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25 juin 2019 2 25 /06 /juin /2019 03:31
Où en est-on avec Jésus ? -  Vie et destin de Jésus de Nazareth - Daniel Marguerat (PARTIE 1)

Régulièrement, depuis ma lecture il y a vingt ans de "la vie de Jésus" d'Ernest Renan, je fais un bilan d'étape sur Jésus, d'un point de vue historique. Je suis athée, je précise. Athée respectueux et curieux de l'intérêt des miens, des humains, pour le sacré depuis la nuit des temps. D'ailleurs le sacré est à mon sens accessible aux athées.

Pour moi, Jésus est une sorte de Bob Marley de son temps, dépressif (mais pas psychotique comme certains l'ont prétendu, pour des raisons politiques), et génial. Un juif platonicien qui crée sa propre synthèse avec un succès incroyable, du à son propre échec, paradoxe des paradoxes. Sans la croix, Jésus aurait peut-être été oublié, ou serait perdu dans la liste des prophètes. J'y reviendrai sans doute.

Daniel Marguerat est un Historien avant tout. Ceux qui ont vu les documentaires sublimes (et exigeants certes, mais c'est comme tout, il faut se le chercher), de Mordillat et Prieur sur les origines du christianisme sur Jésus et l'Islam et sur l'Apocalypse, le connaissent.

Il ne cache rien. Il est croyant, et théologien (protestant). Mais cela n'enlève rien au fait qu'il affiche et applique très nettement les principes que la communauté des historiens a adoptés pour délimiter ce qui relève de la propagande et de l'Histoire dans le domaine de l'Histoire religieuse. Ces critères me paraissent très convaincants, j''y reviendrai aussi. Cela ne m'empêche pas d'être vigilant, à chaque ligne, au cas où je décèlerai que le croyant déborde un peu. En plus de 400 pages, je n'ai fait la moue qu'une seule fois, et une petite moue. A propos de la résurrection.

N'est-ce pas risqué de considérer Jésus en Historien quand on est croyant comme l'auteur ? Oui. Marguerat le dit. Il y a des choses gênantes (et ces choses gênantes justement sont souvent la marque d'une historicité, sinon on les aurait dégagées des textes, parce qu'elles gênaient la mission évangélique). Par exemple il est compliqué pour un chrétien de se dire que Jésus a eu un mentor, en Jean Baptiste. Pour le fils de Dieu, devenu presque Dieu depuis les conciles de l'Antiquité, c'est compliqué à considérer. Mais Marguerat, lui, n'en est pas gêné, il trouve qu'un Jésus plein d'humanité est encore plus intéressant. La foi, c'est la foi. Ca ne se perd pas aussi aisément. C'est d'abord l'enfance, la famille, les émotions, je suppose. Il en est de même avec la foi politique, que la vie vous arrache parfois en vous mutilant.

Depuis Renan de l'eau a coulé sur le Jourdain, il n'est donc pas inutile de regarder de temps en temps, où l'on en est.  Comme l'a fait, pour Luc l'évangéliste, Emmanuel Carrère, nous livrant un livre sublime, "Le Royaume".

Qu'est-ce qui a évolué ? Ces dernières décennies, c'est l'archéologie, mais aussi un effort de lecture et d'exégèse des évangiles non canoniques (le "canon" c'est les quatre évangélistes Marc, Matthieu, Luc, Jean, ainsi que les actes des apôtres rédigé -de l'avis de tous- par Luc, les épîtres de Paul, et l'Apocalypse de Jean - qui n'est pas le même Jean que l'évangéliste). En outre, de nouvelles théories fleurissent, parfois ce sont des reprises d'anciennes tentatives. Et puis le dialogue entre religions évolue. Ainsi il est important de constater que la "détente" entre monde juif et chrétien ne date que de l'après Shoah. C'est hier à l'échelle de deux millénaires. Et depuis lors, le monde juif, commence à reconsidérer Jésus comme un de ses fils. Ce qui permet de reconsidérer encore ces questions.

 

D'abord, cessons de dire des bêtises. Jésus a existé. La question est "quel Jésus" ? Quel Jésus sur lequel on peut se mettre d'accord hisroriquement, plus ou moins, et quel Jésus au regard de la spiritualité. Des croyants, des non croyants peuvent tout à fait considérer de la même manière un Jésus historique, et deux personnes partageant la même foi peuvent être en désaccord sur l'interprétation historique.

