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12 novembre 2019 2 12 /11 /novembre /2019 03:31
Pour une politique sophiste - Quand dire c'est vraiment faire (Homère, Gorgias, et la nation arc en ciel), Barbara Cassin
" il est politique de prendre soin du langage."
 

 

Barbara Cassin, est une païenne, "barbare" donc, choisissant une statue de femme hittite comme pommeau de son épée laser non léthale d'académicienne…. Elle s'emploie notamment à réhabiliter la Grèce perdue qui n'a pas fomenté le christianisme, celle d'avant Platon (qu'on connait cependant par lui), soit… Les sophistes. Et c'est ce que dit d'abord et avant tout ce titre d'essai : "Quand dire c'est vraiment faire (Homère. Gorgias, et la nation arc-en ciel)"  

 

En effet, la philosophe va aller loger dans la stratégie politique de sortie de l'apartheid les grandes vertus politiques de la sophistique ! En les sortant de la prison où la tradition platonicienne, qui parle à leur place, les a condamnées. Platon a réussi à accrocher le péjoratif au mot même de sophiste. Parce qu'ils sont relativistes, qu'ils ne croient pas à des essences, comme Platon, ils seraient de vils tricheurs, des fripouilles. Que nenni si l'on suit Barbara Cassin. Et l'exemple de leur postérité, dans l'exploit que commet Nelson Mandela en sortant l'Afrique du Sud de l'Apartheid sans massacre de masse, le prouve très directement, en mettant en exergue la force politique d'une parole spécifiquement politique et non infatuée par le culte de "la "Vérité.

 

C'est un essai dédié au langage performatif.  Parler, c'est parler de , parler à, mais pour les sophistes il y a cette troisième possibilité du langage : agir. "Faire des choses avec des mots". Yes we can, et je t'aime, c'est parler pour agir. Les sophistes croyaient à la toute puissance du langage. 

 

« Le discours est un grand souverain qui avec le plus petit et le plus inapparent des corps performe les actes les plus divins." (Gorgias). Il a le pouvoir  " de mettre fin à la peur, d’écarter la peine, de produire la joie, d’accroître la pitié." Gorgias demande à Socrate de l'appeler "orateur".
 

Barbara Cassin se réfère à Austin, et distingue deux performatifs; l'un qui en disant, le plus fort, l'autre qui agir par le fait de dire. Le premier elle en prend exemple chez Homère, quand Ulysse dit à Nausicaa : "je te prends les genoux"  et non pas simplement "je me mets à genoux devant toi". Homère, c'est déjà la sophistique, c'est la poésie,  Platon s'y oppose. Les sophistes, par la puissance du langage, "déféchitisent" la vérité et la fausseté. Ils "font primer la félicité sur la vérité". Ils sont relativistes. C'est le bonheur qui doit gagner. 

 

"Au lieu du « vrai », le sage, c’est-à-dire le « plus sage », propose donc du plus utile, du plus utilisable".
 
"La vérité est un cas particulier de la félicité, c’est en ce sens que la différence vrai/faux est un fétiche mis à mal "...
 
On est loin de notre morale chrétienne, c'est certain. De toute manière, pour les sophistes, l'Etre est toujours un effet de Dire. Et la politique ? C'est un effet du langage. Tout est langage. Ailleurs Cassin dit que Lacan est un sophiste.
 
Performer c'est réaliser une performance, et c'est faire passer du commun dans la communauté. Avec la sortie de l'apartheid, nous avons un magnifique exploit de performance politique et de performativité. Avec la Commission vérité et réconciliation dont le rôle est que Soit dites les choses. Desmond Tutu, le Président se réfère directement au sophisme : 
"
C’est un lieu commun de traiter le langage simplement comme mots et non comme actes. […] La Commission souhaite adopter ici un autre point de vue. Le langage, discours et rhétorique, fait des choses".
 
C'est bien la parole qui va "performer" le peuple arc en ciel, de manière inouie.
 
La politique, en Afrique du Sud, par la parole a voulu pour reprendre un décret grec de paix entre les démocrates et les tyrans alliés à Sparte, "ôter à la haine son éternité, et ce même décret proscrivait à ce qu'on ne "rappelle pas les malheurs".
Ce fut le moyen de passer de la guerre civile à la concorde. Par une opération de parole.
 

Pour éviter la terreur, Mandela et les siens ont inventé cette commission qui entend la parole, et propose l'amnistie. Sur la base de l'exhaustivité de la parole.

"Ceux qui ne sont pas encore vaincus demandent l’amnistie. Ceux qui ne sont pas encore vainqueurs ne peuvent pas ne pas l’accorder. C’est là le deal". Le moment était donc favorable, encore une notion grecque, celle du Kairos. L'ANC a donc décidé une troisième voie entre celle de la justice d'après victoire, sanglante, et celle de l'amnistie générale, à la libanaise, qui a pourri la vie du Liban depuis… Comme un refoulement.

"trois conditions apparaissent comme nécessaires, même si elles ne sont jamais suffisantes, pour passer de la guerre à la réconciliation, donc pour traiter la haine : une politique de la mémoire, une politique de la justice, une politique de la parole." Notons que c'est le choix qui a inspiré la Colombie de l'après FARC mais qui s'effondre. Tout le monde n'est pas Mandela….
 
C'est une justice instauratrice, transitionnelle, transformatrice, sous l'effet de la parole. C'est une justice du particulier, et le sophiste c'est toujours le particulier. Or, la commission amnistie des cas particuliers, toujours. C'est l'acte qui est amnistié, et pas l'être. La condition est que tout soit révélé.
 
Un autre aspect essentiel, et qui devrait nous faire réfléchir, est la distinction heureuse entre éthique et politique, qu'on mélange sans cesse. La justice, ici, n'est pas éthique. On ne pardonne pas, on amnistie. Si le pardon avait été exigé, alors le processus aurait échoué. Mais par contre, les déposants sont réintroduits dans le politique, à travers la parole, ils sont à nouveau considérés comme "animaux politiques". La parole est Pharmakon, ce poison remède antique. Il s'agit bien de soigner les plaies de l'Afrique du Sud. Il s'agit de recomposer une Histoire et Arendt est appelée à la barre, elle qui pensa souvent à comment surmonter le pire vécu :
 
« Tous les chagrins peuvent être supportés si on les transforme en histoire, si on raconte une histoire sur eux"
La psychanalyse n'est jamais bien loin.
 
Mais on n'a pas fétichisé non plus la Vérité. Il s'agissait de trouver le degré suffisant de vérité qui convenait. La bonne dose de vérité nécessaire pour reconstruire. On n'est donc pas chez Platon pour lequel la quête de la Vérité en elle-même est le Bien. Non, le Bien est le Bien. Et il y a une autonomie du politique.
 
Toujours Arendt qui dit  que "considérer la politique dans la perspective de la vérité veut dire prendre pied hors du domaine du politique".
 
La politique consiste à se débrouiller avec la pluralité humaine, dans la Cité, spécificité humaine. Si elle exige la vérité, elle piétine cette pluralité. Elle est violente, totalitaire. La politique n'est pas avoir raison de la vérité. Mais chercher ce qu'il y a de meilleur possible pour vivre entre nous.
 
Pour le sophiste c'est le meilleur qui prime sur le vrai. Et qui juge de ce qui est meilleur ? L'humain, mesure de toutes choses.
 
 
Les mots sont donc efficaces. Mais ils ne refont pas le monde. C'est une illusion. Ils nous permettent, au moins, ensemble, d'adhérer au monde tel que nous disons ensemble qu'il peut être.
 
 
 
 
 
 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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