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25 juin 2019 2 25 /06 /juin /2019 03:33
Où en est-on avec Jésus ? -  Vie et destin de Jésus de Nazareth - Daniel Marguerat (PARTIE 2)

(Dans la première partie de l'article - publiée sur le blog - nous avons que les découvertes archéologiques, l'effort d'analyse des textes extra canoniques trouvés il y a quelques décennies, avaient contribué à renouveler le regard d'Historien sur Jésus. Nous avons pu constater, avec Daniel Marguerat, que la théorie de la pure construction d'un Jésus fictif n'est pas tenable un instant, la question est donc pour l'historien de s'interroger sur qui était ce Jésus et non sur son existence, évidente. Malheureusement nous ne tomberons sans doute jamais sur la source dite "Q", identifiée par déduction comme un témoignage écrit, racine, influençant les évangiles, ce qui rapprocherait du personnage. Marguerat développe les critères de rigueur permettant aux historiens de se diriger entre le discours de propagande et l'indice d'historicité. Les faits historiques sèment des indices : concordance entre deux sources au moins, critère de gêne (si on ne supprime pas l'information du texte, alors qu'elle complique le prosélytisme, c'est que sans doute il y a un élément historique qu'on ne peut balayer). Il y a aussi l'inédit de Jésus, tout ce qui est inédit peut difficilement avoir été inventé par plusieurs personnes. Et puis il y a la cohérence des récits avec ce que l'on sait de l'époque. L'historien doit donc pratiquer une dialectique entre l'inédit de Jésus et le "commun" de son époque. Une des indications les plus manifestes est que Jésus fut certainement un "mamzer", un bâtard sans père identifiable. Tout contribue à le désigner comme tel, et ses comportements sont en cohérence avec ce statut hautement stigmatisé. C'est un premier né éduqué, un rabi, dont la vie bifurque à la rencontre de Jean le Baptiste. Puis ce dernier engeôlé, Jésus trace sa voie originale. Au dieu vengeur de son mentor il subsistue un Dieu bienveillant, dont il annonce le règne, déjà là, qui se manifeste notamment par les guérisons (Jésus est un guérisseur de type chamanique, qui n'a rien de très différent des médecins de son époque, excepté le sens théologique qu'il donne aux guérisons)

 

C'est ici que nous reprendrons. Comment Jésus peut-il à la fois annoncer la venue du Royaume et montrer qu'il est "déjà là" ? A des pharisiens, il explique que le Royaume ne sera pas observable comme un fait, comme un objet, il est parmi les hommes. Dans le monde juif, le vrai règne de Dieu est à venir, depuis l'exil, même si le Seigneur règne déjà sur le peuple. Jésus reprend cette dualité, mais la transforme. C'est le règne à venir qui s'immisce dans le présent. Pour exprimer cela, Jésus se fait poète, énonciateur de paraboles qu'il ancre dans le monde des gens qu'il côtoie : les cultivateurs et les pécheurs de Tibériade.  

Il est donc évident que Jésus débat, à l'intérieur du judaïsme. Il n'est pas le créateur d'une nouvelle religion, ou du moins ne se voit pas comme tel.  Mais Mahomet non plus, qui évoquera un retour au "vrai" monothéisme, égaré en route. Jésus transgresse et dépasse. Il prône l'amour de Dieu et du prochain comme équivalents, ce qui lui est spécifique. Il refuse la loi du talion, il en appelle à briser ici et maintenant la spirale de la violence, ce qu'il est le premier à exiger aussi radicalement. Il rompt avec l'idée de la pureté liée à des rituels, n'est impur que ce qu'on peut soi-même créer d'impur par son comportement (ainsi touche t-il des lépreux). Il est entouré de gens objectivement qualifiés d'impurs par le discours juif de son temps. Le plus significatif est qu'il partage son repas avec des gens catégorisés impurs, comme des prostituées, ce qui est impensable avant lui. Il est "inclusif" comme on le dit de nos jours.

Il parle de Dieu en disant "Père" (nous avons vu en quoi l'identité de Mamzer était cohérente avec cette vision.

"Jésus, l’enfant mamzer, l’enfant sans père, accroche toute sa sagesse au Dieu-père, dont la présence, la prévenance, l’infinie bonté autorisent un comportement extravagant de pureté partagée."
 
