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9 décembre 2019 1 09 /12 /décembre /2019 19:46
Sexe, loufoque et macabre à Dublin - Les oeuvres complètes de Sally Mara - Raymond Queneau

"Les œuvres complètes de Sally Mara" est un canular littéraire de Raymond Queneau, qui publia de manière séparée le prétendu journal d'une jeune irlandaise de dix huit ans, et le premier roman de cette jeune fille imaginaire. Les deux textes sont désormais réunis et on sait bien sûr que c'est Queneau qui les a écrits. 

C'est drôle, comme toujours avec Queneau, et il est nécessaire en effet de les lire ensemble, car on apprécie véritablement l'humour du roman au regard des péripéties journalières de Sally. 

Le journal est une moquerie effrontée contre la pudibonderie catholique et plus largement anglo saxonne, cette Sally Mara, totalement ignorante des choses du corps, candide au possible, bien qu'entourée de vicieux ordinaires, attestant principalement de la sève qui la travaille et de sa forte préoccupation pour le domaine sexuel, croissante, comme son audace en la matière.  Dans sa société hypocrite, c'est ce dont on parle le moins qui trotte manifestement le plus dans la tête de toutes et de tous, jusqu'à rendre la mère de Sally totalement dingue, ou sage, on ne sait pas trop, à force de pratiquer le déni. 

Cette entreprise insolente de Queneau paraît un peu désuète aujourd'hui, tout de même, on est bien loin en occident de ce tableau qui ressemble aux premiers temps de la psychanalyse, quand il s'agissait de lutter contre les répressions outrancières des instincts. Mais ça reste drôle. Le journal de Sally Marra serait ainsi le pendant drôlatique de "La plage de Chesil", roman plus tragique de Ian Mc Ewan où l'on voit un jeune couple marié se briser net sur la question du sexe durant la lune de miel, à peu près à la même époque.  Les messieurs sont certes obsédés par la Chose mais les jeunes sont bien souvent plus qu'embarrassés par leurs émois et ne savent pas toujours comment s'y prendre. Personne n'en parle mais tout le monde y pense constamment, à tel point que l'on ne laisse pas un homme un peu mûr donner des cours seul à une jeune femme, car on sait trop ce qui risque de se passer. 

Par contraste, la culture française est décrite comme aux antipodes de l'ambiance anglo saxonne… On est loin de la France de Marlène Schiappa, c'est certain.

Queneau se laisse évidemment aller à son don pour la loufoquerie et pour l'inventivité stylistique et on se dit qu'à l'époque les connaisseurs ont tout de même du subodorer la signature réelle de ces œuvres où l'écrivain montre sa prédilection pour le pastiche.

Mais ce qui est le plus drôle, c'est de lire dans la foulée le roman de Sally Mara à l'aune de son journal. On comprend que Sally a finalement écrit un roman - c'était sa seule ambition dans la vie - sur une insurrection indépendantiste en 1916 à Dublin et se concentre sur un point précis, un bureau de poste où une anglaise reste enfermée pendant tout le siège alors que ses collègues ont été évacuées. En réalité, loin de nous proposer un roman historique grandiloquent sur la grande révolte irlandaise qui mènera à la partition des deux Irlande, le cadre historique a tout d'un prétexte, elle va y exprimer ses obsessions grandissantes pour "la chose", ses fantasmes et ses peurs. Le fantasme masochiste en particulier, qui s'exprimait déjà dans "le journal", à travers un rapport ambigu aux fessées, suinte dans le titre du roman : "On est toujours trop bon avec les femmes". L'anglaise ne cesse de vouloir coucher avec les insurgés, qui l'ont plus encore dans l'esprit et les reins que l'idée de leur sacrifice ou les manœuvres des anglais. Les garçons insurgés donnent suite mais culpabilisent en papistes qu'ils sont, qui plus est militants sacrificiels. Dans le roman, et la tête de Sally, tout se mélange, les ébats spontanés deviennent viols puis redeviennent ébats spontanés, personne n'assume le désir finalement. Le sang du dévergondage se mélange avec le sang du combat.  Le roman est un prétexte fantasmatique et phobique. Le macabre se mêle à l'érotisme. On ne sait plus ce qui est puni par les obus des anglais, d'autant plus que le capitaine du bateau qui bombarde est le promis de l'anglaise enfermée avec les combattants irlandais.  Ceux-ci sont aussi crétins et portés sur le "ouiski" que l'entourage de Sally, ce qui n'est pas peu dire. 

C'est d'une verve moins surréaliste que "Zazie dans le métro", mais cette Sally a quelque chose de Zazie dans le rôle qu'elle joue pour Queneau, à savoir une exploratrice qui permet de bien s'amuser de la réalité.

Une lecture qui donne le sourire, et qui vaut aussi par la virtuosité de Queneau, qui avant tout, fait du langage un grand terrain de jeu. 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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