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15 juin 2019 6 15 /06 /juin /2019 12:32
Croire à tout prix (le cas Raymond Abellio) – La fin de l’ésotérisme – Raymond Abellio

La croyance est un besoin puissant dans notre espèce. Elle aide les humains à tenir debout, elle les console, elle donne un sens à leur vie et au monde, et à leur place dans le monde. Qu’elle soit religieuse ou laïcisée. C’est pourquoi quand une personne perd la foi, elle a tendance, parfois, pour ne pas sombrer dans une sorte de chaos, à s’accrocher à une autre foi, qu’elle pense souvent très différente, mais qui ressemble par maints aspects à l’ancienne, car elle répond aux mêmes nécessités intimes. On quitte souvent un conjoint quand on en a trouvé un autre. C’est pareil pour les croyances.

 

De croyance en croyance

 

Nombre de maoïstes sont devenus bouddhistes, remplaçant une croyance par une autre, et restant dans une continuité de fascination avec l’Asie (l’ailleurs, ce qui n’est pas occidental, qui ne rappelle pas Auschwitz, le temps des parents de cette génération du baby boom). Un de leurs chefs, Benny Levy est devenu exégète biblique, tout comme il était exégète de Marx.

Songeons aussi à tous ceux qui ont perdu la foi sans s’accrocher à une foi assez puissante en recours. Par exemple Michel Recanatti, qui est l’objet d’un documentaire (« Mourir à trente ans ») de Romain Goupil (avant qu’il devienne fou à lier), jeune militant trotskyste se suicidant après la dissolution de son organisation, et les doutes. Certains, oui, ne retournent pas à la croyance, et s’en sortent. Par exemple Edgar Morin, un Sage.  Ils sont rares.

Pour beaucoup, la fin de la foi est un exil.  Robert Linhart, maoïste, auteur superbe d’un livre sur la vie en usine, a littéralement cessé de parler après la fin des illusions (il avait sans doute trop parlé pour rien avant), d’après un livre touchant de sa fille. Duras, après le communisme, sombre dans l’alcoolisme.  D’autres sont zélateurs dans le camp adverse de celui où ils zélaient. Répondant aux mêmes pulsions. Par exemple Daniel Cohen Bendit, passé du libertaire au libéral, avec le même aplomb. Roger Garaudy passe du stalinisme à la foi islamique, puis devient carrément révisionniste, avec toujours la recherche d’une vérité cachée. La parano stalinienne, la révélation, puis à nouveau la parano et la révélation minoritaire.

 

Pourquoi la Foi ? La Foi est la Vérité, et l’Amour. C’est ainsi toujours le regret du paradis perdu (de la vie intra uterine, unifiée sans doute, comme le pensent les psychanalystes). C’est ainsi que les croyances reprennent souvent le schéma d’une unité primitive, d’une division maudite, et puis d’une réconciliation. C’est la structure du christianisme comme celle du marxisme dans sa version « scientifique » aujourd’hui heureusement dépassée (ce qui ne veut pas dire que Marx est obsolète). En outre, avant même de retrouver l’unité, ce qui mettra fin à la croyance (après le communisme il n’y a plus besoin de parti communiste…), la croyance permet d’opérer des liens dans le désordre, et ainsi de conjurer l’angoisse, et de fonder l’espérance, et même la certitude. Pour laquelle se consacrer.

 

 

Raymond Abellio, de la croyance au marxisme scientifique, à la croyance ésotérique

 