Jésus attire, et c'est pourquoi il est considéré comme un danger. Il est entouré de trois cercles, les douze (référence aux tribus d'Israël), les disciples, et les sympathisants. Ceci est du au fait que tous ne sont pas prêts à le suivre dans sa vie d'itinérance, en rompant avec la famille et en vivant dans une pauvreté absolue. Jésus est exceptionnellement radical dans son genre ("laissez les morts enterrer les morts" pour qu'on le suive est exemplaire à cet égard). Il prône tout de suite la fraternité universelle, par delà les familles (où il dit semer le désordre) et toute idée de domination. Les femmes, malgré les réticences des évangiles, apparaissent nombreuses à le fréquenter, et Marie de Magdala a une place éminente (et son propre évangile gnostique). Même la tradition catholique parlera d'elle comme de "la première apôtre" puisque c'est elle qui voit le Christ ressuscité la première.
 
C'est un rabi qui n'enseigne rien du tout, mais ressemble plutôt aux prophètes. Il est au delà de la politique (rendre à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu). Il voit la politique comme utilitarisme, alors que si l'on trouve Dieu, tout est donné par "surcroît".
 
.Les pharisiens discutent avec Jésus, dans ce monde juif hétérogène. Il n'a rien d'un zélote (ou ce qui s'appellera bientôt zélote), par son refus total de la violence et de la politique. Les juifs associés au Tétraque Hérode (l'équivalent des "collabos") ne peuvent que se méfier de ce disciple de Jean Baptiste qu'ils ont fait exécuter. Mais ce sont les saducéens, les scribes de Jérusalem, qui ne supportent pas ses remises en cause radicale de dogmes et des intermédiaires entre l'individu et Dieu (ce que symbolise sa crise de nerfs au Temple, et qui sera pour les saducéens et autres notables juifs le signe de la subversion à éradiquer).
 
Jésus agit mais ne se définit pas par la parole, ou si peu. Il se présente par ses actions. Ce qui ne l'empêche pas de s'affirmer, par sa phrase introductive, "Moi je vous le dis" (amen), qui marque la rupture avec ce que d'habitude, les juifs entendent (faites vos rituels en somme). Le Sanhédrin n'a pas condamné à mort Jésus, après l'avoir capturé, mais s'est débrouillé pour qualifier ses actes de manière à ce que Pilate, seul à même de condamner à mort, puisse le décider. Pilate, parfois présenté comme un dilettante je m'en foutiste (de manière à surévaluer le rôle du Sanhédrin) est en fait un dur. Le délit était donc politique ("le roi des juifs"), titre que Jésus n'a certainement jamais revendiqué, lui qui ne parlait même pas de Messie, mais de "Fils de l'Homme", formule quelque peu énigmatique mais qui correspond à son caractère inédit et à son rapport unique avec Dieu, tel qu'il se le représente. Les termes de Christ, de Seigneur, sont créés par les chrétiens et non issus de la parole de Jésus.
 
Il y a évidemment la question de la Résurrection, centrale dans le christianisme, les textes la traitent de manière désordonnée, hétérogène, et parfois sans cohérence avec ce que l'on sait des calendriers de Pâques, des rites mortuaires. C'est un grand fouillis. Les apôtres et les disciples ne s'y attendent pas, puisqu'ils fuient, s'éparpillent. Certains d'entre eux obtiennent de donner une sépulture à Jésus. 
 

."De graves questions se posent ainsi sur l’historicité du récit. L’absence de toute mention du tombeau dans les credos anciens cités par Paul intrigue. L’absence d’une vénération ancienne du tombeau de Jésus à Jérusalem est aussi frappante ; la localisation actuelle du Saint-Sépulcre remonte à l’empereur Constantin".

 
La résurrection permet de donner une interprétation à la mort de Jésus, incontestablement. C'est ainsi que certains disent que là commence la religion chrétienne. Les récits parlent de manière divergente de visions, multiples, données à des chrétiens, de Jésus ressuscité, et même d'échange de paroles. Seuls les croyants ont ces visions.
 
