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13 juin 2019 4 13 /06 /juin /2019 01:52
Le promoteur est-il maître de la ville ? - Julie Pollard, l'Etat, le promoteur, et le Maire

"Halte aux promoteurs". C'est une phrase que l'on a tous entendue, depuis que les villes ont été livrées à la gentrification, puis, parfois, à des retournements de cycle qui portent l'accumulation ailleurs, car ce qui se dévalue devient attractif par le prix et ce qui est spéculé devient inaccessible à terme. Le marché détruit donc, et construit, inlassablement. Ce slogan nous alerte sur la fragilité du bien public urbain, le risque blafard de la ville livrée à la spéculation.

 

Mais qui est donc ce "promoteur" un peu spectral, omniprésent et silencieux sous le papier glacé des publications de boîtes aux lettres attirant notre attention sur le futur programme idéal près de la prochaine ligne de tramway ? Fait-il la pluie et le beau temps dans nos villes? Produit-il la politique du logement ou s'y glisse t-il aisément ? Toutes questions qu'aborde un essai intéressant de Julie Pollard, avec une approche politiste : "L'Etat, le promoteur, et le Maire". Un livre qui a l'intérêt, en observant les pratiques précises des acteurs, de montrer que le marché et le politique sont plus incestueux qu'opposés.

 

La politique du logement s'est largement redéployée vers une politique fiscale d'incitation à l'achat, même si la situation de la France n'a pas encore rattrapé la norme américaine en la matière. En ce sens elle est devenue plus illisible, et les promoteurs y jouent un rôle particulier.

 

Mais qu'est ce qu'un promoteur ?  En réalité rien ne le définit officiellement ni ne le règlemente. C'est avant tout un intermédiaire, et un coordonnateur. II débusque des terrains, rassemble des financements, crée une montage juridique, se rapproche des architectes et des entreprises du BTP, puis commercialise le résultat. Historiquement, il doit son apparition aux choix de l'Etat, et en dépendt largement, plutôt qu'il n'impose les choix globaux. Mais ces promoteurs sont devenus pièce maîtresse car l'Etat n'a pas de mains, il est désormais incitateur. Surtout, les promoteurs tissent une relation dialectique étroite avec les élus et les fonctionnaires locaux, qui sont des acteurs primordiaux du logement réel. Deux types de relations, donc, qui créent une fracture au sein même de la politique du logement.

 

"Pour les promoteurs, la construction de logements est avant tout un problème ultra-local – au sens qu’il se pose à l’échelle de parcelles à bâtir – de détection d’opportunités foncières et d’obtention d’autorisations pour mener à bien leurs opérations."
 
L'obtention du permis de construire est la pierre angulaire de cette relation locale, ce qui n'apparaît pas dans le droit, le permis étant censé être attribué à partir de critères arrêtés, sans pouvoir discrétionnaire. Mais tel n'est pas le cas, car n'est-ce pas, "tout est politique", c'est à dire contingent. 
 
Les promoteurs ont des profils divers, certains sont liés à des banques, à des groupes du BTP, d'autres sont plus indépendants. Les oscillations du marché conduisent à leur recomposition dans le temps. Ils assurent tout de même un tiers de la production de logement en France. C'est une activité potentiellement très rentable, un vrai bingo au Casino, mais aussi très risquée en cas de retournement de conjoncture. Demandant une forte capacité d'investissement, le secteur s'est concentré et dix pour cent des promoteurs réalisent quatre vingt pour cent du chiffre d'affaires. Leur actionnariat est en recomposition permanente, et ils sont côtés en bourse. Malgré leurs différences, ils sont obnubilés par deux cibles : la politique fiscale liée au logement de l'Etat, et leurs relations avec les pouvoirs locaux.
 
Au cours du XXème siècle, l'Etat a formalisé deux secteurs bien distingués : le logement social, relevant d'acteurs pour la plupart publics, et un secteur privé où la promotion s'est développée. Dans les années 70, l'Etat recentre son attention sur le logement social, met en place la substitution de l'aide à la personne à l'aide à la pierre, et laisse donc le privé acquérir plus d'autonomie.
 