Michel Onfray a récemment, pour créer du scandale et vendre du papier, réhabilité la thèse du début du 20ème siècle selon laquelle ce Jésus serait une fable en lui-même. Je ne savais pas que les bolchéviks avaient aussi donné la-dedans, ce qui me déçoit de leur part. Onfray ne me déçoit pas, je pense depuis longtemps que c'est une baderne narcissique. Il faut vraiment être de mauvaise foi, pardon pour le jeu de mots, pour nier l'existence de Jésus. Car en réalité, c'est un des personnages les plus documentés de son époque, même si nous n'avons rien de sa main (nous n'avons rien de la main de Socrate non plus et de beaucoup d'autres). Des tas de textes, certes chrétiens, évoquent Jésus. Ils sont écrits par des gens qui ne se connaissent pas, qui ne se sont pas lus, et vivent éloignés. De plus ces gens sont parfois en affrontement féroce, et pourtant dessinent des portaits qui diffèrent mais convergent aussi beaucoup. Il est évident qu'il y a eu un Jésus, et que suite à sa disparition,  la nouvelle est partie dans plusieurs sens, portée par des gens dont l'existence est attestée. En outre, les textes chrétiens apparaissent très tôt après la mort de Jésus, ce qui montre que des communautés se sont développées et ont parlé et écrit, très vite, ont correspondu. Toute cette richesse de liens et d'interprétation ne peut surgir du néant. Pourquoi s"intéresser en plus à un mort artificiel, ce qui est un désavantage au départ ? Les faussaires ne se faciliteraient pas l'affaire.  Le plus vieux document dont on dispose est un bout de l'évangile de Jean, daté de 125, alors que l'évangile a été écrit trente ans avant d'après les indices (les références utilisées, comme la destruction du Temple de Jérusalem, permettent de situer les textes). Jésus est mort vers 30, donc dans les décennies qui suivent quatre évangiles sont écrits, et la littérature paulinienne, constituée de lettres à des communautés, écrite à peine trente ans après la crucifixion. Les lettres de Paul montrent qu'il écrivait à des gens qui connaissaient la vie de Jésus, par voie orale au moins ou avaient connu Jésus. Des gens éloignés les uns des autres.

 Il y a aussi des sources romaines, certes rares, mais la palestine était un bled sans importance pour Rome. Tacite parle d'un "Christ" au premier siècle, Suétone aussi. Pline le jeune encore. Et puis il y a Flavius Josèphe, cet historien de la guerre des juifs, qui est passé des juifs aux romains. Mais aussi des syriens. Aucun ne dit que ce Jésus n'existait pas. Dans le Talmud, plus tardivement, Jésus est évoqué, et dans le Coran, il a un rôle important.

Depuis un peu plus d'un siècle, les historiens subodorent qu'avant les évangiles il y a eu un premier texte, baptisé"Q", et malheureusement on ne l'a pas retrouvé. Q est la pièce manquante, car Matthieu et Luc ont des passages communs, précis, que les autres n'ont pas. Ils auraient donc puisé dans un texte, qui serait donc daté d'une dizaine d'années après Pâques. Marc est sans doute le premier évangéliste parmi les canoniques  Puis Matthieu, ensuite Luc qui connaît le texte de Matthieu mais a ses propres sources, ensuite Jean qui lui diverge. On a même dit (ça je le sais d'une autre lecture) que Jean serait le fameux Simon le magicien, gnostique de premier plan.

Et puis il y a les évangiles non canoniques. Dont beaucoup ont été retrouvés après la seconde guerre mondiale en Egypte (gardés par les coptes). Les évangiles des premières communautés minoritaires par leurs options théologiques. Il y a deux courants, la gnose (mélange de platonisme et de christianisme), et les judéo chrétiens, qui tiennent à rester dans le sein d'Israel, et présentent Jésus en conséquence. ils sont très interessants parce que très différents des canoniques. A chaque évangile, se relie une personnalité propre de Jésus, porteuse de son "vrai" message. Ainsi Marie de Magdala, Thomas, ou même Judas.

L'archéologie de plus, tend à confirmer la véracité des contextes décrits par les textes. Que ce soient des inscriptions, des bassins d'ablution, ou ce que l'on sait de la crucifixion à cette époque. Les écrits s'appuyaient sur des récits de gens ayant vécu la période.

Comment séparer ce qui doit être pris au sérieux par l'Historien comme possiblement historique, et la propagande ou l'enjolivement ? L'Historien se donne les repères suivants pour repérer l'historicité :

- Deux sources différentes au moins évoquent le point en question.

