitaires néo kantiens, « libéraux ». Il se sent, lui, « authentique ». C’est pourquoi, notamment, il voit dans les juifs la figure de l’errant déraciné, ennemi par excellence. Le juif incarne à ses yeux l’oubli de l’Etre, par son cosmopolitisme. MH se consacre à une tâche nationaliste révolutionnaire dans son domaine : refuser la subordination de la philosophie à la science. Il « rétablit le privilège de l’Intuition et de l’Esthétisme ». La Raison, voila l’ennemi. « Connaître c’est primitivement intuitionner ». (SUITE DANS PARTIE 2)

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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