Même si le promoteur n'est pas défini, et que ce métier d'ailleurs peut être exercé par n'importe qui, sans aucune condition, il évolue dans un contexte très règlementé, par le Code de l'Habitation et de la Construction, le Code de l'Urbanisme. On ne peut pas dire que le secteur est en lui-même totalement livré au marché. Par exemple les promoteurs sont soumis à des règlementations thermiques successives exigeantes, 
 
La grande évolution a donc été "la niche fiscale", qui a pris une ampleur de plus en plus accentuée parmi les outils politiques du logement. Les aides fiscales sont désormais... Plus de quatre fois supérieures aux aides à la pierre. Ce bond a été rapide, en une quinzaine d'années au croisement de notre siècle et du précédent. Ce choix d'inciter les français à choisir l'investissement immobilier a profité aux promoteurs, tout en soulignant leur dépendance forte, au sens addiction, à l'égard de ces dispositifs.  Les "Robien" "Besson", "Pinel", "Dufflot", se succèdent, et se chevauchent. Quand un d'entre eux disparaît, il produit des effets bien des années plus tard. La politique du logement devient ainsi un maquis illisible. Le politique a recours à ce levier, car il n'augmente pas les dépenses publiques (mais diminue les recettes possiblement), et les ministères du logement savent qu'un dispositif fiscal n'est pas l'objet d'une enveloppe fermée, c'est un droit de tirage. Mais la politique du logement devient opaque. Ces politiques ne sont pas budgétées, à peine évaluées par des prévisionnels, car elles dépendront de la réactivité du marché. 
 
Les promoteurs essaient évidemment d'influencer les politiques du logement. Leur fédération paraît peu efficace en ce sens. Elle est plutôt tournée vers ses adhérents. Par contre, certains promoteurs agissent, par forcément en s'adressant d'ailleurs au ministère du logement d'après l'ouvrage, mais à Bercy ou à Matignon, ou auprès des rapporteurs du budget logement au parlement.
 
Localement, les promoteurs usent de leur expertise pour produire des analyses et des statistiques qui vont dans le sens de leur intérêt, ce qui est plus aisé avec les petites communes sans ressources techniques denses. Celles-ci peuvent se voir vendre des projets de développement urbain clés en main. Mais dans le rapport de forces, le monde politique local n'est pas du tout dénué d'atouts, loin s'en faut. Les promoteurs essaient de "lire" les attentes des politiques locaux pour trouver leur place, sachant que les locaux aiment à travailler avec ceux qu'ils connaissent bien et avec lesquels des expériences passées ont été réussies. Le ticket d'entrée n'est donc pas facile à obtenir sur un nouveau territoire, même si les élus essaient de concilier préférences et distribution, pour maintenir un salubre esprit de concurrence et consolider leur autorité. Le monde des promoteurs et la sphère publique locale entretiennent de fortes et constantes interactions, et les cadres des entreprises sont appelés à être très présents dans la vie locale, le but étant avant tout d'éviter tout impair qui mènerait à être black listé des opérations immobilières du territoire. Ils ont en tête la nécessité de satisfaire à la fois le client et l'élu. 
 
Les élus ont aussi besoin des promoteurs. Donc on a là un jeu subtil de rapports de forces, d'attentes exprimées implicitement mais pas toujours inscrites noir sur blanc dans la légalité stricte. En fonction de leur vision stratégique, et de leurs ressources (un foncier important par exemple), une Mairie ou une agglomération pourront procéder différemment. Ils disposent en tout cas de nombreux outils pour faciliter ou rendre infernale la vie des promoteurs, et négocier avec eux. Du permis au droit de préemption, et d'expropriation, de la création de ZAC au Plan Local d'Urbanisme, en passant par le Plan Local de l'Habitat. Les élus locaux disposent aussi, plus marginalement, d'outils fiscaux. Un deal classique en ZAC est donner l'accès à un foncier accessible, alléger les contraintes pour les promoteurs, et obtenir en échange des équipements pour les habitants.; Les élus ont diverses attentes envers les promoteurs et se servent de l'épée de Damoclès du permis pour atteindre des objectifs. Cela peut être de se servir d'eux comme bouclier en cas de contestation des riverains à un projet (vous reviendrez nous voir quand le contentieux sera levé), ou obtenir des logements de taille adaptée aux familles, ce que beaucoup de Maires voient comme un outil de continuité électorale.
 
