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28 juin 2019 5 28 /06 /juin /2019 10:21
Comment un monde est englouti mais laisse trace - Chronique des derniers païens-Pierre Juvin

"Aujourd'hui, guère moins ignorants ni moins démunis, nous sommes de surcroît perdus dans un monde hors de l'échelle humaine, né dans une explosion, lancé dans un mouvement vertigineux et destiné à périr. Devant lui, les vastes palais de l'Olympe paraissent infimes. Ils ne retrouvent leur grandeur que ramenés à notre taille - mais c'est au prix de leur divinité".

 

L'Histoire est écrite par les vainqueurs, mais elle est tout aussi passionnante du côté des perdants. J'avais été ébloui par le livre "Effondrement" de Jared Diamond, qui évoquait les conditions de disparition de nombreuses civilisations, conditions que nous sommes activement en train de mettre en place. Je cherchais un bon ouvrage sur la fin du paganisme après la conversion de l'Empereur Constantin, et je l'ai trouvé avec le maître Livre de Pierre Chuvin, "Chronique des derniers païens, La disparition du paganisme dans l'Empire Romain du règne de Constantin à celui de Justinien" (difficile à trouver malheureusement). Nous savons que le christianisme commence après la mort de Jésus, mais nous ne pouvons pas dire quel a été le dernier paîen et nous ne le saurons jamais. Il a pourtant du exister. Quelle conscience les derniers des derniers avaient de leur destinée ? Peut-être ne se rendaient-ils pas compte de ce qu'ils vivaient. Leur conception de l'Histoire n'était pas la nôtre.

 

L'extinction n'a pas été soudaine, et il y a donc une Histoire propre du paganisme déclinant. Le fait de ne plus être religion officielle a du conduire les païens à s'adapter. Constantin adopte la foi chrétienne puis décide de mesures de tolérance, à vrai dire extraordinaires à les relire, puis un demi siècle plus tard, un empereur philosophe, Julien (son pamphlet contre "les nazaréens" vaut le détour), tente une restauration, éphémère, et c'est au milieu du sixième siècle que Justinien décide des mesures drastiques contre le paganisme l'interdisant purement et simplement. Mais nous avons des preuves de répression postérieures, donc d'une certaine persistance. Le fil n'a pas été tout à fait coupé, puisque la Renaissance est notamment inaugurée par les influences néo platoniciennes, qu'il a bien fallu sauvegarder.

Le païen, étymologiquement, c'est l'homme du coin, le paysan. L'homme de cette terre. Et tel était le paganisme : une incroyable mosaïque inédite de croyances et de rites attachés à un territoire, tournés vers la protection des cités et la fertilité des terres. Pour le monde romain, chacun a reçu une part de message de la divinité, et si ce monde est cruel il n'est pas fanatique religieusement. L'éloignement des autres, étrangement, crée la tolérance. Cela rappelle Nietzsche, qui prône de préférer son lointain à son prochain. On étouffe son prochain. C'est ce que feront les chrétiens, réprimant tout ce qui ne les rejoignait pas.

Paradoxalement, la divine surprise pour les chrétiens, de l'accès au rang de religion officielle, vient après une séquence de répression furieuse contre eux. Paul Veyne a raconté, pour ceux que ça intéresse, la conversion de Constantin et ses possibles motifs ("Comment notre monde est devenu chrétien"). Elle est précédée d'un mouvement de division dans l'Eglise, sur la question, longtemps ouverte, de la nature du Christ, et par un virage stratégique des chrétiens, montrant leur soumission à l'Empire plus explicitement. Ce Constantin est tout de même un drôle de type. Il a d'abord une vision d'Appolon, puis un peu plus tard, à la bataille du pont de Milvius, de la croix dans le ciel (une autre version parle d'un songe). Enfin, il était sujet aux visions. Avec son collègue empereur d'orient il rédige un texte incroyablement précurseur dans l'histoire de l'humanité. L"édit reconnait "le droit de suivre la religion qui lui convient le mieux" à chacun et une "liberté" "complète" en ce domaine. Ensuite, il ménage les uns et les autres, se sert de la formule "Sol Invictus" tout en assumant son rôle de chef des chrétiens. Cependant, il prend quelques mesures anti païennes, comme de mettre hors la loi la magie qui veut porter atteinte à autrui, ce qui semble logique, mais servira de base à une répression plus large ensuite. Il réprima aussi des temples où l'on pratiquait manifestement des agissements contraire aux moeurs catholiques comme on dit aujourd'hui. 