Le cas de Raymond Abellio est très intéressant à décortiquer, et je m’y essaierai ici en utilisant un de ses livres, après sa « seconde naissance » comme il dit. Il naît dans ma ville, Toulouse, au début du XXème siècle. C’est un intellectuel, il est polytechnicien. Il participe au gouvernement de Front Populaire. Il est dans la minorité de gauche, socialiste révolutionnaire, proche des idées de Rosa Luxembourg, du POUM espagnol, des anglais fréquentés par Georges Orwell, minorité socialiste qui dialogue avec Trotsky tout en ne se soumettant pas à lui.  Beaucoup de gens brillants y sont passés. Puis vient la guerre. Pour ces gens, marxistes mais non autoritaires, c’est un échec et le désespoir guette. Ils ont été antifascistes, et ont perdu. Ils ont été antistaliniens et ont vu leurs amis assassinés (en Espagne notamment, par les services soviétiques). Ils ont été pacifistes, et leurs espoirs s’effondrent. Le Front Populaire a échoué. Leurs croyances sont ébranlées et ils sont dispersés, divisés, souvent traqués par les nazis.  Beaucoup ont été en Espagne et ont perdu. Abellio entre dans la résistance. Mais il tombe sur un type, un guérisseur de campagne, qui l’initie à l’ésotérisme, et en particulier avec la gnose. Avec une facilité déconcertante.

 

Abellio était prêt. Il avait besoin de troquer sa foi perdue, son désespoir, pour un monde neuf. Il voulait un monde tout nouveau à explorer pour son intelligence, une nouvelle Vérité à traquer obstinément.  En étudiant son livre, écrit dans les années soixante-dix, « La fin de l’ésotérisme », souvent obscur pour qui n’est pas obsédé par « la révélation » (moi ce qui m’intéresse c’est plutôt la psychologie de ces forcenés de la croyance), nous verrons qu’il y a, malgré l’opposition nette entre ésotérisme et marxisme, une grande continuité chez Abellio,, par- delà les formes de sa pensée. Il est étonnant de noter qu’il ne s’en apercevait pas. On ne peut pas se regarder de sa propre fenêtre. Il aurait fallu une psychanalyse, et ce n’est pas fortuit si Abellio détestait Freud. Car sa pensée l’aurait mis encore en danger sur sa foi s’il avait constaté que ses opinions, si ciselées, si recherchées, n’étaient au final que le reflet de ses tourments psychiques.

 

L’ésotérisme s’était trouvé alors un type très intelligent, qui au sortir de la guerre, sera totalement investi dans sa nouvelle mission : comprendre les vérités perceptibles par les initiés, mais codées et incomplètes, et jouer un rôle dans leur révélation au monde entier, imminente, comme l’était… la révolution socialiste dans sa première vie. Ce qui a sans doute fini de convaincre Abellio c’est le fait qu’il ait été victime d’une chose atroce. A la fin de la guerre on l’a confondu avec un spoliateur de biens juifs, et il a été en prison trois ans pour rien. En sortant il a dû considérer que les institutions, c’était terminé pour lui. L’ésotérisme alors, tombe à pic. Abellio n’aurait pas pu aller dans une Eglise, ce qui en plus lui aurait rappelé les Partis où il avait échoué, où ses paroles annonçant le danger fasciste avaient été méprisées.

 

Par « fin de l’ésotérisme » il faut entendre « finalité » (dévoiler la vérité), mais aussi le terminus. Comme on l’a dit, une fois le monde réconcilié avec l’Esprit, l’ésotérisme tombe de lui-même, comme activité de dévoilement. Donc l’initié aspire à sa dissolution dans la communauté des hommes revenus à leur savoir initial, perdu. Cela ressemble au communisme, retrouvant le communisme primitif.  L’unité remplace la division. L’éternité remplace l’Histoire. Ce qui évoque la fin de la lutte des classes, moteur de l’Histoire.

 

On retrouve aussi le côté libertaire de l’ancien socialiste révolutionnaire anti stalinien. Il ne s’agit pas de créer du pouvoir, des institutions. Les gnostiques n’en voulaient pas. C’est ainsi que Raymond Abellio se distingue nettement des occultistes. S’il croit aux trouvailles des alchimistes (il y aurait des preuves… Bon), il considère que la connaissance offre des pouvoirs, mais que c’est de surcroît, et que ça n’a aucune importance. Ce qui compte c’est que l’humanité se réconcilie avec le monde, ce monde incompréhensible. Qu’il entre à nouveau en harmonie avec lui. Qu’il ne voit plus les objets comme utiles, mais comme des microcosmes, des manifestations de la vérité, qu’il voit dans les choses le reflet des Idées divines.