-C'est gênant pour les chrétiens (et donc si c'était faux, on ne l'écrirait pas)

-L'inédit de Jésus. Ce qui peut difficilement s'inventer parce qu'on le le trouve nulle part ailleurs.

-La cohérence avec le contexte historique plus large.

 

Si on reprend ces critères, un point saillant est d'une immense importance. La naissance de Jésus pose problème et ceci n'est nullement caché.  Tout converge pour que Jésus apparaisse aux historiens comme un Mamzer juif, à savoir un bâtard, dont on ne connaît pas le père. Les psychanalystes sautent alors de joie.... Se donner Dieu comme père, c'est tout de même ce qu'il y a de plus salvateur. D'autant plus que le Mamzer est très stigmatisé en ce temps là, interdit d'héritage, de mariage avec une non Mamzer. Jésus était entouré de femmes, mais pas marié, alors qu'un rabi doit l'être et avoir une famille nombreuse. Il est mal vu chez lui, à Nazareth (pas prophète en son pays). On ne parle pas de Mamzer dans les textes, mais on ne peut pas contourner le malaise créé par la situation, et même les allusions de certains. Et de plus deux évangiles disent que Joseph et Marie se sont connus tardivement, Jésus n'est pas le fils de Joseph. Alors de qui ? De Dieu. Mais comment recevoir ce message ? On peut aussi le recevoir en se disant "puisqu'il n'a pas de père, son père c'est le Dieu qu'il s'est forgé en lui-même"

Beaucoup de choses s'éclairent, si on considère que Jésus portait ce stigmate. Il nie la famille, ses frères et soeurs, pour lui, ce sont les gens qui l'accompagnent. Son ouverture inédite aux marginaux vient certainement de sa propre marginalité dans sa communauté. Il méprise hautement l'obsession des prêtres juifs pour la pureté. 

Il est donc impossible de savoir où il naît, et quand, exactement. Il naît sous le règne d'Hérode le Grand. Il a des frères et soeurs. Il parle araméen, mais aussi grec, et lit l'hébraÏque. Premier né, il a été très certainement bien éduqué, et il est capable de parler en connaisseur des textes. C'est un homme des campagnes, des villages. Il ne s'approche pas des villes, sauf de Jérusalem.

Le tournant semble la rencontre avec Jean Baptiste, qui annonce la fin du monde et baptise ceux qui renoncent au péché. C'est gênant que Jésus vienne se faire baptiser, mais pourtant c'est central dans les évangiles. Jean est sacrément "disruptif" avec son baptême.  Jésus est baptisé, il a une vision, et sa vie change. Il commence par accompagner Baptiste. Quand Jean est arrêté par Hérode, Jésus continue, mais bifurque. Il annonce le Royaume, parle de l'inutilité des rituels, ce qui compte étant l'amour, et son Dieu n'est pas le Dieu vengeur du colérique mentor. Mais un Dieu de miséricorde. il annonce la bonne nouvelle de l'imminence du règne de Dieu, en allant de village en village.  

C'est surtout un guérisseur. Tous les textes le disent. Il n'est pas seul dans ce cas. Sa manière de guérir est connue dans d'autres traditions. On pense au chamanisme, aux exorcistes, aux hypnotiseurs. En cela il n'y a rien de bien étonnant finalement, dans une perspective cuturaliste. Si on croit, tout peut arriver. Et d'ailleur Jésus le dit lui-même ! Encore aujourd'hui le traitement psychiatrique prend la forme de l'exorcisme, culturellement, dans nombre de cultures (à commencer par le bocage français normand décrit par Jeanne Favret Saada il y a quelques années dans ses livres passionnants). Mais on peut penser aux transes vaudous.  J'ai même pensé à Franz Fanon, quand l'Historien parle de la palestine de l'époque comme colonisée par les romains, ce qui est traduit par des métaphores d'occupation du corps, qu'il s'agit de libérer symboliquement. Un malade soigné par Jésus se dit occupé par un Esprit mauvais appelé... "Légion" !

 

Mais là encore Jésus franchit un pas. Il guérit mais sa guérison est le règne de Dieu qui s'étend. Il montre que le règne de Dieu est en train d'apparaître. 

"Le « Règne déjà-là » survient entre les mains du Jésus guérisseur. À ce titre, Jésus n’est pas un théologien spéculatif comme pouvaient l’être les apocalypticiens avec leurs fantasmagories futuristes ; il est un théologien pragmatique. Il découvre Dieu à l’œuvre plutôt qu’il n’en spécule la possible venue."

 

(Suite à l'article suivant...)

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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