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9 juillet 2019 2 09 /07 /juillet /2019 20:12
Un roman sur rien c'est un roman sur tout - La tentation de Saint Antoine - Gustave Flaubert

"La tentation de Saint Antoine" est une oeuvre de jeunesse de Flaubert, qui ne laisse pas d'étonner. Elle narre un épisode souvent évoqué par l'art,  Bosch par exemple, les hallucinations d'Antoine, érmite chrétien en Egypte, qui vécut au moment où Constantin transforme le christianisme en religion officielle de l'Empire romain. Epoque marquée par un triomphe, donc, de cette religion, mais aussi par sa crise de croissance, puisqu'elle connaît une division très forte et durable, qui se cristallise autour de la question de la nature du Christ. Division, qui en ce temps-là, se solde souvent par du sang.  Antoine est saisi par Flaubert comme un homme rattrapé, alors qu'il soumet son corps aux privations, par les doutes, sans doute si refoulés, comme ses désirs, qu'ils s'expriment sous formes d'hallucinations. Car l'efferverscence spitiruelle est encore là et les autres écoles ont leurs vertus et leur capacité d'attraction. Les chrétiens prennent à peine le dessus sur leurs concurrents, et le christianisme n'est pas consolidé.

 

Antoine a eu beau fuir la chair, il n'en est pas moins tourmenté, son esprit voit défiler devant lui toutes les spiritualités de l'Antiquité, qui se proposent de l'emmener. Je m'intéresse à elles, pourtant il y en a une bonne poignée dont je n'avais jamais entendu parler. Je connaissais des premières scissions chrétiennes les montanistes, les simonites, mais pas les nuances innombrables que Flaubert a su retrouver. Le travail du jeune Flaubert a été colossal. Ce qui lui plaît, bien sûr, à Gustave, c'est de se confronter à la totalité avec un aplomb collossal, c'est toujours l'obsession de cet artiste incroyable.  L'oeuvre générale de Flaubert, c'est tout de même cela, "divers aspects de la totalité" pourrait-elle se sous-titrer.

 

Donc, avec Antoine, comme pétrifié, balloté, passif, jouet de chiffon de l'écrivain -Antoine est de même un peu le lecteur et un peu Flaubert dans sa bibilothèque -nous assistons à un déploiement absolument incroyable de divinités, de tous horizons, de l'Olympe ou d'Egypte, de Perse et des hérésies chrétiennes des premiers siècles. les cultes païens les plus divers, et même Buddha. Le diable n'y manque pas, ni les tentations de la chair, de la Reine de Saba aux jeunes vierges. En fait tous les chemins qui s'ouvrent, en dehors de sa vocation pour l'Eglise catholique, la seule et unique.

 

Flaubert n'a aucun mal a les évoquer toutes, ces solutions spirituelles pour trouver l'apaisement, la Vérité et l'harmonie, avec la même exigence, car la religion de Flaubert, au bout du compte, c'est la langue. Ce défilé impressionnant, destiné à subjuguer Antoine, c'est le moyen, le bon prétexte, pour explorer la langue, d'abord. Et pour se mesurer à deux inspirations qui semblent évidentes : celle de Dante et sa Divine Comédie, qui repose sur la même notion de passage en revue générale, et mêle, tout comme Flaubert le récit et le dialogue très présent, ce qui est parfois très proche du théâtre. Mais encore Goethe, tout aussi théâtral d'ailleurs, pour sa frénésie et sa densité, et la rencontre avec le diable, qui semble une allusion directe à Faust. 

 

Flaubert n'était pas précisément un homme modeste, on s'en aperçoit quand on lit sa correspondance. Mais il se donne le moyen de ses ambitions, c'est le moins que l'on puisse dire. Il est presque surnaturel d'avoir accumulé autant de connaissance sur les religions, et sur leur esthétique, utilisée dans les moindres détails. Au passage on s'interrogera sur cette séquence particulière de l'humanité, qui vit un foisonnement spirituel débridé, dans lequel nichait la plus grande poésie. Tout cela a été dilapidé par les mononotéhIsmes et leur tendance à lutter contre tout ce qui pourrait les fragmenter  Si la religion c'est l'accès à l'infini, alors Flaubert a fait le pari d'arriver au même résultat par la littérature. Les "sujets" n'ont jamais vraiment intéressé Flaubert, qui avait ce fantasme d'un "roman sur rien", ce qui est la même chose qu'un roman sur tout.

 

L'hallucination grandiose de St Antoine, digne d'un film de science fiction actuel (j'ai pensé un peu à Matrix ou à Docteur Strange, à Inception), c'est celle de Flaubert. En fait, Flaubert hallucine la langue, tout en la contrôlant parfaitement. Un déchaînement contrôlé. Une écriture créatrice d'énergie, de mouvement, une cavalcade insensée mais harmonieuse.  

 

C'est une fuite du corps, aussi bien chez St Antoine, le chrétien conduit à mépriser le corps, que chez Flaubert, qui ne pensait qu'à écrire. L'hallucination, d'ailleurs, ne freine, et Antoine n'est tiré de la spirale qui l'entraîne à de nombreuses reprises vers la "perdition", que parce que son corps, de temps en temps, se rappelle à lui. Le contact de la pierre, par exemple, le rappelle à lui, à son ancrage, et l'empeche de sombrer d'éfinitivement dans le délire.  Antoine, c'est le schizophrène parfait décrit par Deleuze et Guattari dans "L'anti oedipe", qui "délire le monde". Flaubert se permet de loger sa propre folie, dans l'écriture, et ainsi, sans doute, d'éviter qu'elle ne le domine.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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