 

De plus, c’est le côté sympathique de la gnose, il n’est pas question de morale, seulement de métaphysique. Pourquoi ? Parce que la morale humaine n’est rien. Tant que nous n’accédons pas au divin, tout cela n’a aucune importance. Ce sont des vanités. On peut donc fumer des joints, et Abellio adore les jeunes gens de Berkeley, qui sont pour lui des annonciateurs du nouvel âge réconcilié.  Ceci explique pourquoi les pop stars, comme les beatles, adoreront l’ésotérisme. Tous ces beatniks, ces gens qui prenaient du LSD, voulaient aller à Katmandou, lui apparaissaient comme annonciateurs d’un retour de la révélation, imminent.

 

Comment retomber sur ses pattes quand on est un intellectuel ésotérique occidental

 

L’ésotérisme considère que les hommes primitifs étaient destinataires d’un savoir de nature divine. Qu’ils étaient en communion avec l’Esprit. Abellio va tout au long de son livre user d’arguments très rationnels pour nous en persuader, se servir des chiffres et de la géométrie (Polytechnique n’a pas été vain). C’est un intellectuel. Il ne va pas abandonner son principal atout. Il doit d’abord justifier ce rationalisme. Pour lui, la « raison » n’est pas un obstacle vers la réconciliation avec le divin, c’est une étape. Comme le règne bourgeois était dans son ancienne vie une étape vers la fin de l’Histoire. Il faut en passer par là. La créature doit user de ses outils de créature imparfaite, avant de recevoir à nouveau la révélation de l’Esprit. La raison est donc nécessaire dans un premier temps, et ensuite viendra la béatitude. L’occident a sa place dans la révélation, il n’y a pas que l’Asie. Abellio n’est donc pas mystique, contrairement à Simone Weil, avec laquelle il a bien des points communs. Ils sont tous deux de la même mouvance politique avant-guerre, puis résistants. Et Weil est une gnostique, sans aucun doute. Une platonicienne christique. Abellio devient « initié » pendant la guerre, et Simone Weil s’enfonce dans le mysticisme jusqu’à la recherche de Sainteté au même moment. Pour les deux, la mort est un horizon de réconciliation avec l’Esprit.

 

Abellio a fait à Marx ce que Marx a fait à Hegel, mais à l’envers.

Marx a pris l’ultra idéalisme de Hegel (un Esprit qui se cherche dans l’Histoire) et l’a remis sur terre, au cœur de la production.

Abelllio a quitté Marx, et pour lui désormais toute matière procède de l’esprit. C’est pourquoi Abellio est un néo gnostique (il écrira ensuite un « manifeste pour une nouvelle gnose »). La gnose est une synthèse entre Platon et le christianisme primitif. Le monde, pour eux, est une chute, comme pour Platon. Il s’agit, par la « connaissance », le logos pour Platon, la « gnose », d’accéder aux vérités ultimes, les « Idées » pour Platon. Le Royaume de Dieu pour les gnostiques.

La gnose lui va très bien : elle lui permet d’agir en intellectuel, du point de vue d’un occidental rationnel (la raison étant une étape), et en plus de refuser les institutions (les gnostiques les refusent). Et elle répond à son besoin d’être un intellectuel cherchant à tout relier, la Kabbale, la Bible, les textes sacrés indiens, pour trouver LA Vérité, mais sans s’affilier à une institution.

 

Abellio pense que ce savoir premier des hommes, s’est perdu (il ne sait pas trop comment, il évoque le mythe de l’Atlantide, prudemment), mais comme il est rationnel, il cherche des arguments de raison. Alors il constate d’abord que l’émergence de la civilisation, en Mésopotamie, est soudaine. Cela ne peut être dû à son avis qu’à l’accès à un savoir global, délivré d’un seul coup. Cela se discute… On peut aussi dire que cette époque fut un carrefour qui permettait une émergence, à cet endroit-là.