Dans le contexte d'une crise des outils du logement social, les élus, soucieux de la mixité sociale, ou poussé par la loi,  ont imposé aux promoteurs des quotas de logement social à vendre ensuite aux organismes en diffus, au sein de leurs propres opérations. Les promoteurs ont rechigné, mais ont du accepter.  On voit aussi, ce n'est pas dans le livre, mais c'est d'expérience personnelle, les élus demander l'inclusion d'une crèche qui sera ensuite vendue à la Mairie, en bas d'immeuble; Les organismes HLM n'ont pas apprécié ce mouvement de dépossession.
 
Méthodologiquement, les élus ont des approches dissemblables. Le livre prend l'exemple de la Plaine Saint Denis qui affiche la couleur et a édicté une "charte" pour les promoteurs, document qui n'a rien de légal mais rend explicités les fourches caudines par lesquelles il faudra passer. Issy les Moulineaux négocie au cas par cas. Bien entendu, la vie continue, et le conflit doit être autant que se peut évité, on parle donc de partenariat. Mais les promoteurs considèrent qu'ils doivent surtout courber l'échine. Bien évidemment, tout dépend du territoire. Est-ce qu'il est attractif pour un promoteur ou est ce qu'il a besoin de les faire venir ?
 
On assiste ainsi à une "dislocation" de la politique du logement, entre le national et le local.
 
Au niveau national, l'Etat s'est coupé les mains, a affaibli les outils qu'il utilisait autrefois pour intervenir directement, et a délégué le "faire" aux promoteurs, via une politique fiscale aléatoire, dépendant des réactions du marché, s'avérant illisible dans ses moyens et ses effets. 
 
Les élus locaux semblent en position de force, mais ces cadres financiers avec lesquels les promoteurs sont tenus de travailler s'imposent, et les élus ne les décryptent pas aisément dans leurs conséquences. Les élus doivent par exemple essayer de lire la stratégie d'un promoteur en fonction des produits fiscaux à l'œuvre, des anticipations qu'il produit par rapport aux prix à venir sur le territoire. Comment prévoir et maîtriser le devenir de la ville avec autant de critères, d'asymétries d'informations et de logiques ? Les outils fiscaux peuvent créer des effets d'aubaine, qui fausseront la lecture des dynamiques territoriales. De plus, ces aides peuvent contribuer à la hausse des prix, puisque la solvabilité des ménages  peut être intégrée par le marché.
 
La puissance publique est désarticulée, et les logiques de l'Etat ne sont pas forcément les mêmes que celles du local. De plus les promoteurs ont des intérêts communs en face de l'Etat, mais pas au niveau local où ils sont en concurrence.
 
Le politique est donc fortement présent. Mais est-il si puissant ? Il dépend fortement des décisions des promoteurs, de leurs choix d'implantation sur le plan national, de leur ciblage des investisseurs (du F2) ou de propriétaires occupants. Les villes ne sont pas à l'abri des logiques spéculatives, des bifurcations de la politique fiscale nationale, les "niches" pouvant faire l'objet de coups de rabot car susceptibles de déraper, ce qui ne peut se constater qu'après l'exécution budgétaire contrairement à l'aide à la pierre.
 
Le politique et le public sont là, les règles existent, mais le politique s'est rendu dépendant de la promotion. La politique du logement est ainsi un signe de plus de certains aspects du néolibéralisme : un chaos concurrentiel entre les territoires se met en place, la sphère publique n'est pas supprimée mais reconfigurée par des forces extérieures, les puissances financières.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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