Au siècle suivant, les chrétiens sont occupés à se déchirer, soutenus par l'orient d'un côté, l'occident, de l'autre, entre ariens et futurs romains (toujours à propos de la nature du Christ). Julien l'Apostat, règne, pour quelques mois, et fait relever des temples qu'on a saccagés ici et là dans  l'Empire, et attaque les chrétiens au portefeuille. Il essaie de contre attaquer en relançant les grands prêtres païens, en copiant la charité. Mais le paganisme de Julien est un peu élitiste, et ne parvient pas à de grands résultats dans le peuple. Julien meurt précocément et il n'aura obenu qu'un délai de tranquillité pour le paganisme.

Au début, ce qui est reproché, c'est la divination, et ses usages politiques (qui règnera, qui est appelé à périr). Les pouvoirs politiques local et central ne supportent plus ces pratiques, et les punissent. Antioche, suite à des procès, est purgée de ses païens et de ses textes non chrétiens. Mais la situation est très contradictoire, les empereurs apprécient les soutiens en leur faveur sous les formes païennes, certains chrétiens subissent encore le joug symbolique des signes interprétés par les païens. A la fin du 4eme siècle, toutefois, la déferlante répressive s'abat. Un homme, Saint Ambroise de Milan (auquel Patrick Boucheron, historien au colllège de france, vient de consacrer un livre), n'y est pas pour rien. Il a l'oreille de l'empereur Gracien et obient qu'on coupe les subsides aux prêtres païens. Malgré les ripostes intellectuelles (les païens ayant dans leurs rangs des belles plumes), la machine est lancée. Les évêques font détruire les temples. Les chrétiens et leur clergé intermédiaire sèment les troubles, et le pouvoir politique et religieux de haut niveau laissent faire, sans s'en prendre à la haute élite païenne. 

Théodose renforce alors la répression. En fait, le catholicisme, s'emballant d'abord contre des dissidents, les ariens, ou des hérétiques comme les manichéens, prend le pli de l'intolérance, et se retourne contre le paganisme.  Les sacrifices, la fréquentation des temples, et même regarder les statues, tout cela devient prohibé. Le paganisme est renvoyé à l'intime. A chaque défaite, le fait que les dieux ne réagissent pas, désempare les païens et facilite les conversions, plus ou moins enthousiastes. En 392, un usurpateur païen prend le pouvoir et il est défait par Théodose d'Orient lors d'une bataille opposant les étendards d'Hercule et ceux de la Croix, les païens sont écrasés. "Les officiants des anciens cultes n'étaient plus que des amuseurs forains". La destruction des temples devient une politique impériale, et on coupe les arbres sacrés.

Vient l'évènement, considéré parfois comme la fin de Rome, à savoir sa mise à sac par les Wisigoths. Un signe que les païens ont pu interpréter comme un acte des Dieux. Mais ce n'est pas pour autant que les chrétiens cessent de pousser l'avantage. Il y a par exemple le cas d'Hypathie, non pas pretresse païenne, mais philosophe platonicienne, figure très respectée d'Alexandrie, énseignante auprès de chrétiens comme de païens, qui est assassinée de manière atroce par les chrétiens, prise malgré elle dans la querelle entre le Préfet qui avait été son élève et l'évêque (Rachel Weisz l'incarne dans un film). Les païens, qui subsistaient dans les cercles du pouvoir sont écartés, ou convertis, puis la tendance se diffuse à toute l'administration. Le 5eme siècle achevé, le paganisme a pour seul refuge la sphère intellectuelle, et l'enseignement. A Athènes subsiste un paganisme contemplatif, dont le philosophe Proclos est une figure. Le paganisme conserve un attrait culturel, qui ressort chez des auteurs chrétiens. Et de l'autre côté, il devient clandestin et marginal, livré à des mages peu scrupuleux.