 

Puis surtout, il traque dans toutes les religions, dans le langage, les traces d’un savoir commun, d’un code même, d’une « Structure globale » (le même fantasme que le marxisme scientifique) que la mémoire des hommes aurait conservée. Et quand on cherche, comme le montre Umberto Ecco avec humour dans « Le pendule de Foucault », on trouve, évidemment. A force de secouer des milliers de pages du Zohar, de la Kabbale, des livres sacrés de l'Inde, et des évangiles non canoniques ou canoniques, vous trouvez des coïncidences. Par exemple la croix, qui pour Abellio est la clé essentielle du mystère (elle symbolise le croisement entre l’Histoire, le monde, et l’éternité, qui se réconcilieront), croix que l’on retrouve dans le Yi King chinois à travers les formes du Yin et du Yang. Ces formes permettent de réaliser six figures. Et le chiffre six est partout, comme par exemple dans la Genèse, avec les six jours pour réaliser le monde.

Abellio oublie tout de même que les hommes ont une longue histoire commune, qu’ils ont donc développé des représentations qui se sont disséminées, que de plus ils n’ont cessé d’échanger et n’ont pas été isolés, et qu’en outre il y a une condition humaine, une ontologie, qui les conduit à voir certaines choses avec des points communs. Abellio aime les savoirs ésotériques, comme la numérologie, l’astrologie, mais par contre il est passé un peu à côté de l’anthropologie. En tout cas la voie ésotérique lui offre à nouveau, après son désespoir marxiste, la possibilité de l’accès, difficile, mais possible, à un Grand Tout de la connaissance. Il y a une fierté à connaître les secrets du matérialisme dialectique auquel on est « formé », il y a fierté à être un initié :

 

« il ne sera pas de véritable gnose ultime sans leur unification (des techniques ésotériques). La tradition nous parle de nombreux pouvoirs : pouvoir des images (par les symboles, les pantacles et les mandalas) ; pouvoir des sons et de la parole (par les mantras, les phonèmes et leurs assemblages radicaux) ; pouvoir de l’écriture (par les formes et les hiéroglyphes) ; pouvoir des nombres enfin (par les idéogrammes et les nombres eux-mêmes), et cela dans une simultanéité qui cache une circulation génétique ».

 

Le livre a de belles intuitions toutefois, parce que l’auteur est intelligent, mais ressemble quand même à une sorte de Da Vinci Code Bac + 56. Pour ma part, j’ai survolé les passages opaques sur les équations du divin, parce que ça ne m’intéressait pas de l’y investir à ce point. Par contre la logique globale de la pensée, elle, m’intéresse, psychologiquement.

 

Croire à tout prix n’empêche pas l’agilité intellectuelle

 

Un point m’intéresse notamment, quand Abellio tente de justifier la cohérence « dialectique » (merci, Marx pour lui avoir appris ça) entre Raison et ésotérisme. Pour Abellio, la philosophie phénoménologique (ou existentielle), de Husserl, est une évolution qui montre que la raison occidentale se rapproche de la vérité, et va se dépasser elle-même. La phénoménologie recherche la réconciliation de la conscience et du monde, de la pensée et de l’Etre dans le monde, à ce titre elle est une avancée vers ce que sait l’ésotérisme.  Et il est vrai que j’ai appris, un jour, en discutant avec une sophrologue (cadurcienne), que cette discipline s’inspirait de la phénoménologie. Pourtant elle propose les mêmes outils, les mêmes pratiques, que la méditation de source bouddhique. Comme quoi, les allemands du début du XXème siècle et les chinois lointains et l’Inde, ont pu parvenir à des conclusions communes. Mais cela ne veut pas dire que tout cela procède d’un savoir livré aux premiers hommes par un Esprit qui leur serait extérieur !