Daniel Marguerat note bien entendu qu'on touche là à la limite du travail historique. Pourtant, il dit aussi que c'est plus subtil, puisque les textes différents citent ce mouvement de dispersion, puis de rassemblent des apôtres, qui évoque qu'il s'est passé quelque chose. C'est alors qu'il glisse une citation de Ramuz à propos de la position des croyants, "ce n'est pas une explication mais c'est la seule". Marguerat me semble ici pratiquer une insinuation, en contrevenant pour la seule fois du livre, en 400 pages, à sa rigueur d'historien, mordant les bords. Si l'on considère que différentes voies orales ont décrit ce processus de dispersion puis de rassemblement qui implique un évènement majeur (car il était difficile de regrouper tout le monde), alors on ne peut écarter la simple rumeur, ou la vision traumatique d'un des disciples, ou de plusieurs, faisant boule de neige. On pourrait renvoyer Daniel Marguerat à la relecture de "La rumeur d'Orléans" d'Edgar Morin, où l'on a failli après guerre commettre un pogrome dans cette ville sur la base d'un emballement de rumeurs sur la traite des blanches dans les boutiques, souvent appartenant à des juifs, de la rue commerciale de la ville;
 
Marguerat revient ensuite sur l'extraordinaire "littérature en archipel" qui caractérisera les premiers siècles, et que nous pouvons désormais redécouvrir grâce aux archéologues. L'unicité chrétienne était un mythe de vainqueurs. 
 
"Entre le Jésus juif qui argumente sur la Torah et le pilote du vaisseau céleste des âmes, entre l’Enfant génie et le Visiteur des enfers, entre l’interlocuteur de Pilate et le Jésus gnostique dont on occulte la mort, quelle cohérence ? Tous ces courants se sont inspirés de l’« événement Jésus » pour en exploiter une dimension qui satisfasse leurs besoins et leur culture."
 
Il développe aussi les lectures juives et islamiques de Jésus. Pour le judaïsme Jésus a pu être un "rabi qui a mal tourné", puis face à l'Inquisition, les références juives à Jésus ont été expurgées, même si une dimension critique a subsisté, souterrainement, sur ce magicien séducteur. Au XXème siècle le monde juif revisitera la figure de Jésus comme fils d'Israel. 
 
Quant à l'Islam on sait qu'il donne une grande importance à jésus, dans la lignée des prophètes et d'Adam, mais qu'il conteste l'idée qu'il puisse être le fils de Dieu. Il n'est pas mort sur la croix, car c'était une ruse (on voit que Mahomet a pu être influencé par les gnostiques). Il n'est pas divin, il est envoyé par "le souffle" de Dieu, et il est le fils de Marie. Il est un prophète majeur, qui annonce Mahomet et reviendra au moment du Jugement dernier (ce qui n'est pas le cas de Mahomet). Les juifs ont commis une faute en le repoussant. Quant à la tradition gnostique, elle s'exprime fortement dans le soufisme, qui voit le divin dans l'intériorité, le germe divin des gnostiques, qui subsiste en chacun.
 
 
Jésus est le bien commun des trois monothéismes, et à cet égard il peut être le vecteur de leur cohabitation ou de leur convergence, à l'avenir. Mais il reste insaisissable, largement, à l'Historien, de par la diversité des sources et leur nature, mais aussi par son caractère inédit, inassimilable à une catégorie.
 
Pour moi Jésus est un visionnaire, un juif frotté au platonisme, qui voit loin et comprend que le bien est immanent, qu'il dépend simplement des humains, unilatéralement. Mais il ne peut parler que la langue de son époque, celle d'un monde encore monopolisé par les forces surnaturelles. Il ne peut parler la langue d'un monde sécularisé et d'ailleurs il ne peut penser en ces termes, donc il poétise.
 
Il nous dit simplement que le royaume est déjà là, qu'il suffit de le décider. D'être non violent et de se laisser à l'amour, de mépriser l'argent. Que le formalisme rituel n'a rien à voir avec cela.
 
Mais Jésus voit qu'il n'est pas compris. Qu'on ne peut pas l'entendre et que l'on ne le comprendra pas (et c'est vrai, l'Eglise ne l'entendra pas du tout ainsi). A mon sens, il plonge en dépression, d'où sa crise au Temple, et puis son acceptation du funeste sort qui lui est réservé, qu'il ne fait rien pour prévenir, tout au contraire. D'où ses réponses évasives typiques, comme "c'est toi qui l'a dit" (à Pilate). D'où son expression lamentée d'abandon. Destin touchant.
Paradoxalement cet errant incompris deviendra le Seigneur d'un monde, après sa mort.
 
 
 

 

.

 

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commentaires

B
Merci, c'est absolument passionant !
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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