L'Empire d'Occident est défait. C'est le temps des Rois, ariens ou catholiques. Les païens ne se remettront jamais d'avoir perdu leur place de religion d'Etat. Un siècle après les lois de Théodose en finissant juridiquement avec lui, le paganisme n'existe plus que comme survivance culturelle, esthétique, et chez des paysans qui continuent d'exercer leurs rites, et sont peu à peu réduits. Justinien, bâtisseur de Sainte Sophie, porte le coup de grâce en décrétant le baptême obligatoire et en épurant l'enseignement. et fait symbolique de haute portée, il ferme l'école platonicienne d'Athènes. Les philosophes tentent de se réfugier à l'extérieur de l'Empire où ils ne prospèrent pas. A Harrân, près de la frontière perse, une école est refondée. Elle subsistera jusqu'au 11ième siècle, mais elle a joué sans doute un rôle essentiel dans la protection des textes qui retransiteront par l'Andalousie, avant d'infuser la Renaissance. A la fin du 6ème siècle, il est encore question dans les chroniques de procès, de liquidation de poches païennes, comme la plaine de la Beeka. On parle d'une Ile, où le culte persiste jusqu'au 9eme siècle.

De quoi est tissé ce paganisme tardif ? qui est laminé après Constantin ? D'une vaste culture livresque, philosophique et "magique", très diverse. Un livre sacré, perdu, fut "Les oracles chaldaïques", écris en vers, écrit sous Marc-Aurèle. On réinterprète de manière mystique les textes d'Homère et de Virgile. La haute culture des païens leur a permis de tenir un temps dans les cercles de l'administration de haut niveau. Les conversions "sages" des intellectuels, encore imprégnés de l'ancienne culture, ont sans doute évité de plus grands massacres et des guerres de religion à grande échelle. 

Le paganisme n'était pas un libéralisme culturel, comme le rappelle la mort de Socrate, mais plutôt une mosaïque d'affiliations qui ne posait pas de souci de cohabitation. A cette pluralité répond une diversité de la politique de conversion, par la force ou la prédication. Mais ce qui est le plus difficile est de faire comprendre à un néo chrétien qu'il doit abandonner des coutumes.

Quant aux cultes, ils sont mutants, ils voyagent, sont réinterprétés, comme les dieux eux-mêmes. Le paganisme a tendance à évoluer vers un monothéïsme au voisinage des chrétiens, d'où le rôle éminent du Soleil. Némesis, déesse de la Justice, occupa aussi un rôle important. L'auteur évoque les fêtes d'Eleusis, le culte de MIthra, ou encore le culte de Cybèle, qui paradoxalement, malgré son caractère sanglant, fut plus résistant alors que les sacrifices étaient interdits (le rite comporte une douche... De sang de taureau).

Le culte, expulsé des temples et de l'espace public a évolué du sacrifice au repas de famille et à la prière. Les oracles disparaissent, et la divination emprunte des formes diaphanes, comme lire dans les nuages. Les chrétiens ont détruit les statues, aussi bien pour des raisons religieuses que pour en récupérer le matériau précieux.

Dans le paganisme clandestin, les cultes n'ont pas toujours gardé le meilleur, et il y eut des procès pour sacrifice humain. 

On doit ditsinguer magie, qui cherche à obliger les dieux, et théurgie, qui rend hommage et invoque. On invoque même Platon, ou Achille... On utilise des communicateurs avec les Dieux, comme des toupies en or et saphir.

Le paganisme n'est pas mort sans laisser de trace. Il a infusé le christianisme qui en a repris des fêtes, renommées. La souplesse du paganisme a permis cette réappropriation; les peuples ne renonçant pas aussi aisément à leurs coutumes. Les légendes de fondation des villes subsistent. Sainte Agathe est un des noms anciens d'Isis. C'est par la voie profane que le paganisme a influencé le monde qu'il quittait. Où fut la dernière grotte où l'on a célébré le culte ? Quels furent les sentiments de ces derniers qui malgré tout persistaient, considérant que tous les autres étaient dans l'erreur ? Nous ne saurions le savoir. Car bien avant la disparition, l'Histoire des derniers païens nous est parvenue par les chrétiens, qui monopolisaient la transmission.

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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