 

Quand Abellio décrit les premiers hommes, il y a de belles choses, et sans doute vraies. Il les décrit comme « synesthésiques », ils ne dissocient pas leurs sens, mais c’est leur corps entier qui est engagé dans la connaissance du monde. Comme dans « les correspondances » de Baudelaire (qu’on disait gnostique d’ailleurs, ou platonicien). Certes, je peux imaginer l’homme primitif en communion avec la nature (comme il l’est chez les peuples animistes aujourd’hui), moins clivé, moins maladif que nous, mais d’ici à penser qu’un savoir immense lui a été donné d’un seul coup par Dieu ou des anges, ou des extra-terrestres… Je ne suis pas le mouvement. Je pense plutôt que loin d’être des propriétaires d’un savoir incroyable, qui nous échappe ( Abellio  va jusqu’à dire que les pyramides sont des dispositifs énergétiques hyper performants dont nous ignorons le fonctionnement, comme dans « Le cinquième élement » de Besson… là quand même, il charrie), ils étaient effrayés devant ce monde certes bien connu de leur sens mais incompréhensible, froid, dangereux. Et qu’ils ont inventé des Dieux, vite fait, pour se consoler et ne pas devenir fous (ou du moins contenir leur folie dans une construction).

 

Abellio considère que le monde est tout prêt de retrouver ce savoir, connu seulement des initiés (dont lui, certainement). Plus jeune il pensait que la lutte finale était pour demain. Rien n’a changé de ce point de vue entre ses « deux vies ».

Pourquoi pense-t-il cela ? Parce que la science est en crise dit-il. Elle se heurte à l’infiniment grand et l’infiniment petit. Ce n’est pas faux, cela. On sait que le fameux mur de Planck nous empêche de comprendre ce qui s’est passé dans les premiers moments après l’apparition de l’univers. Les équations d’Einstein ne valent que jusqu’à un certain point, tout proche, mais quand on se rapproche de la Singularité, elles ne marchent plus.

De plus, Abellio s’en prend à ses anciens amours, Marx et Freud, avec leurs prétentions à étendre la science à l’Humain, à le voir en homo economicus ou malade. C’est le mutiler, selon lui. Il est un peu réducteur… Par contre, il sauve Jung, qui a eu l’intuition de l’importance des cultures archaïques (ce qui d’ailleurs lui a permis de s’entendre avec les nazis pour ne pas être balayé, comme le freudisme). Mais la science elle-même, va aller vers les chemins de l’ésotérisme, il en est convaincu. Il le voit notamment dans le fait que la science moderne ne considère plus les systèmes comme clos, mais ouverts (idée de l’unité fondamentale), et que l’opposition entre Sujet et Objet est remise en cause par la physique quantique (il aurait aussi pu citer les sciences sociales sur ce point, mais il ne les aime pas).

 

Nous avons en Raymond Abellio un sacré phénomène. Son intelligence a besoin de se déployer. Pour cela il a besoin de mystère. Des lourds mystères. Mais par contre, il ne peut pas parvenir à considérer, avec Nietzsche, que ses opinions ne sont finalement qu’une expression de ses sentiments. A son désarroi l’ésotérisme a proposé une solution merveilleusement adaptée.

Ce que nous pouvons reconnaître à Abellio, c’est qu’il a gardé en lui, constamment, l’espoir de l’Amour, et le refus d’opprimer et de dominer. Il n’avait pas ces désirs en lui.

Il nous a tout de même aussi montré que la Raison et le délire sont moins éloignées qu’on pourrait le penser. Trop de raison peut conduire au délire. A tout relier on perd de vue tout ce qui n’est pas relié, et on crée de l’artifice. Des mondes imaginaires. Ce que veut le corps, c’est survivre, oui, et pour cela, l’esprit ne doit pas désespérer. Et à cet effet, nous sommes capables de nous raconter des histoires incroyablement élaborées

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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