Avons-nous besoin d'une telle inflation de lois ? Un déluge de lois. Aujourd'hui un gouvernement ne s'imagine pas sans une activité parlementaire frénétique, des lois, des lois, et encore des lois, agglutinées dans des codes, avec la volonté inexpugnable de tout prévoir par la loi, de tout couvrir, de se réavancer, aussi, vers ce qui avait été sorti de la loi par mai 68, comme l'usage de corps. La réforme, la réforme, la réforme… Un mouvement continu qui semble naturel. Plus on réforme plus on serait bon gouvernant. Et par réforme on entend non pas transformation mais législation.
Vivons-nous mieux ? Sommes-nous émancipés par cette montagne de lois impossible à connaître mais que nul ne doit méconnaître ? La loi a été écrite. Et nous devons nous y conformer. La loi borne donc l'horizon de ce qui est envisageable. La loi prévoit, elle retient. Elle a donc peur du réel qui peut advenir.
Ainsi le progrès humain a souvent requis d'en passer par un affrontement avec la loi, au nom d'autres références.
On répondra que la où il y a faible et fort la loi protège (une hypocrise de Lacordère, dit "chrétien social" je crois). Ceci; c'est comme l'immaculée conception. On ne le croise guère.
Laurent de Sutter, philosophe français, qui par son ton, et son esprit, m'ont rappelé Giorgio Agamben, et qui s'inscrit sans nul doute dans la même perspective critique, radicale, revisite, dans un travail dont on a du mal à se représenter le poids de préparation, les grandes traditions de pensée et de civilisation, pour montrer en quoi le droit et la loi ne se superposent pas. Dans "Après la loi", titre qui indique qu'il y a un au delà de la loi à penser, dans le droit, mais aussi une vie possible sans la contrainte pesante de la loi, nous apprenons qu' il y a eu un droit humain florissant qui ne supposait pas la prééminence de la loi. Ce droit est pour Laurent de Sutter possiblement émancipateur. Car il est créatif, de nouvelles relations sociales.
La fonction de la loi est éminemment conservatrice.
La Loi comporte inéluctablement la sanction, sinon elle est inopérante. Or, cela signifie que la loi ne se concrétise que dans la sanction, qui est le signe de son échec. Son échec à faire société.
Athènes, où le putsch de la loi
Laurent de Sutter s'en prend à ce que d'habitude on ne touche pas… Sauf Nietzsche… Le moment athénien. C'est là où s'effectue le glissement du droit à la loi, et les romains, d'abord rechignant, reprendront cette logique. Mais partout ailleurs, soit en dehors de l'occident, d'après le philosophe d'autres manières de considérer le droit sont mobilisables. Des "trésors de la juridicité" malheureusement enfouis.
5 siècles avant JC, Clisthène met fin au gouvernement aristocratique athénien, et se crée un nouvel équilibre, l'isonomia. Chacun a sa part dans le gouvernement. En même temps le mot "nomos", surgit. La loi. Auparavant cette notion n'existait pas. On décidait, on "posait" des décisions, c'est "Thesmos". La grande révolution philosophique athénienne, dont on sait le lien (Vernant l'a bien montré) avec la démocratie, reprend cette idée de lois. Si on lit les philosophes, ils sont sans cesse en train de traquer des lois, qui justifieraient d'ailleurs les lois au sens juridique. Jusqu'à Kant, avec sa "loi morale en moi". Les philosophes ne cesseront de débusquer l'ordre dans la nature. Ordre que la loi devait refléter.
Il s'agit d'une rupture majeure, car auparavant, on arbitrait des litiges. Avec la loi s'affirme le règne de ce qui la produit, la Cité. Les sophistes, dont la pensée tragique considérait que la loi était incapable de saisir la fluidité du monde, tentèrent de s'opposer à cette évolution, mais perdirent.
C'est donc une rupture. Là où naît la civilisation, en Mésopotamie, on évoquait "les sentences" plutôt que la loi. Le savoir était considéré comme prophétique. Juger c'était donc savoir. Voir ce qui pourrait se produire. Le contraire de la logique de la loi, qui clôture. Babylone était dotée de scribes et de devins, pas de législateurs et de philosophes.
Cicéron : il n'y a pas de droit hors la loi
Rome, résiste, un long moment, à la logique légale. Le droit y a été longtemps simplement droit civil. Un droit des citoyens. L'idée de jurisprudence implique que "Le droit n’est pas une affaire de normes, il est une affaire d’opérations ; il n’est pas une affaire de législation, il est une affaire de savoir – un savoir technique". C"est Cicéron, encore une fois, qui joue un rôle déterminant dans l'affaire. Il insiste sur l'ordre nécessaire pour gouverner la cité, et ainsi s'en prend à la casuistique. Bref à la pensée des cas. Cicéron se réfère à cet ordre cosmique que les stoïciens mettent en avant mais il s'appuie aussi sur Platon, sur la filiation athénienne de Rome. La philosophie était supérieure, donc. Mais… Laurent de Sutter nous rappelle que Cicéron n'était pas seulement un grand esprit mais le représentant d'intérêts de classe. Ce qui se joue c'est le rapport de forces entre le Sénat aristocratique, et le peuple, qui a pu prendre des places dans la magistrature. Il convient ainsi pour Cicéron de justifier la supériorité de la loi, et de la pensée, sur la jurisprudence. Ainsi à Rome "le droit quittât le domaine de la connaissance expérimentale pour entrer dans celui de la police politique "
On a tendance à penser l'Islam comme la pensée par excellence de la force de la Loi. Pourtant l'analyse qu'en propose le philosophie est plus complexe.
La pensée confucéenne influença le japon.
En Inde, "dharma", c'est soutenir. Perpétuer. Sur la base d'un savoir ici encore.
Maat
En Egypte ancienne, le Roi défend la vie (maat) et repousse le chaos encore (Ifset).
Dans la tradition juive, c'est bien connu, la loi dit toujours plus qu'elle ne dit. L'Homme ne peut qu'explorer la totalité, il ne peut pas la contenir. L'interprétation est donc sans fin.